Ainsi à Roanne un Comité de patronage des mineurs délinquants ou en danger moral, déclaré en sous-préfecture le 8 mai 1937 et qui avait apparemment cessé toute activité — s’il en a jamais eu —, fait à nouveau parler de lui en 1943 1113 .
A l’origine, son but est très général : faciliter l’application de la loi du 22 juillet 1912 « et des lois subséquentes » sur la protection de l’enfance et les tribunaux pour enfants, et plus généralement de « contribuer à la protection et au relèvement de l’enfance coupable ou en danger moral » dans l’arrondissement de Roanne ; un rôle en somme d’auxiliaire, ou plus précisément de soutien à la justice, dont rien ne permet de dire qu’il a dépassé un jour le stade des bonnes intentions. Il confirme tout au plus le courant en faveur de l’enfance coupable déjà vu dans les années 1930, et est peut-être le résultat des efforts de la Fédération dans ce sens.
Le 30 janvier 1943, après six ans de silence et peut-être en raison du renouveau législatif qui marque cette époque, il élit un nouveau conseil d’administration. Son président, Georges Dufour, est ancien avoué ; son secrétaire est Pierre Raquin, greffier en chef du tribunal civil ou Me Dubos, avocate, et son trésorier Me Aubry 1114 : un avoué, un salarié du palais de justice, un ou deux avocats. Son siège est au palais de justice. Sur une quinzaine de membres, il n’y a que quatre femmes, presque aucune à un poste important 1115 , et deux demoiselles sur le nombre.
Sans aller trop loin faute de documents bien nombreux, on peut sans doute lui attribuer un caractère juridique marqué, et en tout cas des liens avec le palais de justice local, alors qu’aucun médecin n’y est signalé.
La modification des statuts leur permet de quitter leur caractère très général, puisqu’ils prévoient désormais « d’assurer le service social de sauvegarde de l’enfance » et de « créer, construire une maison d’accueil pour mineurs délinquants ou autres ».
La reprise des textes officiels est claire, comme la transposition presque systématique des buts du Comité de patronage stéphanois. On pourrait même voir dans le terme de maison d’accueil, préféré à celui de Centre d’observation et de triage qu’emploie la loi du 27 juillet 1942, comme dans le souci d’assurer un service social pour le tribunal, un signe supplémentaire de cette proximité. En revanche, il n’est question ni d’examen médical, ni d’anormalité ; le médical est bien absent des préoccupations du Comité, qui confirme ainsi son caractère d’auxiliaire de la justice.
Quelques liens existent avec la Fédération des œuvres de l’enfance, aux réunions de laquelle certains membres du Comité participent à l’occasion 1116 . Lorsqu’il dépose en mai 1943 une demande de subvention pour la construction de ce Centre d’accueil, le Comité roannais affirme qu’il assure le Service social près du tribunal, ce qui renforce le caractère judiciaire déjà énoncé. Son projet est présenté comme conçu en accord avec la Mairie de Roanne, qui de son côté souhaite créer un foyer dépositaire de l’Assistance publique pour les enfants trouvés et abandonnés. Les Hospices civils sont du reste disposés à fournir un terrain afin de bâtir un immeuble recevant à la fois les mineurs en cours d’instruction, et les pupilles de l’Assistance publique. Le décalque de la situation stéphanoise est net, sans qu’on puisse déterminer dans quelle mesure le modèle a été déterminant, ni même conscient, en l’absence de toute trace d’un quelconque contact entre les deux Comités. L’architecte de la Ville a même établi un devis.
Signe que son dossier avance, le Comité roannais est habilité le 2 septembre 1943 à recevoir des mineurs, en vertu de la loi du 22 juillet 1912 1117 . Et en juin 1944, le gouvernement donne un avis favorable à la création du Centre d’accueil de Roanne, sous réserve de modification du plan projeté 1118 , et envisage son inscription au plan d’équipement de la région. Il en est encore question en août 1944 1119 , sous une forme réduite.
Il est difficile, faute d’éléments plus précis, d’apprécier les causes mettant fin au projet. Dès le début en tout cas, on s’interroge sur la nécessité de la dépense au vu du rayon d’action du Comité roannais 1120 . Il est bien possible que l’absence d’un réseau local, tel que celui que le Comité de patronage de Saint-Etienne a pu se constituer en dix ans de fonctionnement, avec des relais auprès des magistrats, médecins, avocats, et des entrepreneurs susceptibles d’assurer un certain soutien financier, a pu jouer. Sans compter évidemment que l’été 1944 est peu propice à l’obtention de subventions, et surtout qu’en cette période un soutien gouvernemental est de peu d’utilité.
Quoi qu’il en soit, les bouleversements de 1944 mettent fin à l’embryon d’activité du Comité roannais. La Maison d’accueil projetée n’a jamais vu le jour, et même sa constitution en Service social en 1943 est contradictoire avec celle du Comité de patronage de Saint-Etienne, à la même époque et pour ce même arrondissement de Roanne, d’autant plus que, contrairement à celui de Saint-Etienne, le Comité roannais ne paraît pas disposer d’une assistante sociale. Il disparaît donc avant d’avoir pu faire la preuve de son utilité.
Sans y voir une résurgence de l’éternelle querelle entre Roannais et Stéphanois, on peut penser que le Comité de patronage de Saint-Etienne a en quelque sorte supplanté celui de Roanne, absorbant des activités à peine naissantes grâce à son antériorité et à ses activités reconnues, rien n’empêchant apparemment qu’un prévenu roannais soit placé quelque temps à la Maison d’accueil de Saint-Etienne.
Peut-être aussi les dépenses déjà engagées à Saint-Etienne ont-elles empêché une redite à Roanne, l’importance plus faible de la ville y donnant moins d’ampleur au phénomène de la délinquance. Il est enfin tentant de voir ici une première amorce de séparation entre le public et le privé, le Comité roannais disparaissant quand s’affirme l’IPES de Saint-Jodard.
L’ensemble des (rares) documents utilisés provient du dossier de l’association, conservé à la sous-préfecture de Roanne et du CAC, 19980162/15 pour la période 1943-1944 uniquement.
Il paraît y avoir une certaine confusion sur la liste des membres, certains étant notés comme partis de Roanne (le trésorier Armand Pascal, notaire), peut-être due au mélange entre anciens et nouveaux membres, à moins que cela ne soit la trace d’un renouvellement du Conseil d’Administration ultérieur à 1943. Les mentions manuscrites portées en marge sont évidemment impossibles à dater…
Le Conseil d’Administration est ainsi composé : président Georges Dufour, ancien avoué, vice-président M. Coquard, secrétaire général Me Dubos (remplacé manuellement par Pierre Raquin, greffier en chef), secrétaire adjoint M. Raquin, trésorier Me Aubry (à la main : trésorier M. Pascal Armand notaire à Roanne, n’est plus à Roanne), membres Mme Lamure, Mme Magdinier, Melle Froment, Melle Roillet, M. Michel, M. Mathieu, M. Bonnaud, M. Maillot, M. Hacquard.
L’avocate Dubos n’a pas de fonction bien claire en raison de la rature indiquée à la note précédente…
Ainsi à la réunion du 1er mars 1943 de la Commission de l’Enfance abandonnée est citée Melle Dubos, avocate, représentant le Comité de patronage roannais.
Arrêté préfectoral, après avis favorable du ministère.
CAC, 19980162/15, ministre de la Santé et de la Famille au ministre de l’Intérieur (Education surveillée), 23 juin 1944 ; les modifications portent sur une plus grande séparation entre garçons et filles : dans le réfectoire, dans les dortoirs prévus en vis-à-vis, alors même que si l’accueil des mineurs en danger moral est envisagé, il n’est pas prévu de recevoir des filles confiées par les tribunaux.
CAC, 19980162/15, 14 août 1944, le directeur de l’IPES de Saint-Jodard au ministre de l’Intérieur (Chef du gouvernement) : le procureur, qui veut créer un Centre d’Accueil pour éviter le séjour des mineurs à la Maison d’arrêt de Roanne, faute de trouver un local disponible, envisage d’ouvrir à Saint-Jodard un quartier pour prévenus mineurs. Après visite sur place, son attaché en a constaté l’impossibilité, mais s’est en revanche déclaré ravi de l’évolution des méthodes de rééducation de l’Education surveillée.
CAC, 19980162/15, 5 mai 1943, avis du procureur général de Lyon suite à une demande de subvention : 550 000 francs pour la construction, sans compter les frais de personnel et d’équipement.