II. La naissance du Comité de patronage

Le Sauvetage stéphanois, né de la loi du 22 juillet 1889 sur la déchéance de la puissance paternelle, est destiné à prendre en charge les enfants dont les parents sont jugés indignes. Paradoxalement, il disparaît sans cause apparente, alors que la loi du 19 avril 1898 renforce cette protection en prévoyant des mesures autoritaires de placement dans le cas de « violences, voies de fait, actes de cruauté et attentats commis envers les enfants ».

Mais légèrement antérieur à la loi du 22 juillet 1912 qui ébauche une juridiction spécifique des mineurs, contemporain de la loi du 11 avril 1908 qui permet le placement de tout mineur qui se livre habituellement à la débauche, le Comité stéphanois de défense des enfants traduits en justice renoue le fil ainsi interrompu, en faisant entrer dans les faits le droit de l’enfant à un avocat. Dans un contexte qui reste répressif (la débauche est un comportement coupable), c’est un pas décisif fait localement dans la direction des droits de l’enfant.

S’il disparaît en 1916, nous le retrouvons dans les années 1930, à la veille du décret-loi du 30 octobre 1935 qui envisage certes le placement des mineurs « qui n’ont ni travail, ni domicile, ou tirent leurs ressources de la débauche ou de métiers prohibés », ce qui reste un moyen de sanctionner un comportement hors norme, mais qui surtout réforme la loi du 24 juillet 1889 en prévoyant,

‘« lorsque la santé, la sécurité, la moralité, l’éducation des enfants sont compromises ou insuffisamment sauvegardées par le fait des père ou mère, une mesure de surveillance ou d’assistance éducative ».’

Il n’est donc plus question de faute, mais de situation de danger ; on ne parle plus seulement de déchéance des parents, mais aussi d’assistance à la famille. On n’est pas très loin de ce que faisait Louis Comte en provoquant la prise en charge d’enfants dont les conditions de vie lui paraissaient insuffisantes, ou en venant en aide aux familles qui éprouvaient des difficultés à élever leurs enfants. La législation concernant l’enfance rejoint en quelque sorte les conditions locales de l’application de ses rédactions antérieures.

Aux idées de Comte, on peut sans doute relier cette seconde génération qui après la guerre investit les œuvres. Très féminisée, mais peuplée de nombreuses salariées de l’enseignement public, elle nous fait voir non plus des « dames », mais des demoiselles désormais engagées dans la vie professionnelle et économique, comme c’est d’ailleurs le cas des avocats (et avocates) dont la présence montre que le droit de l’enfant même délinquant n’est plus exclusif du droit de la société à vivre en paix. Et dans une certaine mesure, la volonté de ces demoiselles de donner aux jeunes filles isolées en ville un foyer et des activités saines n’a pas d’autre but que de maintenir cette référence familiale.

De telle sorte que lorsque les médecins, enfin, investissent le champ de la protection de l’enfance, le dépistage et la « prophylaxie sociale » doivent marquer le pas devant des pratiques et un état d’esprit déjà existants.

C’est avec ce double héritage, d’action sociale d’une part, de développement de l’emprise médicale de l’autre, que naît le Comité de patronage de l’Enfance délinquante et en danger moral, dont le nom seul montre que c’est d’abord la notion de protection de l’enfant, et non pas celle de soin, qui est en jeu.