3) La Fédération à la conquête de l’opinion

Mais la Fédération compte bien également, ne serait-ce que pour s’assurer des rentrées financières, s’ouvrir largement sur la population. Le cadre principal en est la Semaine nationale de l’Enfance, animé par le Comité national de l’Enfance dont la Fédération est l’antenne départementale. Du 6 au 12 juin 1932, elle a lieu pour la première fois dans la Loire, dans le but d’une part de « créer un mouvement d’opinion en faveur des Œuvres d’Hygiène Maternelle et Infantile existantes », et d’obtenir d’autre part les ressources nécessaires à leur fonctionnement, par exemple en apposant des affiches : « 80 000 enfants meurent chaque année » et « Protégez les nourrissons contre les chaleurs et les mouches », ou par la vente d’insignes sur la voie publique.

Ainsi en 1932, les élèves des écoles, publiques comme privées, vendent des insignes, jusque dans les plus petits villages. Par des conférences (sur la tuberculose, sur le BCG), agrémentées de musique, l’attention du public est attirée sur certains gestes quotidiens utiles à la santé de l’enfant. Mais c’est en 1933, du 13 au 21 mai, que la Semaine de l’Enfance prend sa véritable dimension, en organisant une grande exposition à l’Hôpital de la Charité, avec un écho considérable dans la presse en raison de la venue du ministre de la Santé publique, Charles Daniélou 913 .

Le banquet qui, autour du ministre, réunit les parlementaires, les responsables de la Fédération et les représentants des écoles et des œuvres post-scolaires laïques, mais aussi le Rotary Club, Pierre Cholat président local du Comité des forges et des représentants de l’Eglise et de l’enseignement privé, est l’occasion de célébrer la mémoire d’Aristide Briand :

‘« Il a combattu, il est mort pour la paix. Que sa grande ombre veille toujours — et aujourd’hui et pour demain — sur vos enfants, femmes de France ! (…) Il ne servirait à rien de garder nos enfants des maladies de la nature, si leur adolescence devait être vouée — au milieu des pires souffrances — à une mort prématurée par les armes. »’

Pour se garder d’une telle menace, il faut protéger les enfants et donner à la France « un peuple sain, un peuple fort et nombreux. » La Fédération, au nom de la paix et de la natalité, est donc une œuvre de combat. A travers les stands, ceux de la Ville de Saint-Etienne, ceux de la Section commerciale où brillent les marques : Pupier, Phosphatine, Banania ou les biberons Robert, celui de la ferme Courbon-Lafaye qui depuis plus de quarante ans fournit en lait stérilisé la Ville et les hôpitaux de Saint-Etienne, celui de l’Union amicale des aveugles ou des œuvres sociales de la Compagnie des Mines de Roche-la-Molière et Firminy, celui enfin de l’Œuvre Grancher contre la tuberculose ou de la Croix-Rouge de Saint-Chamond, sans oublier l’exposition de berceaux, anciens ou modernes, à travers tout cela où les Scouts ont aussi leur place, on est bien en plein dans cette vaste croisade qui alors secoue le pays sur le thème de la natalité.

C’est aussi ce que l’on retrouve dans le vaste Concours des trois enfances, représentatif de cette volonté d’une politique sociale, organisé par le journal Maman avec le concours de la Fédération, des diverses consultations de nourrissons du département et d’un certain nombre de médecins. Il récompense le bon état sanitaire et la bonne croissance de plus de onze cents enfants, de zéro à deux ans, de trois à six ans et de sept à douze ans, avec une catégorisation très précise selon qu’ils sont nourris au sein, au biberon, avec un allaitement mixte, ou s’ils ont passé le sevrage pour les nourrissons. Il existe même une catégorie spécifique pour les « enfants débiles, élevés grâce à des soins dévoués », les autres étant plus classiquement répartis entre garçons et filles. La place croissante du médical dans le domaine de la protection de l’enfance ne pouvait guère aller sans une volonté presque clinique de classification, qui met une fois de plus l’accent sur l’allaitement des nourrissons.

Les manifestations publiques, même si elles n’ont pas toujours l’importance de cette exposition de 1933, restent au cœur des activités de la Fédération. Après tout, la Semaine de l’Enfance organisée dans tout le pays par le Comité national de l’enfance, est ce qui reste à la Fédération des œuvres de la Loire lorsque tout le reste lui a échappé, et jusqu’à l’orée des années 1960. Mais c’est dans les années 1930, alors que la Fédération est jeune et pleine de dynamisme, que son ampleur est la plus grande : conférences, concerts, vente d’insignes, lâchers de ballons, kermesses ou carnavals, qui restent d’intérêt local, n’empêchent pas quelques manifestations de prestige. Le 2 avril 1939, l’Orchestre des Concerts du Conservatoire de Paris, dirigé par Charles Münch, donne à la Bourse du Travail de Saint-Etienne un « Gala Beethoven-Wagner » au bénéfice de la Fédération des Œuvres de l’Enfance 914 .

10- Fédération des Œuvres de l’Enfance, François Leboulanger et Charles Beutter
10- Fédération des Œuvres de l’Enfance, François Leboulanger et Charles Beutter
11- Fédération des Œuvres de l’Enfance, inauguration de l’Exposition de l’Enfance de 1933 par le ministre Daniélou (le Dr Martin est au second rang, à droite du ministre, le Dr Beutter à droite, un peu en retrait du groupe)
11- Fédération des Œuvres de l’Enfance, inauguration de l’Exposition de l’Enfance de 1933 par le ministre Daniélou (le Dr Martin est au second rang, à droite du ministre, le Dr Beutter à droite, un peu en retrait du groupe)
12- Fédération des Œuvres de l’Enfance, stand d’accueil de l’Exposition de l’Enfance de 1933 (y figurent : M. Beyssac, président des Œuvres laïques, le Dr Beutter, Mme Mermet-Beutter, Melle Thivet de la Croix-Rouge, Melle Tamet secrétaire de François Leboulanger, et François Leboulanger)
12- Fédération des Œuvres de l’Enfance, stand d’accueil de l’Exposition de l’Enfance de 1933 (y figurent : M. Beyssac, président des Œuvres laïques, le Dr Beutter, Mme Mermet-Beutter, Melle Thivet de la Croix-Rouge, Melle Tamet secrétaire de François Leboulanger, et François Leboulanger)
Notes
913.

La Cinémathèque de Saint-Etienne en a conservé la trace. Voir aussi par exemple l’article que la Loire Républicaine consacré à l’événement, le 14 mai 1933 : « A 11 h 30, le ministre fait son entrée à l’Exposition de l’Enfance. Il s’incline devant de drapeau de notre régiment tandis que la musique militaire exécute la Marseillaise. Une adorable fillette, toute de rose vêtue, remet la brochure de la “Semaine“ à M. Daniélou, qui remercie par deux baisers. Sous la conduite du docteur Beutter et de M. Leboulanger, le ministre de la Santé publique fait le tour de cette superbe Exposition, où les stands sont luxueusement installés. C’est un véritable enchantement pour tous ceux qui assistent à cette inauguration officielle. Il y a de si belles choses, que le cortège s’attarde quelque peu à la Charité, et les douze coups de midi ont sonné depuis cinquante minutes lorsque les personnalités officielles arrivent au Grand Hôtel où doit se dérouler le banquet. »

914.

Un article du Mémorial du 5 avril 1939 signale qu’un peu plus tôt dans la saison, Vladimir Horowitz s’est également produit à Saint-Etienne, ce qui fait beaucoup de grands noms pour une ville hâtivement érigée au rang de désert culturel.

Maurice Béjart est indiqué en tout petit sur les affiches de la Semaine de l’Enfance de 1957, à l’occasion d’un Hommage à Chopin avec Solange Schwarz, première danseuse étoile de l’Opéra.