b) une relance ambitieuse du Comité : réouverture de la Maison d’accueil et projet d’une maison pour les filles

Le Comité de patronage en effet ne saurait se passer de ces protections. Il est possible qu’il ait continué à vivoter après 1939-1940, conservant par exemple la garde des enfants qui lui avaient été confiés avant l’Occupation. Mais une tentative brutale de réouverture de la Maison d’accueil en avril ou mai 1942 lui a montré qu’une telle opération ne pouvait se faire dans l’improvisation.

Sous l’impulsion de la Chancellerie, le parquet lui envoie alors en bloc les prévenus mineurs de la prison, grossissant brutalement le « petit effectif » de la maison, sans sélection préalable. Quelques-uns, âgés, plus ou moins « idiots » et incontrôlables, provoquent dès la première nuit des troubles tels que dès le lendemain la moitié du groupe est réexpédiée au parquet 1097 . Non seulement la surveillance est insuffisante, mais des incertitudes demeurent quant à la disposition des bâtiments : il est difficile de présenter un projet de rénovation quand les GMR voisins lorgnent sur les quelques pièces restant dévolues à la Maison d’accueil. Il est donc demandé au ministère de la Justice de soutenir le projet, en intervenant pour empêcher une totale expropriation du Comité de patronage (ce que le préfet se refuse à faire), et en fournissant un surveillant détaché de l’Administration Pénitentiaire pour la « section de discipline » de la Maison d’accueil. Sur le premier point au moins, la demande est suivie d’effet 1098 .

Dès juin 1942, un plan de rénovation de la Maison est présenté : vingt-trois cellules 1099 dont quatre d’isolement, huit autres réservées à l’Assistance publique (c’est tout ce qui paraît lui rester de la Maison Familiale, dont elle est cependant propriétaire…), une salle pour les contagieux. En février 1943, le financement des travaux est bouclé : le ministère de la Justice couvre un cinquième des travaux, la totalité des frais de personnel, et verse le prix de journée dû pour les pensionnaires 1100 .

Ainsi, la Maison d’accueil est réaménagée : réparations, installation des bureaux, des cuisines, des salles de travail et des chambres pour les enfants, reprenant d’ailleurs la forme originelle de chambrettes à claire-voie avec une entrée grillagée (les « cages à poules »), ainsi que le logement d’une personne de service 1101 . Si dans la plupart des cas il s’agit de réaménagements, le départ de l’Assistance publique des locaux de la Maison Familiale oblige cependant à créer dans la nouvelle Maison d’accueil les services qu’elle assumait précédemment : cuisine, logement d’une partie du personnel.

Avec sa cour de récréation disparue, des difficultés pour obtenir les locaux devant servir de logement à un gardien, et plusieurs mois d’attente des subventions promises 1102 , la Maison d’accueil, rebaptisée Centre de triage et d’observation, ouvre en juillet 1943 1103 . Les activités de l’époque, décrites par Benoît Ranchoux, restent assez traditionnelles : sorties, promenades, jeux. Mais la guerre elle-même se charge de leur donner une portée plus sociale : les bombardements de Saint-Etienne sont l’occasion de former une « troupe de jeunes » venant en aide aux familles sinistrées, pour les aider à déménager, à s’installer ailleurs, à faire quelques travaux d’aménagement. Il est également question d’un chantier consistant à supprimer un crassier sur un terrain destiné à un lotissement (Benoît Ranchoux s’occupe aussi de Sociétés de HLM) et qui a donné plusieurs mois de travail aux garçons. Ces tâches un peu improvisées, ou imposées par les circonstances, donnent finalement une coloration intéressante à des activités qui sinon seraient restées purement occupationnelles ; les prévenus, voleurs ou vagabonds, y apprennent les nécessités de l’entraide. Et, en l’absence d’une surveillance véritable si on suppose l’existence de plusieurs groupes, celles de la responsabilité. Autrement dit, c’est en quelque sorte l’improvisation qui donne à la maison son caractère véritablement éducatif…

L’encadrement en effet est également un peu improvisé, conforme aux moyens du Comité comme à ceux de l’époque. Une femme de prisonnier est engagée et occupe le logement de la Maison d’accueil ; on peut supposer qu’elle a pour fonction d’assurer l’entretien, les tâches ménagères, la cuisine…, d’assumer en somme ces charges que l’Assistance publique, par son déménagement, laisse vacantes. Un adjudant à la retraite est chargé de l’encadrement des jeunes ; il surveille les promenades et le travail 1104 . Il tient lieu d’éducateur, et la gardienne donne une petite touche féminine et maternelle. On peut évidemment émettre des réserves sur les méthodes éducatives employées, un sous-officier en retraite n’étant pas forcément très doué pour le contact avec des adolescents un peu remuants. Mais rien ne prouve qu’il ait eu des problèmes, d’autant qu’au moins il devait posséder un sens de la discipline utile par exemple pour les promenades : seul surveillant pour une trentaine de garçons.

La confiance, le sens des responsabilités, une certaine fierté même de la tâche accomplie au service des autres, éveillés chez les pupilles par la nature et les conditions des travaux qui leurs sont confiés, ont dû faire le reste. Il n’est d’ailleurs pas tout à fait le seul à assurer l’encadrement : il semble que la présence des scouts continue dans cette période 1105 .

Il faut cependant attendre l’été 1944 pour que la Maison d’accueil soit — en théorie au moins — dotée d’un personnel vraiment consistant : un directeur, trois éducateurs, peut-être aussi une assistante sociale (on ne dit pas clairement si elle est affectée à la Maison d’accueil ou au Service social). Si cette embauche est qualifiée de théorique, c’est qu’il n’est pas certain que la subvention destinée à la couvrir soit jamais parvenue à destination. C’est en tout cas à cette époque que la Maison paraît retrouver son rythme de fonctionnement (pour une trentaine de places, elle reçoit en 1944 entre vingt-trois et trente-neuf garçons par trimestre), permettant d’éviter un trop fort nombre de mineurs à la Maison d’arrêt 1106 .

On commence même à ébaucher une sorte de service de semi-liberté, attesté au moins en mai 1944 : trois ou quatre jeunes qui logent au Centre travaillent en ville, accédant ainsi progressivement à une certaine autonomie. Il est même question de développer ce service, en lien avec l’internat de l’Education surveillée de Saint-Jodard 1107 .

Sur cette lancée le Comité de patronage, se conformant d’ailleurs toujours à la circulaire du 8 avril 1935 mais sans doute encouragé aussi par ses nouveaux amis, envisage l’ouverture d’une maison pour les filles, sur le modèle de celle qui existe déjà pour les garçons.

Le projet, lancé à la fin de 1943, est rapidement mené. Benoît Ranchoux trouve à louer à la Palle, rue Marcel Sembat, la « villa-château » de Mme Ouvry, au centre d’un parc de deux hectares. Des travaux d’aménagement ont lieu, pour permettre l’accueil de douze à quinze filles (Benoît Ranchoux parle lui d’une trentaine), allant jusqu’à aménager dans l’ancien oratoire de l’abbé Ouvry une petite chapelle. Mais en juin 1944 la maison, qui aurait dû être occupée dans les semaines suivantes, est réquisitionnée par la Milice. Malgré les démarches de Benoît Ranchoux et Paul Guichard, à Vichy d’abord où Darnand refuse de les recevoir, puis auprès de son représentant départemental, le Comité doit se contenter, en allant y récupérer divers objets demeurés dans les bureaux, d’observer les déprédations des miliciens, par exemple le mur de clôture percé de trous pour servir de meurtrières. Rendue quelques mois plus tard au Comité, mais dans un triste état, la maison revient à sa propriétaire : pour des raisons financières, on ne peut y recommencer les travaux 1108 . Ce projet n’a donc pas vu le jour ; il n’a jamais pu être relancé.

La clinique médico-pédagogique en revanche paraît être le seul service à ne pas cesser son activité. Les consultations continuent, dans les locaux du Comité de patronage, et toujours le jeudi. Elle reçoit deux cent quarante-trois mineurs en 1940, trois cent quarante-six en 1941, trois cent trois en 1942, cinq cent soixante-seize en 1943 : les chiffres sont comparables à ceux de son activité d’avant-guerre 1109 . La réorganisation du Comité de patronage et de la Maison d’accueil paraît même avoir permis en 1943 un certain regain d’activité. La clinique est désormais dirigée par le Dr Gerest 1110 . Elle continue à fournir des fiches de renseignements aux magistrats instructeurs (examens physique, psychique, enquête sociale, à quoi s’ajoute un recours plus systématique au Centre d’orientation professionnelle).

Son installation cependant est rudimentaire, en raison sans doute là aussi de la réquisition de la Maison Familiale, au point qu’en mai 1944 il est nécessaire de lui allouer une subvention d’équipement : balance, toise, appareil de prise de tension, table d’examen, stéthoscope… au point que l’on peut s’interroger sur sa réelle capacité antérieure d’examen. L’assistante sociale qui seconde le médecin de la consultation s’occupe également du dépistage des enfants prédélinquants ou moralement abandonnés, comme c’était déjà le cas auparavant. Pour développer ce dépistage, l’embauche d’une assistante à plein temps est demandée 1111 .

Concrétisation enfin de cette réorganisation générale, le Comité de patronage se constitue, dès le début de 1943, en Service social pour les arrondissements de Saint-Etienne et de Roanne 1112 . C’est la confirmation du rôle du Comité auprès du tribunal, même si cette dernière fonction reste soumise — dans le cas des enquêtes dans la région de Roanne surtout — à l’embauche d’une assistante sociale qui n’est nulle part réellement confirmée.

Notes
1097.

CAC, 19980162/15, lettre du 10 mai 1942 d’un membre du Comité de patronage (un membre féminin : Marinette Heurtier ? elle est directrice en titre et ne quitte Saint-Etienne qu’en mars 1943), à un membre, pas davantage désigné, du ministère de la Justice qui a fait valoir la nécessité d’une réouverture de la maison (Paul Lutz ? c’est lui qui suit ensuite, dès février 1943, et pousse, le dossier de son réaménagement) :

« Après votre visite, j’ai cherché par tous les moyens à réaliser les désirs de votre ministère, pour répondre aux terribles besoins du moment. (…) Voulant appliquer votre deuxième circulaire, le Parquet a vidé la prison des prévenus. C’était mettre la charrue avant les bœufs. Les garçons qui ont grossi notre petit effectif de la Maison d’accueil comptaient parmi eux un demi fou (récidiviste de vol, qui avait frappé son père avec un couteau) un idiot réfugié de l’Est, arrêté pour mendicité, dix-huit ans, couvert de guenilles et de poux — un gaillard de dix-huit ans, récidiviste, aventurier qui a écrit immédiatement à une fille de venir le voir, etc.

Et la première nuit a été le théâtre de malpropretés qui m’ont obligée à retourner, le lendemain, la moitié de l’effectif au Parquet.

Je me refuse à recevoir tous les prévenus quels qu’ils soient avant toute sérieuse réorganisation. Je ne puis être responsable d’évasions ou de faits regrettables devant l’impossibilité d’une surveillance effective. »

1098.

CAC, 19980162/15. Lettre datée de Vichy (du Garde des Sceaux ?) au préfet de la Loire, 12 mai 1942, lui demandant de prêtre son concours aux magistrats pour la réorganisation de la Maison d’accueil. On peut du coup douter de l’occupation de la totalité des bâtiments de la Maison Familiale par les GMR, et il est possible que la Maison d’accueil ait pu conserver quelques pensionnaires, visiblement sans surveillance réelle…

1099.

CAC, 19980162/15, plan daté du 25 juin 1942 ; les cellules mesurent 2,90 sur 1,59 mètres.

1100.

CAC, 19980162/15, note de la Direction de l’Administration Pénitentiaire et de l’Education surveillée (Paul Lutz) au Contrôleur des Dépenses engagées. Sur le prix des travaux, 200 000 francs sont pris en charge par le Secours National et 50 000 par le ministère de la Justice. Les frais de personnel s’élèvent à 65 000 francs pour un économe, deux surveillantes, une blanchisseuse. Le prix de journée est fixé à 25 francs, soit 10 francs au-dessus de l’allocation journalière habituelle en raison de la nécessité dans une région où la délinquance juvénile est importante, soit un supplément de 80 000 francs pour 8 000 journées. La subvention de 195 000 francs (50 000 d’aménagement, 65 000 de personnel, 80 000 de supplément de prix de journée) est accordée par arrêté de Joseph Barthélémy, Garde des Sceaux, le 15 mars 1943.

1101.

Benoît Ranchoux (entretien avec Françoise Hyvert, Paule Forissier et Marie-Claude Meunier, 26 avril 1985) attribue une partie au moins des dégâts à des mouvements miniers. L’expression de « cages à poules » est employée par André Clavier (entretien du 15 avril 1991).

1102.

CAC, 19981062/15, en mai 1943 (26 mai 1943, lettre du procureur général de Lyon au Garde des Sceaux), le Comité de patronage a dépensé 321 000 francs mais n’a encore rien reçu des subventions promises. Les fournisseurs exigent un paiement immédiat : l’ouverture de la Maison ne dépend donc plus que du versement de l’argent annoncé. C’est apparemment une aide de 50 000 francs avancée par les Etablissements du Casino qui permet au Comité de patronage de passer ce cap… Dans les aides extérieures citées dans le budget du second trimestre 1943 figurent d’autres subventions, qui ont sans doute servi à financer diverses fournitures (meubles, matériel), ou des dépassements de budget : le Département (9 350 francs), le Casino encore (5 000 francs, mais cette somme-ci n’est pas remboursable), le journal le Mémorial (2 000 francs), la Caisse d’Epargne (3 000 francs) et deux entreprises (les Etablissements Joanny de Saint-Chamond : 100 francs, les Etablissements Mercier de Saint-Etienne : 1 000 francs). La diversité de l’origine de ces aides pourrait faire penser à une sorte de souscription. La présence du Mémorial, journal à la tonalité nettement collaborationniste, montre l’adhésion du Comité de patronage à la législation de Vichy concernant l’enfance délinquante, il est vrai plutôt progressiste.

1103.

Rapport sur le Comité de patronage, sans date mais postérieur (mars 1953 ?) Le nom de Centre de triage et d’observation est la reprise, avec une inversion bienvenue puisque ce rapport est postérieur à la Libération, des Centres d’observation et de triage instaurés par Vichy. Il montre la continuité des activités du Comité de patronage, sans rupture à la Libération, mais aussi l’utilité pour lui de la législation vichyste qui lui fournit un cadre d’activités. Voir Michel Chauvière, op. cit., p. 54 et suivantes.

1104.

Entretien de Françoise Hyvert, Paule Forissier et Marie-Claude Meunier avec Benoît Ranchoux, 26 avril 1985.

1105.

CAC, 19980162/15, rapport d’inspection de Paul Lutz (13 juin 1944, visite du 17 mai).

1106.

CAC, 19980162/15, 19 mai 1944 : Benoît Ranchoux demande à l’Administration Pénitentiaire une subvention pour frais de personnel : un directeur, trois éducateurs, une assistante sociale et un veilleur de nuit. Il obtient en juin de quoi payer un directeur, trois éducateurs (dont on peut supposer que l’un est préposé au service e nuit), l’assistante sociale étant payée sur aune autre ligne budgétaire. Mais en décembre 1944, la subvention est encore attendue.

Divers comptes-rendus de fonctionnement (listes nominatives de mineurs prévenus accueillis par le Comité de patronage) pour paiement du prix de journée, font apparaître, 1er trimestre 1944 : onze cent soixante-huit journées et trente-huit mineurs, 2e trimestre : mille six cent quatre-vingt-dix journées et trente-neuf mineurs, 4e trimestre : douze cent dix-sept journées et vingt-trois mineurs. On voit bien là qu’il s’agit d’un accueil temporaire, et de durée variable. Mais efficace : un rapport d’inspection de Paul Lutz (visite du 17 mai 1944) note que depuis la réouverture du Centre d’Accueil, il n’y a jamais plus de cinq jeunes détenus à la prison.

1107.

CAC, 19980162/15, 13 juin 1944, rapport d’inspection de Paul Lutz (visite du 17 mai).

1108.

Entretien de Françoise Hyvert, Paule Forissier et Marie-Claude Meunier avec Benoît Ranchoux, 26 avril 1985 et rapport (mars 1953 ?).

1109.

Voir tableau 59, page .