2) Une équipe renouvelée, mais des activités sans grand changement

a) fermeture de la Maison d’accueil et recherche de soutiens : les liens avec l’ARSEA

Dans cette période troublée, par la guerre, l’accueil des réfugiés, les difficultés du ravitaillement, la Maison d’accueil cesse à peu près toute activité. Ses bâtiments, dans la Maison Familiale, sont totalement récupérés par l’Assistance publique, qui déjà les utilisait partiellement. Ils sont ensuite réquisitionnés par les autorités de Vichy. Les GMR s’y installent, pillent les machines et les jeux, arrachent la haie, déplacent les grilles et suppriment la cour de récréation pour installer un massif aux initiales du Maréchal 1081 .

Sa réouverture semble coïncider avec la publication de la loi du 27 juillet 1942 1082 . C’est logique puisque, en affichant son intention de mettre en place selon l’expression de Michel Chauvière, « un dispositif privé de gestion non carcérale de la population non délinquante, comprenant centre d’accueil, centre d’observation, centre de rééducation, délégués à la liberté surveillée, etc. » 1083 , cette loi reprend assez exactement ce qui existait à Saint-Etienne avant la guerre et que l’Occupation a mis en sommeil. Le centre d’accueil et d’observation, central dans le dispositif et d’ailleurs conforme à la volonté de classification des enfants déficients alors en vogue, est donc nécessaire. Mais la cohabitation avec les GMR puis les CRS, demeure jusqu’après la Libération.

Les responsables de leur côté changent. Paul Poncetton, malade et chargé d’autres activités au Barreau (il est, comme pendant la Première Guerre mondiale, à nouveau Bâtonnier), limite sans doute sa présence 1084 . Jean Guichard, nommé président de la société de distribution alimentaire l’Epargne à Toulouse, quitte ses fonctions ; il y délègue un ingénieur des services techniques du Casino, Benoît Ranchoux 1085 . Celui-ci, au départ de Marinette Heurtier, la remplace au poste de secrétaire du Comité de patronage. Ce départ ne crée pas davantage de vide dans ses fonctions d’assistante sociale : elle y est remplacée par Melle Dancer et par sa nièce Hélène Luaire puis, après que celle-ci a pris le voile chez les sœurs de Niederbronn à Saint-Chamond, par son autre nièce Marinette Luaire 1086 .

Paul Guichard, le frère de Jean, prend également des responsabilités au Comité de patronage à la même époque, et un magistrat, Pierre Adrien Pommerol, président du tribunal civil, est porté à la présidence 1087 . Il s’agit bien du substitut qui dans les années 1920 est si souvent présent aux audiences du tribunal pour enfants.

Cette reprise d’activités au printemps 1942 avec une équipe renouvelée et dans l’esprit de la législation nouvelle, plutôt innovante en ce qui concerne l’enfance délinquante 1088 , est souhaitée par le ministère de la Justice qui n’entend pas incarcérer les mineurs prévenus 1089 , et facilitée par divers soutiens extérieurs.

Le Comité de patronage n’adhère pas à l’Association régionale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (ARSEA) créée à Lyon en mars 1943 1090 . C’est le Dr Beutter, président de la Fédération des œuvres de l’enfance et dont le Comité de patronage est adhérent, qui représente la Loire au conseil d’administration de l’ARSEA 1091  ; c’est d’autant plus logique que la Fédération a l’avantage du nombre, ayant déjà fédéré l’essentiel des œuvres et associations du département. Mais Benoît Ranchoux rencontre en 1943 et 1944 les responsables de l’ARSEA à plusieurs reprises, et des liens se nouent alors avec le professeur Jean Dechaume. Pour sa part, Jean Chazal de Mauriac, chargé de la coordination des œuvres de l’enfance auprès du secrétaire d’Etat à la Santé et principal inspirateur des ARSEA 1092 , vient à Saint-Etienne en mai 1944 ; le professeur Dechaume est également présent. Cette date semble avoir marqué les protagonistes : une alerte aérienne a lieu au cours du déjeuner au Grand Cercle, prélude au bombardement de la ville le lendemain 1093 .

Benoît Ranchoux parle même d’une sorte de Congrès, organisé à Saint-Etienne en accord avec les magistrats du lieu et sans doute l’ARSEA, avec Jean Chazal de Mauriac comme principal orateur, lequel a expliqué les méthodes à utiliser pour la surveillance et l’éducation des jeunes délinquants 1094 . Il est également question d’une visite au Vinatier à Lyon, d’une maison accueillant les jeunes délinquants du Rhône et encadrée par les Compagnons de la jeunesse 1095 .

Enfin Paul Lutz, inspecteur de l’Education surveillée, vient à deux reprises en 1943 et 1944 visiter la Maison d’accueil 1096 . S’il en reste formellement à l’écart, le Comité de patronage se rapproche donc des nouvelles organisations mises en place par l’Etat Français. Par nécessité, l’emprise médicale semble s’accentuer, par l’intermédiaire du Dr Beutter et de l’ARSEA, et même de Jean Chazal de Mauriac qui, quoique magistrat, est rattaché au ministère de la Santé.

Notes
1081.

Mario Gonnet, article cité, p. 79. Les GMR, CRS de l’époque, ont eu dans les lieux une présence durable : après la Libération, les garçons de la Maison et les CRS continuent de cohabiter, dans des bâtiments contigus ; entre leurs cours respectives, il y a un simple grillage, d’où à l’occasion quelques frictions… (entretien avec André Clavier, 15 avril 1991). Nous ne savons pas ce qu’est devenu le massif.

1082.

Reproduite en Annexe 2.

1083.

Michel Chauvière, op. cit., p. 43. Mario Gonnet, article cité, relève p. 79 que c’est « en 1942 que l’Education surveillée se pencha sur le Centre de Saint-Etienne pour l’aider à se relever. »

1084.

Barreau de Saint-Etienne, Conseil de l’Ordre des Avocats, registre des délibérations. Paul Poncetton est souvent noté absent aux séances en 1941 et 1942, pour raisons de santé. Son travail d’avocat doit par ailleurs passablement l’absorber, comme sa fonction de bâtonnier (être bâtonnier de guerre semble être une tradition : il l’est en 1914-18 et 1939-45, comme son père en 1870). Il cesse d’ailleurs toute activité au Barreau après la guerre : démissionnaire en 1945, il meurt à Chazelles-sur-Lyon en janvier 1953.

1085.

Entretien de Françoise Hyvert, Paule Forissier et Marie-Claude Meunier avec Benoît Ranchoux, 16 avril 1985. La carrière de Benoît Ranchoux est résumée dans : Benoît Ranchoux, 1902-1990, plaquette éditée après son décès par le conseil général de la Haute-Loire.

1086.

Entretiens avec Catherine Gieules (3 juillet 1991) et Mme Trabouyer (26 avril 1991). C’est En 1940 que les sœurs de Niederbronn arrivent à Saint-Chamond ; en 1941 leur école d’assistantes sociales et d’infirmières prend le statut d’association ; le président en est Antoine Pinay.

1087.

Réunion du 22 avril 1942 : liste des membres du Comité de patronage.

Comité directeur : le préfet, le président du tribunal, le procureur de la République sont présidents d’honneur ; Paul Guichard et Mme Chobert sont vice-présidents ; Me Germain de Montauzan est trésorier ; Melle Luaire (Hélène ou Marinette ?) est secrétaire ; Benoît Ranchoux est secrétaire adjoint ; Antoine Pinay et M. Barbu (directeur de l’Asile de Nuit) sont membres. Le nom du président n’est pas indiqué, la fonction pas même citée dans cette liste. Le nom d’A. Pommerol apparaît à l’occasion de demandes de subventions à la Mairie en 1944 et 1945. AMSE 4I3.

Membres (en plus du Comité directeur) : M. Tézenas du Montcel, président du Secours National, M. Meunier du tribunal de Commerce, Dr Robin, médecin-inspecteur départemental, l’inspecteur de l’Assistance publique, l’inspecteur d’Académie, Dr Beutter, inspecteur régional de la Jeunesse et président de la Fédération des Œuvres de l’Enfance, rapporteur au Secrétariat à la Jeunesse, plus les représentants de divers services (services médicaux, d’orientation professionnelle, de la main-d’œuvre, etc.).

La place de la famille Guichard et du Casino au Comité de patronage est en accord avec l’esprit familialiste de la maison : voir Mathilde Dubesset et Michelle Zancarini-Fournel, thèse citée, p. 531 et suivantes.

1088.

Philippe Chaillou, op. cit., p. 50-51 : « Cette loi marque un changement radical dans le traitement judiciaire des jeunes. (…) [Elle] marque les progrès de la notion d’éducabilité des mineurs délinquants, notion qui avait commencé à apparaître officiellement en 1912 et qui progressivement avait gagné du terrain. Paradoxalement, ce texte issu de la révolution nationale pétainiste ne connaîtra, quant au fond, que peu de modifications au moment de son remplacement par l’ordonnance du 2 février 1945. » Le point de vue de Wilfred D. Halls, Les jeunes et la politique de Vichy, Paris, Syros-Alternatives, 1988, 502 p., p. 194-196, doit donc être nuancé. Limiter l’action de Vichy dans le domaine des réponses à la délinquance à un retour de la répression est excessif.

1089.

CAC, 19980162/15.

1090.

Dominique Dessertine, La Société Lyonnaise pour le Sauvetage de l’Enfance (1890-1960), Toulouse, Erès, 1990, 218 p., p. 149 et Michel Chauvière, op. cit., p. 54 et suivantes.

1091.

9 avril 1943, lettre de G. Pontet, secrétaire de l’ARSEA, à Charles Beutter : « Au cours de la réunion constitutive de l’Association pour la Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence dans la région de Lyon, tenue sous la présidence de M. Angéli , Préfet régional, le 4 mars écoulé, vous avez été désigné en qualité de membre du Conseil d’Administration de ce nouvel organisme. » Le 26 octobre suivant, la Fédération adhère à l’ARSEA.

Antoine Pinay est également au nombre des membres ligériens de l’ARSEA, mais rien ne prouve qu’il ait lui participé à ses réunions.

1092.

Voir par exemple les divers articles consacrés à l’histoire de l’Education surveillée dans « Des jeunes sous surveillance », Revue Pour, Toulouse, Privat, n°110-111, 1987, 166 p., p. 43-108. Jean Chazal, Les magistrats, Paris, Grasset, 1978, 307 p., signale lui-même (p. 103-105) qu’il a été chargé au printemps 1943 de la coordination des administrations ayant en charge les questions de l’enfance déficiente et en danger moral., et qu’il a dans ce cadre commencé à former des éducateurs (dont un certain nombre de juifs, réfractaires au STO, résistants…, le tout avec l’accord du Dr Grasset, ministre de la Santé).

1093.

5 août 1952, lettre de Benoît Ranchoux au professeur Dechaume, et réponse (sd) du Pr Dechaume, à propos de ces péripéties.

1094.

Peut-être fin mai 1944 : par lettre du 3 juin au Dr Beutter, Paul Guichard se dit « très heureux, jeudi dernier, de vous faciliter l’échange de vues que vous avez eu avec le Procureur Chazal . » Il le remercie également de ses marques de sympathie « à l’occasion du bombardement terroriste qui s’est abattu sur notre pauvre cité » et auquel les établissements du Casino, situés à proximité de la gare de Châteaucreux, ont payé en effet un lourd tribut.

1095.

Entretien de Françoise Hyvert, Paule Forissier, Marie-Claude Meunier avec Benoît Ranchoux, 24 avril 1985. Et lettre du président de l’ARSEA au Dr Beutter, 10 janvier 1944 : à l’occasion de l’inauguration de la Maison d’enfants et du Centre des mineurs délinquants du Vinatier par Jean Chazal le 21 janvier suivant, une réunion de l’ARSEA est organisée à la préfecture.

1096.

3 octobre 1952, lettre de Benoît Ranchoux à Paul Lutz : « Peut-être vous souvenez-vous de nos entretiens, lors de vos inspections en 1943 et 1944, alors qu’en l’absence de Mademoiselle Heurtier j’étais devenu Secrétaire Général de notre Comité. (…) Vous avez connu M. Paul Guichard , à l’époque où vous êtes venu nous inspecter, et c’est avec lui que nous vous avions fait faire la visite de nos différentes sections. »