Le volume d’activité de la consultation montre qu’elle répond à un besoin ; très vite le nombre des enfants prend de l’importance 941 . Malgré la diversité des origines des enfants (services médicaux scolaires, médecins, Assistance publique…), on peut noter une certaine stabilité, à partir de 1934, du nombre des mineurs qu’y envoie le tribunal (Tableau 59, Graphique 17).
1932 | 1935 | 1938 | |||||
clinique des écoles | 45 | arriérés scolaires | 79 | services scolaires | 126 | ||
tribunal | 34 | délinquants | 90 | tribunal | 102 | ||
Assistance publique | 14 | pupilles Assistance publique | 24 | ||||
inspection départementale d’hygiène | 4 | grands anormaux | 55 | ||||
service d’Orientation professionnelle | 3 | ||||||
médecins | 32 | ||||||
Total | 132 | Total | 248 | Total | 316 943 |
Pourtant à notre connaissance, le « personnel infirmier spécialisé » composé d’assistantes sociales et d’infirmières visiteuses, cité par le procureur se limite à la seule personne de Marinette Heurtier, laquelle au surplus ne se contente pas de ses activités d’enquêtrice. On apprend en effet au cours du Bureau du 27 juillet 1932 que jusqu’à cette date (depuis trois mois donc) elle a assuré bénévolement son service, et que désormais elle recevra une indemnité de 500 francs par mois à la condition de participer également à l’enseignement de l’Ecole de puériculture « en qualité de répétitrice. » 944
La rétribution par les services publics réclamée au conseil d’administration du 4 octobre suivant, attendu qu’ils assurent une bonne partie de l’activité de la consultation, ne paraît fixée qu’en février 1934 945 . Elle s’élève à 30 francs pour les examens médico-psychiatriques, et à 20 francs pour les enquêtes sociales 946 .
L’impression est bien celle d’une sorte de bricolage administratif et financier, la structure créée pour le plus grand profit des institutions publiques mais dans un cadre privé ayant besoin peut-être de faire la preuve de son utilité, et surtout d’attendre sans pour autant limiter son activité le déblocage des financements extérieurs. L’image du bénévolat demeure la référence, y compris apparemment pour le médecin concerné, mais on est davantage assuré pour lui que pour Marinette Heurtier qu’il possède d’autres sources professionnelles de revenu.
Le contenu de cette consultation est indiqué par Yvonne Flachier, qui en 1937 consacre un mémoire au Problème de l’Enfance déficiente dans la Loire, au cours de ses études d’assistante sociale, et qui a pu assister à quelques séances du jeudi avec le Dr Nordmann. Ce qu’elle dit de la consultation des déficients peut sans doute s’appliquer à celle des délinquants ; rien en tout cas n’indique que les situations aient été distinguées. Elle relève en premier lieu le caractère humain de l’approche : tel enfant en partant embrasse le médecin, un autre tient à chanter une chanson, mais aussi parfois touchant : une mère pleure en amenant son enfant (« un petit hérédo-syphilitique de 6 ans ne parlant pas ») qui se met à crier et fait une petite crise de nerfs, mais presque toujours réconfortant : l’examen permettra « de tirer un petit malheureux du gouffre où il était presque inévitablement condamné à tomber. »
On note les attitudes de l’enfant quand il entre dans le cabinet, se déshabille, observe les lieux ou au contraire reste apeuré dans son coin. Le médecin pendant ce temps consulte son dossier : fiche médicale scolaire, avis de l’instituteur, renseignements sur le caractère, l’intelligence, les capacités et l’attention de l’enfant, enquête sociale (renseignements sur la famille, sa profession, le milieu, l’hérédité physique et morale). Suit un examen médical, et parfois quelques questions destinées à confirmer un des renseignements donnés. Le médecin peut ainsi l’interroger sur le nombre de boutons de comporte son manteau, sur l’année ou le mois en cours, et « même quelquefois » lui faire passer des tests : il « lui montre des dessins du docteur Vermeylen. “Que vois-tu ? –Des poules. –Que font-elles ? –Elles nagent. –Tu as vu nager des poules ? –Oui…“ » A l’issue de « ces examens complets et consciencieux », le médecin pose son diagnostic et peut prescrire un traitement ou un placement 947 De toute évidence ici aussi, la méthode est passablement empirique.
Le « triage » doit logiquement aboutir à des lieux spécifiques à chaque catégorie d’enfant. Le 17 février 1934, l’inspecteur primaire Folliet présente l’école de perfectionnement de la rue Descours, qui accueille trente enfants, soit examinés sur la demande des parents et déclarés éducables par le Dr Nordmann, soit venus d’écoles proches. Mais la moitié d’entre eux ne peut recevoir aucun enseignement utile et reste une charge pour le reste de la classe ; il serait bon de prévoir pour eux un placement approprié. Par ailleurs, l’inspecteur Folliet envisage un recensement de tous les enfants anormaux des écoles de Saint-Etienne : il a en vue la création d’une classe de perfectionnement par canton.
Il manque donc un lieu de placement pour ces enfants qui ne peuvent tirer de fruits d’un enseignement aménagé, mais aussi pour ceux à qui la formule de l’externat ne peut convenir en raison du caractère nocif de leur milieu familial. C’est donc sans surprise que l’on peut lire le 17 novembre 1934, à la fois dans la Loire Républicaine, la Tribune Républicaine et le Mémorial 948 , un article du Dr Nordmann sur la « rééducation à la campagne des enfants anormaux ». Il s’agit d’un compte-rendu — fort louangeur — de l’établissement créé plus d’un an auparavant (début 1933 ?) à Saint-Thurin (dans la montagne, entre Champoly et Saint-Didier-sur-Rochefort 949 ), par François Leboulanger et donc les services de l’Assistance publique.
Il est à peu près impossible de faire des ouvriers des « anormaux psychiques ».
‘« Dans le milieu rural, au contraire, des fonctions simples, quoique indispensables à la vie sociale, peuvent être utilement tenues, après adaptation, par les anormaux psychiques et c’est dans ce sens que s’oriente l’effort de l’administration. »’Les activités sont diverses et destinées à faire alterner dans la journée plusieurs exercices : jeux, travaux manuels, travaux pratiques (balayage, soins aux animaux de la ferme comme à ceux que possède chaque enfant : oiseau, poisson, grenouille, escargot), observation des travaux des champs. Ce foyer fonctionne sous le contrôle de l’assistante sociale de la clinique médico-pédagogique, Marinette Heurtier, dont les activités s’étendent du même coup 950 .
Le Dr Nordmann conclut évidemment par la nécessité d’étendre un tel exemple à tous les enfants relevant d’un tel enseignement (dits « anormaux relativement éducables ») et plus seulement à ceux de l’Assistance publique. On apprend d’ailleurs un peu plus tard 951 que ce Centre familial de Saint-Thurin est ouvert également aux enfants envoyés par les communes, dans la limite des places non occupées par l’Assistance publique.
En date du 7 mai 1935, la Commission de l’enfance anormale adresse au préfet le rapport qu’il lui a demandé sur la création dans le département d’un service de protection de l’enfance déficiente et éducable. C’est bien entendu l’exemple de Saint-Thurin qui est repris, pour un effectif de trente enfants reçus contre le paiement d’une pension couverte en partie par les communes 952 . Le mois suivant 953 , le conseil général vote une subvention de 35 000 francs pour le fonctionnement d’un service départemental de placement des « enfants anormaux récupérables » sur le modèle de Saint-Thurin, « c’est-à-dire placement familial des petits anormaux, soit chez des cultivateurs, soit chez des artisans, avec une école spéciale pour eux. » Sur la proposition des conseillers généraux Pétrus Faure, Pinay et Teissier, ce centre sera placé sous le contrôle de la clinique médico-pédagogique et surveillé par l’assistante sociale de la Fédération. Il est prévu qu’il ouvrira le 1er juillet, et un effectif de départ de quinze enfants est requis au 1er octobre pour justifier l’emploi d’un instituteur spécialisé. Il est installé à Usson, dans les Monts du Forez 954 .
En d’autres termes, la Fédération, association et donc relevant du droit privé, est chargée via sa consultation et son assistante sociale de la gestion d’un établissement public créé par les collectivités locales. Le mélange public-privé est cependant moins dû à une volonté explicite qu’à l’utilisation des compétences et des structures existantes. Et Marinette Heurtier confirme là son rôle central dans le domaine de la protection de l’enfance.
C’est débordant d’optimisme que François Leboulanger présente les activités du nouveau centre, au début de l’année 1936 955 : quinze élèves sont désormais inscrits dans cette classe dirigée par une jeune institutrice, Melle Faure , qui a accepté la lourde tâche d’éveiller ces « jeunes intelligences plus ou moins assoupies ». Ce village-école, le premier en France, est certainement appelé à servir d’exemple :
‘« Il y a là une formule qui, au point de vue financier, moral et éducatif, est susceptible de retenir l’attention de toutes les personnes qui sont penchées sur le problème de l’enfance déficiente. »’Ce qu’il y a de commun dans ces deux établissements — qui ne concernent guère au total plus d’une cinquantaine d’enfants — c’est le recours au milieu rural, sous forme d’internat à Saint-Thurin pour les pupilles de l’Assistance publique dont quelques enfants à elle confiés par les tribunaux, en placement familial à Usson pour les enfants dont la rééducation est moins morale qu’intellectuelle 956 . Et dans les lieux mêmes où l’Assistance publique place ses propres pupilles ; François Leboulanger y connaît les maires, les familles, les instituteurs et peut donc s’y assurer les meilleures conditions de placement.
C’est d’ailleurs surtout pour les enfants d’Usson que l’on entend parler d’avenir, en des termes que n’eût pas reniés Louis Comte. Loin des taudis stéphanois, loin de la promiscuité citadine, ces enfants sont livrés à une vie saine qui peut aussi leur fournir une profession. Plutôt que de risquer en ville de devenir une charge pour la société, voire de se mettre eux-mêmes en danger, il leur est ici possible de se rendre utile et de trouver un avenir, en s’attachant à la vie et au travail des champs. Tout dans l’enseignement, qui regorge de méthodes d’abord fondées sur l’observation et la fréquentation permanente de la nature, paraît organisé dans ce but.
A l’instigation des pouvoirs publics et avec leur soutien financier, sous l’inspiration du foyer créé peu avant par l’Assistance publique, se crée donc à Usson-en-Forez une sorte d’entreprise d’« économie mixte », gérée et dirigée par la Fédération par l’intermédiaire du Dr Nordmann qui en est aussi sans doute le principal pourvoyeur, et également le truchement de Marinette Heurtier 957 .
Malgré une incertitude : nous avons pris le principe que les chiffres donnés aux Assemblées Générales de la Fédération concernaient l’activité de l’exercice (année civile) écoulé, sans que cela soit toujours précisé. A partir de 1939, l’accueil des réfugiés semble absorber l’essentiel des énergies, et l’on ne trouve plus aucun renseignement sur la consultation.
D’après les AG annuelles de la Fédération, où le découpage n’est pas constant ; on s’intéresse au moins autant dans les comptes-rendus au devenir des enfants qu’au prescripteur de l’enquête, d’où ces variations de dénomination.
AG 10 mars 1939 : le total de trois cent seize enfants examinés est cité, dont cent deux envoyés par le juge et cent vingt-six par les services scolaires ; il en manque donc quatre-vingt-huit dont l’origine n’est pas donnée.
Bureau du 3 novembre 1932 : une subvention du conseil général en faveur de l’enfance anormale (1500 francs) est annoncée comme venant en déduction de l’indemnité de Marinette Heurtier : apparemment, au début au moins, le budget de la Fédération peine un peu à trouver de quoi la payer.
Assemblée générale du 28 février 1934.
Dans sa note, reprise dans le compte-rendu du Comité de l’enfance délinquante du 4 février 1933, le procureur précise que « l’examen médical est en principe gratuit ; mais il serait juste que lorsque les mineurs appartiennent à une famille fortunée, celle-ci soit invitée à payer les honoraires des médecins. » Ce qui d’ailleurs sous-entend que le jeune délinquant n’est pas forcément issu d’un milieu défavorisé.
Yvonne Flachier, Le problème de l’Enfance déficiente dans la Loire, Lyon, Ecole de Service Social du Sud-Est, 1937, 104 p., dactyl., p. 27-28. Elle précise les relations établies entre la clinique et la Ligue antivénérienne : « la déficience d’une grande partie des enfants, surtout presque parmi les perfectibles, est d’origine syphilitique. » Un extrait de ce mémoire figure en Annexe 51.
La recherche de l’union et du consensus passe par l’association de tous les organes de presse, quelles que soient leurs opinions politiques.
Dans une région, nous l’avons vu, largement utilisée pour les pupilles de l’Assistance publique : il y a une continuité dans la recherche de lieux de placement agricoles éloignés des villes et de la plaine.
Désignée d’abord comme infirmière, elle est ici appelée assistante sociale ; il s’agit davantage de la reconnaissance d’une compétence que d’un titre dûment homologué dont rien du reste n’indique la possession. Sinon, que dire du titre d’ « assistante psychologue » dont elle est un temps affublée et de celui de « visiteuse d’hygiène sociale » ? Signalons au passage qu’à l’intérieur de la Fédération, elle a aussi des activités bénévoles ; elle est ainsi chargée en février 1933 des « Fêtes enfantines, sauteries, guignols, concours fleuris » pour la prochaine Exposition de l’Enfance. Commission Exposition de l’Enfance, 4 février 1933.
Assemblée générale du 1er mars 1935, qui signale également que le matériel d’enseignement Decroly a été fabriqué et fourni par les Guides de France de Melle Ottmann : bénévolat et « bricolage », toujours.
En vertu sans doute du principe qu’elles sont responsables de l’enseignement primaire sur leur territoire (locaux, primes et logement des instituteurs).
Conseil d’Administration du 24 juin 1935. Il souligne à cette occasion le soutien de l’inspecteur d’Académie Bonne et de l’inspecteur primaire Besse, amenant le ministre de l’Education nationale à créer une classe spécialisée.
Voir en Annexe 48 deux articles de 1936 sur les établissements de Saint-Thurin et Usson.
Assemblée générale du 27 février 1936.
Voir sur ces deux établissements des articles parus dans la Tribune Républicaine des 15 (Saint-Thurin) et 22 (Usson) octobre 1936.
Dont le salaire double en même temps que ses activités : dans le projet de la Commission de l’enfance anormale, il est prévu pour elle une nouvelle indemnité mensuelle de 500 francs, à la charge du conseil général.