c) l’ébauche d’un service de placement et de surveillance

Mais le Comité de patronage est également habilité, par arrêté du 5 septembre 1935, à recevoir du tribunal des mineurs délinquants 1003 , en application de l’article 66 du code pénal modifié par la loi de 1912 1004 . Le second volet de l’assemblée générale du 29 avril 1937 est donc consacré à un rapport de Marinette Heurtier sur le placement des enfants que peut recevoir le Comité. A cette date toutefois, ce service est encore embryonnaire : un seul enfant lui a été confié en 1936. Mais il est évident que c’est l’installation de la Maison d’accueil qui a mobilisé l’essentiel des énergies.

Marinette n’en envisage pas moins l’organisation d’un système de placement, peut-être sur le modèle d’Usson-en-Forez qu’elle connaît bien où les enfants ont une école d’apprentissage à leur disposition, mais sont logés dans des familles du village 1005 . On retrouve dans ce rapport les caractéristiques déjà prêtées à la campagne :

‘« C’est encore loin de la ville, de ses plaisirs, de ses besoins factices, qu’il faut placer les petits malheureux. C’est près du paysan français qu’ils retrouveront les vieilles qualités de travail et d’économie qui font les honnêtes gens. »’

Sans compter qu’un apprentissage rural est préférable à un apprentissage urbain, puisqu’il est plus difficile dans ce dernier cas de s’installer ensuite à son compte 1006 .

Mais il faut aussi choisir des familles où la formation morale s’ajoutera à la formation professionnelle, sans exploitation de l’enfant. Cela suppose des garanties claires, et réciproques : Marinette Heurtier souhaite l’établissement d’un contrat sur le modèle de celui de l’Assistance publique. Cela suppose aussi une surveillance : il faut faire tous les six mois un rapport à la préfecture et au tribunal. Et « ce contrôle, directement exercé sur le paysan, l’énerve 1007  : il veut bien avoir à faire à une personne comme au Comité de défense, mais pas à plusieurs. » C’est donc « un travail délicat qui absorbe et dont une seule personne ne peut s’occuper effectivement. »

Avant d’envisager un employé permanent et rétribué, il faut organiser le service, ce que Marinette Heurtier se refuse à faire : « j’ai trop d’enfants à surveiller », dit-elle. Elle fait donc une fois encore appel aux bonnes volontés, demandant à chacun de ses auditeurs de rechercher, par exemple au cours des prochaines vacances d’été, quelques cultivateurs « petits propriétaires à domestique unique », qu’ils connaissent personnellement. On reste presque encore dans une image familiale : le petit paysan très Troisième République, modeste (donc moral et digne d’être donné en exemple), propriétaire (donc assez nanti pour n’être ni révolutionnaire ni exalté), doit de préférence être choisi par relations, parmi les proches du Comité.

Les placements ne seront pas réguliers, arriveront à n’importe quel moment et certainement pas à la date habituelle des embauches, mais il sera au moins possible de se porter garant des enfants : pas de « bandits », pas de « vicieux ». Sans doute d’ailleurs serait-il néfaste de raconter à l’employeur les fautes passées de l’enfant :

‘« Laissons leur d’abord faire connaissance et s’apprécier mutuellement. Le coupable vous craint, c’est vous qui êtes le frein, le conseiller dont le paysan se servira s’il est besoin. Et puis c’est vous qui remplacez la famille toujours déficiente. »’

On peut difficilement aller plus loin dans le bénévolat, puisque selon le texte, le paiement même des familles d’accueil est incertain. En revanche, on retrouve ici certains aspects de la méthode utilisée à la Maison d’accueil, et notamment cette façon de laisser à l’enfant assez d’espace pour se constituer des relations humaines avec sa famille d’accueil, en évitant de trop dévoiler son passé ; c’est une façon de lui permettre de développer ses qualités personnelles, et d’éviter sur lui une pression trop forte. Elle est intéressante aussi, cette idée de ne sélectionner que des paysans déjà connus, bien si possible, afin de s’assurer d’une certaine connivence avec l’enfant, et en tout cas d’assez de tolérance pour qu’il ne soit pas d’emblée considéré par eux comme un « bandit ». Dans la famille d’accueil comme chez l’enfant, ce sont les qualités humaines que l’on essaie de privilégier. Ce que facilite évidemment le partage des tâches esquissé : à la famille d’accueil la fonction d’éducation, morale et professionnelle, et au surveillant celle de surveiller, conseiller et, le cas échéant, punir. En quelque sorte, la famille serait maternelle, et le représentant du Comité, paternel…

Un an plus tard 1008 , Marinette Heurtier donne un peu plus de précisions. D’abord, les enfants qui détestent la campagne n’y sont pas placés : ce serait la meilleure façon d’en faire des vagabonds ! Si leurs goûts ou leur âge le permettent, des portes leur sont ouvertes : celle de M. Roche, directeur des Mines de la Loire, celle du colonel Morel, chargé du recrutement militaire. Ils acceptent de bon cœur cette « main-d’œuvre de second ordre qui ne leur donne pas satisfaction. » Du côté des employeurs potentiels aussi, une forme de bénévolat est donc de mise ; on reste ici proche d’une forme traditionnelle d’œuvre, presque de nature paternaliste.

En précisant qu’elle a pu dans l’année écoulée placer une trentaine d’enfants et que plus de la moitié a conservé sa place, elle regrette les dispositions légales qui interdisent les embauches à l’essai : les patrons hésitent à embaucher un enfant qu’ils ne connaissent pas, et pour qui la recommandation de l’assistante sociale « n’est pas une garantie, bien au contraire ! » Et elle fait adopter à l’Assemblée un vœu sur le respect de la loi sur le casier judiciaire : parce qu’elle n’a pas été respectée, un garçon a vu son engagement dans l’aviation refusé, en raison d’une condamnation antérieure.

Reste que son appel aux bonnes volontés de l’année précédente n’a pas été entendu, ce qui sous-entend qu’elle a seule assuré la marche du service de placement. Elle demande donc la création d’une commission spécialement chargée de l’organisation des placements et de la gestion des gains des enfants.

Nous avons peu de choses sur l’évolution de ce système, dont le principe n’est pas sans rappeler celui de Louis Comte par sa dominante rurale et familiale. Mais il est peu probable qu’il ait pu prendre un grand essor dans des conditions aussi précaires. Un rapide sondage dans les décisions du tribunal pour enfants et adolescents pour 1941 montre que pour plus de deux cents enfants jugés, deux mineurs ont été confiés au Comité de patronage pour un tel placement 1009 .

Marinette Heurtier en reste très probablement la principale responsable. En tout cas, reconnaissant le grand rôle qu’elle joue, notamment en faisant la liaison avec les services de l’Assistance publique et de la Maison Familiale en sa qualité d’assistante sociale de la Fédération, mais aussi du tribunal comme déléguée, elle est nommée directrice de la Maison d’accueil, section délinquants. A défaut de lui donner des personnes susceptibles de la seconder, le Comité de patronage juge néanmoins utile de sanctionner par un nouveau titre son activité, alors même que le départ d’André Mailhol est évoqué. Plus que jamais, Marinette Heurtier est l’animatrice du Comité de patronage, et occupe une place centrale dans le dispositif installé dans la Loire en faveur des enfants, notamment mais pas seulement, délinquants.

Notes
1003.

Il est cité du reste par Henri Gaillac, op. cit., p. 319, sous le nom de « Patronage des enfants délaissés et en danger moral de la Loire ».

1004.

Et, précise Henri Gaillac, dans le cadre du décret du 13 janvier 1929 qui renforce le contrôle des autorités sur les œuvres privées, interdit formellement les sous-placements, et augmente les indemnités journalières de séjour en internat à 6 francs pour les moins de treize ans, à 4,50 francs au-dessus de cet âge, et fixe l’indemnité de surveillance pour les enfants en placement familial à 1,50 franc. Il rend également obligatoires le séjour et l’observation des mineurs de treize ans confiés au patronages, dans un asile (p. 316). On comprend l’habilitation du Comité de patronage : composé en partie de représentants des autorités chargées de la surveillance, il possède également le lieu d’observation (Maison d’accueil) et les moyens techniques de la réaliser (consultation médico-pédagogique).

1005.

D’où la jolie appellation de « village-école ».

1006.

Si l’hommage aux vertus traditionnelles de la terre, qui sent un peu son Vichy, est amusant dans la bouche d’une personne que l’on retrouvera ensuite dans la Résistance, la suite est plus conforme à un idéal très Troisième République du petit propriétaire. Rappelons-nous aussi Louis Comte, et son envolée sur la campagne toujours prête à accueillir l’ouvrier sans travail.

1007.

Ce qui prouve qu’il n’a finalement pas que des vertus, en tout cas pas celle de la patience…

1008.

Rapport à l’Assemblée générale du 24 mai 1938, Annexe 53. Voir aussi en Annexe 54 le compte-rendu de presse.

1009.

Melle Viviane Bador, qui sera après la Libération recrutée comme déléguée à la liberté surveillée (appointée donc par l’Education surveillée, mais seule pour le département), nous a confirmé la permanence des placements (entretien du 21 mars 1991). Et au cours de l’entretien qu’il a donné à Françoise Hyvert, Paule Forissier et Marie-Claude Meunier, Benoît Ranchoux, qui s’occupera du Comité de patronage à partir de la période de l’Occupation, parle également de placements, notamment dans la commune de Haute-Loire dont il était le maire : Roche-en-Régnier.