b) … et particulièrement importantes dans le domaine médical

Le poids du secteur éducatif et surtout médical, auquel quelques industriels apportent leur concours (au titre de bailleurs de fonds putatifs ?), se retrouve dans les résultats que François Leboulanger porte au crédit de la Fédération. Trois nous paraissent particulièrement représentatifs.

En premier lieu, la Fédération a entrepris de mettre en rapport les Caisses primaires d’assurances sociales et les œuvres d’assistance maternelle et infantile, et est arrivée à un accord entre l’Union des Caisses primaires et les Mutualités maternelles sur une tarification unique des prestations. Les Caisses primaires ont adopté le principe d’un paiement aux Mutualités maternelles de 25 francs pour les consultations et visites prénatales, comme pour celles faisant suite à l’accouchement. Sur ces forfaits, « qui se calculent par tête de bénéficiaire de l’assurance sociale », l’œuvre prélève cinq francs pour ses frais de gestion et de service à domicile, et laisse les vingt autres au médecin de la consultation. En contrepartie, les Mutualités mettent à la disposition des Caisses toute leur organisation : médecins, infirmières, visiteuses, dispensaires…, et délivrent les certificats réglementairement exigés par les Caisses. Cette tarification a reçu l’accord du Syndicat des médecins de la Loire, et concerne les presque cent quatre-vingt mille cotisants des quinze Caisses primaires, mutualistes pour l’essentiel, du département, même si chaque Caisse se réserve le droit de traiter avec chacune des œuvres fédérées pour son application. Pour simplifier, la Fédération participe à l’intégration des œuvres d’aide aux mères et aux jeunes enfants dans le système médical général, et à la stabilisation financière de leur fonctionnement. C’est une façon de faire reconnaître par les autorités médicales leur utilité, et de donner à l’action des œuvres privées une caution publique.

Ensuite, sous la direction du Dr Dujol et du Dr Pélissier, l’Ecole de puériculture est entrée dans sa deuxième année d’existence. Les 4 et 5 juillet 1932, les docteurs Lucie Comte, Beutter, Dujol et Pélissier assistés de François Leboulanger ont délivré leur diplôme à quarante-trois candidates. Pour l’année 1932-1933, le programme des cours théoriques et pratiques paraît très complet et couvre, en un peu plus de quarante séances entre novembre et juin, depuis les maladies dont le dépistage préoccupe fort l’époque (syphilis, tuberculose, dont l’existence et les séquelles sont autant de marqueurs sociaux) et la mortalité infantile, jusqu’au statut juridique de l’enfant et le rôle des œuvres privées dans la protection médicale et sociale de l’enfant, en passant par le déroulement de « l’interrogatoire de la femme enceinte » ou la préparation des bouillies.

Le but recherché apparaît clairement : former des infirmières spécialisées en puériculture, capables d’apporter leur concours aux œuvres d’assistance du département. En d’autres termes, il s’agit de fournir un personnel qualifié aux œuvres adhérentes, mais sans ambition excessive ; à côté des écoles de la Croix-Rouge délivrant les diplômes d’Etat, l’Ecole de puériculture a pour seul objet de former des spécialistes de la puériculture, sans reconnaissance publique, mais avec l’appui de la plupart des médecins qui, localement, exercent dans le secteur.

Comme l’écrit François Leboulanger, ces infirmières ne reçoivent aucun espoir de situation mais un métier, modeste sans doute, mais utile. Il leur permet « si elles ont avec des goûts modestes, celui du dévouement et du travail, de gagner honorablement leur vie » dans les services hospitaliers et œuvres pour enfants du département, souvent trop pauvres pour se permettre autre chose que des collaborations bénévoles ou faiblement rémunérées. On reste en somme dans une situation intermédiaire entre le bénévolat et la professionnalisation : derrière la formation technique, complète mais non officiellement reconnue, la notion d’assistance, de bénévolat et de vocation reste présente 910 . Et il est sous-entendu qu’une telle activité est plutôt réservée à des femmes disposant, non d’un travail puisque alors son exercice serait incompatible avec la disponibilité exigée par les fonctions d’infirmière, mais d’une certaine aisance personnelle afin de supporter la faiblesse annoncée des rémunérations.

Enfin, la Fédération a entrepris en 1932 de faire établir des fiches récapitulatives des diverses vaccinations auxquelles sont soumis les enfants et destinées à être délivrées à la naissance, prélude en somme à notre actuel Carnet de santé. Le préfet en ayant recommandé l’emploi aux municipalités, ce sont vingt-cinq mille fiches que la Fédération a fait imprimer et qu’elle cède à prix coûtant (25 centimes) aux maires qui en font la demande, quitte même à les délivrer gratuitement si les finances municipales exigent cet accommodement 911 .

Réunir et faire collaborer œuvres privées et institutions publiques, donc, mais aussi former et informer, tels sont les objectifs de cette Fédération, qui parvient à les appliquer malgré sa taille et les lourdeurs que suppose un tel rassemblement. Mais l’aspect personnel malgré tout ne doit pas être occulté, qui donne finalement une des clés de son succès. Ainsi, lorsque l’on sait que le Dr Beutter a dirigé la thèse de Lucie Comte, on peut supposer que l’exercice de la pédiatrie à Saint-Etienne à cette époque est largement une affaire de famille. De la même façon, le contraste existant entre Charles Beutter, homme austère et croyant fervent, et François Leboulanger, fonctionnaire de la Troisième République laïque que les photographies poussent à décrire comme un homme affable et bon vivant, pourrait donner au couple dirigeant de la Fédération un aspect hétéroclite, que compense largement une amitié, voire une complicité profondes 912 . De toute évidence, les rapports personnels donnent de l’efficacité à ce vaste regroupement qu’est la Fédération.

Notes
910.

Même s’il faut nuancer : la longue et belle carrière de Melle Thivet, élève de l’Ecole de puériculture en 1932, montre que cette formation a pu être un tremplin vers d’autres diplômes (infirmière puis assistante sociale) reconnus, eux, par l’Etat. Entretien du 1er juillet 1991.

911.

D’autres exemples de cette activité multiforme peuvent être ajoutés : une Sous-commission du lait, qui entreprend à partir de juin 1933 et selon une tradition déjà ancienne, d’organiser l’approvisionnement en lait sain selon des règles hygiéniques précises des hôpitaux et des enfants, une Commission des œuvres de protection maternelle et infantile qui, constituée d’abord à propos de la question de l’unification des tarifs de consultation et des rapports avec les caisses d’assurances sociales, étend ensuite (début 1934) ses activités à l’unification des fiches de consultation et des livrets de famille et à la réglementation de la fréquentation des consultations en cas d’épidémie (rougeole), ou bien encore cette réunion des Œuvres de protection des enfants du 2e âge qui, le 26 mai 1934, examine l’opportunité de l’extension de la vaccination antidiphtérique, et conclut par l’affirmative.

912.

Entretien avec Melle Tarantola, 3 décembre 1990 : « MM. Leboulanger et Beutter étaient tellement loyaux, tellement courageux, engagés dans leur action, que leur opposition en matière religieuse disparaissait. C’étaient deux hommes intelligents et humbles, très proches. »