a) la commission de l’enfance anormale

Au milieu de toutes ces activités, particulièrement intéressantes sont celles de la Commission de l’enfance anormale, dont il est question dès l’Assemblée générale constitutive du 9 juillet 1931. Ce jour-là en effet, Simone Levaillant, avocate et correspondante pour le département du Comité national d’éducation de l’enfance anormale 930 , présente le travail dudit Comité et ses applications possibles dans la Loire.

Le Comité national d’éducation et d’assistance de l’enfance anormale a pour but de former des éducateurs dans son Institut d’études médico-pédagogiques et de fonder des établissements spécialisés : écoles d’anormaux, centres de dépistage, consultations neuro-psychiatriques. Le recours à des instituts privés est nécessaire, car si la législation ne prévoit rien pour les « enfants anormaux légèrement déficients », il faut bien cependant « les mettre en état de gagner leur vie » et les préserver « des tribunaux devant lesquels souvent on les retrouve ». Autrement dit, dans une perspective médicale surprenante sous la plume d’une avocate, la délinquance n’a pas seulement ici des causes sociales, mais relève de la maladie mentale ; l’éducation des délinquants, la prévention de leurs écarts, sont davantage affaire de rééducation médicale, ce que confirme la description qui suit des enfants anormaux concernés.

Ce sont des « enfants moralement affaiblis par des causes héréditaires ou accidentelles. Les familles les supportent difficilement, ne savent pas employer les moyens d’éducation nécessaires, se découragent et n’aboutissent qu’à de douloureux échecs. » Le parallèle est aisé avec les enfants placés à Mettray, décrits à la même époque par Marinette Heurtier. Si le dépistage est précoce, avant même l’école, et le traitement médical approprié, la dépense peut être minime. On pourra ainsi, le plus tôt possible, « activer leur développement physique et mental » et « les entraîner méthodiquement à un meilleur fonctionnement cérébral », le tout dans un environnement scolaire adapté. On mélange ici une vision médicale, une vision éducative, et en arrière-plan une vision juridique de la question. Mais c’est avant tout la nécessité d’une prévention qui est affirmée, avec son corollaire financier : elle est moins coûteuse que la rééducation.

Seule est cependant concernée la population « non des imbéciles incurables, mais des légers déficients, peu doués, mais utilisables à condition d’être bien entraînés pendant leur jeunesse et encadrés pendant leur vie d’adultes. » Derrière des mots crus, qui peuvent choquer mais traduisent surtout une absence de catégories, et plus généralement d’un vocabulaire assez précis pour qualifier et distinguer ces « anormaux », on retrouve la distinction déjà opérée entre délinquants, destinés selon leur dangerosité à l’enfermement ou à des mesures plus clémentes. Mais c’est ici en termes d’utilité sociale que cette distinction est posée, comme si la dépense, acceptable pour les enfants éducables, l’était moins pour les autres, voués — c’est sous-entendu — à l’oubli derrière les murs d’un hôpital.

C’est à l’issue de cet exposé qu’est annoncée la création d’un Comité de l’enfance anormale. La composition de son Bureau confirme sa tonalité médicale : cinq médecins sur douze membre 931 .

Il se met rapidement au travail. Le Bureau de la Fédération du 7 décembre 1931 porte à son ordre du jour la question des « enfants traduits en justice et enfants anormaux », en un mélange représentatif de l’ambiguïté des termes et des approches. François Leboulanger signale alors que le procureur et le président du tribunal sont favorables à la création d’un Comité de protection des enfants traduits en justice. Au conseil d’administration du 21 décembre suivant, Charles Beutter annonce que le tribunal a provoqué une réunion en vue de cette création.

En janvier 1932, lorsque le Dr Beutter s’enquiert de l’état de la question des enfants traduits en justice, Simone Levaillant lui répond que le procureur attend l’ouverture de la consultation neuro-psychiatrique pour le mois d’avril. Avant d’organiser cette consultation, le Dr Nordmann veut s’assurer du concours d’une infirmière, Marinette Heurtier, dès son retour de stage.

Enfin, lorsque le Comité fédéral de la Fédération se réunit le 11 mars 1932, Simone Levaillant, rendant compte du voyage de Marinette Heurtier dans les établissements pour anormaux de Belgique et du Bas-Rhin 932 , signale que la consultation neuro-psychiatrique pour enfants délinquants fonctionnera en principe à partir du 1er juin suivant, et que son organisation administrative est confiée conjointement au procureur de la République et à l’inspecteur de l’Assistance publique.

Autrement dit, par une sorte de glissement, on passe d’un vaste programme ébauché en faveur de l’enfance déficiente et anormale à la création d’un lieu de dépistage consacré en priorité aux délinquants, l’impression restant forte cependant que c’est la question de la déficience intellectuelle qui prime, la délinquance n’en étant jamais qu’une manifestation comme le montre l’apparente confusion des dénominations entre enfants anormaux et enfants traduits en justice 933 , et comme l’annonce du reste le texte même de Simone Levaillant. Dissimulation, pour faire accepter son programme par un groupe où dominent les médecins ? Nous verrons en tout cas plus loin que la consultation sera plus largement ouverte, et que le soin mis à trouver des solutions de placement à l’issue de la consultation n’en fait jamais qu’un instrument de mesure et de classification : une première étape destinée à faciliter la rééducation ultérieure.

Notes
930.

AMSE, 2Q49. En novembre 1924, dans une demande de subvention présentée par le Foyer Féminin de la rue du Général Foy, le Dr Lucie Comte est citée dans son Comité local d’administration, au titre de présidente du Comité d’éducation, sans qu’il soit précisé s’il s’agit là d’une des activités du Foyer, ou d’une activité qui lui est extérieure mais a permis à Lucie Comte d’aborder d’autres problèmes concernant l’enfance. Quelle que soit la représentante locale du Comité national d’éducation de l’enfance anormale (un médecin n’y aurait évidemment pas déparé), on notera que le choix se fait entre deux femmes. Et dans les papiers personnels de Simone Levaillant qu’a bien voulu nous communiquer son frère, on voit qu’elle se tenait très au courant, dans les années 1930, des activités du Comité national. Même si elle n’en a pas été la représentante officielle (à moins qu’un changement ait eu lieu entre 1924 et 1931), elle en a en tout cas été dans la Loire une ardente propagandiste.

931.

Les docteurs Beutter, Vinay, Nordmann, Gonnet et Poulain, associés à MM. Courage, Salis, le directeur le l’Institution des sourds-muets, Mmes Cholat, Thiollier, Chapuis et Simone Levaillant.

932.

Au Bureau du 6 février 1932, il est précisé que les cinq semaines qu’elle passera à l’établissement de Hoerdt (Bas-Rhin) seront payées par la Fédération.

933.

Au Comité fédéral du 11 mars 1932, l’ouverture prochaine de la consultation est annoncée sous la rubrique « enfance déficiente et délinquante ».