3) Du Comité de défense au Comité de patronage

a) le Comité de défense des enfants traduits en justice

Nous l’avons vu naître en 1909, et cesser de donner des preuves de son existence en 1916. D’après le Guide des Œuvres …, rédigé pourtant par Simone Levaillant et qui lui prête une durée de vie plus réduite encore (1913-1914), il est réorganisé en 1930. Ce même Guide des Œuvres…, au moment de sa parution (1935), donne quelques adresses à qui voudrait entrer en contact avec ce Comité : il renvoie au parquet de Saint-Etienne, à la clinique médico-pédagogique 6, rue Victor Duchamp, et enfin à Me Simone Levaillant elle-même, 13 rue Elisée Reclus. Dans cette seconde mouture, il paraît bien être une émanation de la Fédération des œuvres de l’enfance, réunion de l’essentiel des membres de sa Commission de l’enfance anormale, auxquels s’ajoutent quelques extérieurs 971 .

Le Guide des Œuvres… enfin décrit les activités du Comité stéphanois de défense des enfants traduits en justice, relevant qu’il a pour but de réunir les délégués auprès du tribunal pour enfants, organiser la surveillance des enfants acquittés sans discernement, et plus largement aider au relèvement de l’enfance coupable et éviter la récidive. Lorsque des mineurs de dix-huit ans sont reconnus coupables et rendus à leur famille sous le régime de la liberté surveillée, un délégué du Comité est chargé par le tribunal de cette surveillance. Il doit tous les trois mois rendre au procureur un rapport sur la conduite de l’enfant, au travail comme dans sa famille. La Fédération des œuvres de l’enfance met à la disposition du tribunal son assistante sociale, qui fait une enquête jointe au dossier puis en rend compte au tribunal pour enfants, d’où son titre de « rapporteur ». Enfin, le médecin-chef de la clinique médico-pédagogique voit chaque mineur délinquant et rend un avis sur son placement, « en tenant compte de son degré d’irresponsabilité et du milieu dans lequel il vit. »

Dans cette description même, les liens avec la Fédération et sa consultation sont évidents, et plus évidente encore la place décidément centrale de Marinette Heurtier dans le dispositif.

Que le Comité ait été réactivé en 1930, c’est après tout possible, même si en novembre 1931 972 Simone Levaillant ne parle que de l’intérêt qu’il y aurait à le créer. La bonne volonté et même l’impulsion donnée par le procureur 973 sont évidentes, tout comme est évident le glissement des activités du Comité : avant la guerre, il se destinait avant tout à fournir un avocat à l’enfant traduit en justice ; désormais, cette défense étant acquise, il s’oriente davantage vers le conseil au tribunal des décisions à prendre, avec les heurts que nous avons vus, et le suivi des enfants après cette décision.

En effet, régulièrement convoquée, Marinette Heurtier assiste aux audiences du tribunal pour enfants et adolescents, aux côtés de la défense, et y représente à la fois la Fédération et le Comité de défense qui en est issu, au titre de rapporteuse du tribunal pour enfants 974 .

Cela dit, cette confusion des tâches ne va pas là encore sans quelques frictions, où une fois de plus il est difficile de faire la part de ce qui revient en propre au caractère de Marinette Heurtier, mais peut-être aussi à une sorte de conscience professionnelle.

L’assemblée générale de février 1935 975 souligne le rôle central de Marinette Heurtier, relevant que non seulement elle enquête lors de délits commis par des mineurs, mais également en cas de mauvais traitements ou de soins insuffisants signalés au parquet, et que ses rapports pèsent d’un grand poids dans les décisions judiciaires. En raison de la « portée sociale incontestable » de ce travail et des « services considérables [rendus] ainsi à la cause de l’enfance malheureuse », qui justifient en quelque sorte les sacrifices financiers consentis, l’assemblée générale va jusqu’à exprimer sa reconnaissance à Marinette Heurtier « pour son dévouement et son allant, pour sa compétence ».

Mais en mai 1936 976 , au détour d’une question d’organisation des congés des quatre employés de la Fédération 977 , imposés même si on laisse « la porte ouverte pour une réponse favorable à toute demande supplémentaire motivée », on apprend que Marinette Heurtier a immédiatement donné sa démission. Il apparaît même que son remplacement a commencé à être organisé, une infirmière diplômée d’Etat, ancienne élève de l’Ecole de puériculture, paraissant apte, après formation, à remplir ce service 978 . Quelques jours plus tard, à l’initiative d’Antoine Pinay, une réunion réunit Marinette Heurtier, le Dr Beutter, et François Leboulanger 979 . Marinette Heurtier retire sa démission, et Antoine Pinay insiste fortement pour qu’elle soit réintégrée dans le personnel de la Fédération.

Quelle que soit la cause de ce mouvement d’humeur 980 , cette démission est gênante pour la Fédération. En effet, Marinette Heurtier est rapporteur pour les enfants délinquants au tribunal, et son agrément court d’octobre à octobre. Si elle part, il faudra attendre six mois pour lui trouver un remplaçant. Et Simone Levaillant renchérit, peut-être pour souligner le rôle de son amie, en tout cas pour remarquer son importance et rappeler que c’est la Fédération qui lui a donné un rôle central :

‘« Le rôle de rapporteur au tribunal pour enfants est gratuit, du moins dans notre département. Le rôle n’est pas obligatoirement dévolu à une seule personne ; il a été confié à Melle Heurtier sur demande de la Fédération et pour faciliter la liaison du Parquet avec la clinique médico-pédagogique. »’

Le Dr Nordmann de son côté estime que le rôle de la clinique médico-pédagogique n’est possible qu’avec l’appui du rapporteur auprès du tribunal pour enfants. C’est donc pour des raisons pratiques que Marinette Heurtier cumule les fonctions d’assistante sociale de la Fédération, et de rapporteur.

Suivent quelques considérations financières, qui peuvent laisser penser qu’il s’agit finalement d’une sorte de revendication salariale : Marinette Heurtier touche 500 francs par mois du tribunal pour les enquêtes, et 6 000 francs par an du conseil général 981 , soit un salaire de 1 000 francs par mois 982 , mais il n’est pas question d’augmentation. A moins que ce ne soit une façon de montrer que, pour un faible salaire, on peut comprendre qu’elle revendique un peu d’autonomie, au moins pour décider seule de ses congés…

On notera au passage que si François Leboulanger reconnaît que les services de Marinette Heurtier sont particulièrement appréciés du tribunal, ce qui montre que les heurts précédents sont oubliés, elle a de mauvais rapports avec le personnel enseignant et les établissements d’arriérés, sans qu’on en connaisse exactement les causes. En d’autres termes, un nouveau conflit de compétences est évoqué, entre l’assistante sociale qui, visiteuse d’établissements spécialisés, enquêtrice, mais aussi en quelque sorte à l’origine de l’établissement d’Usson, se considère certainement comme à même de juger du travail accompli dans les classes spécialisées, et les enseignants peu heureux que l’on conteste leurs prérogatives. En somme, Marinette Heurtier fait preuve une fois de plus de son caractère tranchant, mais au nom du travail qu’elle accomplit. Sa réintégration est du reste acceptée sans difficulté apparente, à la condition toutefois qu’elle s’engage chaque année à rester d’octobre à octobre…

Reste que cet ensemble, qui repose sur bien peu de personnes, manque un peu d’envergure. François Leboulanger le déplore, qui reconnaît que l’idéal serait de disposer sur place d’un ou plusieurs établissements dont la création doit « être d’ores et déjà envisagée, en tenant compte à la fois des principes médicaux et pédagogiques de redressement » 983 . Les circonstances vont se charger, en partie au moins, de lui répondre.

Notes
971.

AMSE 4I3. Dans le dossier concernant le Comité de patronage s’est glissée une note destinée au Secrétaire général de la Mairie à propos du Comité de défense (17 juillet 1935) ; il y est indiqué que son Bureau comporte vingt-cinq membres, dont dix-neuf proviennent de la Commission de l’enfance anormale. La note porte : Comité de patronage (barré, remplacé au crayon par : défense) des enfants délinquants et en danger moral…

972.

Assemblée générale de la Fédération, 18 novembre 1931.

973.

On trouve la trace de cette impulsion donnée par le procureur dans le Bureau de la Fédération du 7 décembre 1931, le Comité fédéral du 11 mars 1932, le conseil d’administration du 28 janvier 1937. Le conseil d’administration du 21 janvier 1933 signale par ailleurs que des réunions communes entre la Commission de l’enfance anormale et le Comité de l’enfance traduite en justice. Enfin au Comité fédéral du 28 février 1933, François Leboulanger cite dans son rapport l’adhésion récente à la Fédération du Comité de défense des enfants traduits en justice dirigé par MM. Poncetton et Riolacci.

974.

Assemblée générale de la Fédération, 28 février 1933 et réunion du Comité de l’enfance délinquante, 4 février 1933. Marinette est alors convoquée comme déléguée à la liberté surveillée.

975.

Dans le long rapport moral de François Leboulanger.

976.

Conseil d’administration de la Fédération, 18 mai 1936.

977.

Ils, ou plutôt elles, sont cité(e)s : Melle Beutter fait office de secrétaire de l’Ecole de puériculture, Melle Thivet fait office de monitrice à la Maison Familiale, Melle Pinatel est secrétaire (de la Fédération ?), et Melle Heurtier, donc.

978.

Il s’agit de Melle Charnay, proposée à la Fédération par Mme D. Veillith.

979.

Le 14 mai 1936 à la préfecture. Antoine Pinay, lui aussi présent à cette réunion, est alors député.

980.

On ignore d’ailleurs si c’est effectivement Antoine Pinay qui est à l’initiative de la démarche, ou si c’est Marinette Heurtier qui lui a demandé d’intervenir.

981.

Plus le remboursement de ses frais de déplacement, soit 3000 francs du conseil général.

982.

Moins qu’un commis d’inspection avant la guerre. On trouve plus tard d’autres petits signes de tension, dont un au moins sur une question financière. Au Conseil d’Administration du 21 octobre 1938, Marinette Heurtier, qui veut acheter une voiture, demande à la Fédération de lui avancer l’argent, qu’elle rembourserait à raison de 400 francs par mois. On peut supposer que sa démarche est justifiée par le fait que les déplacements dus aux enquêtes seraient facilités par ladite voiture. Mais la Fédération ne veut pas jouer les banquiers : « Il n’y a pas de raison pour que la Fédération paie sa voiture », dit Me Fougerolles. La demande est rejetée.

983.

Comité fédéral, 28 février 1933.