Marinette Heurtier, en même temps sans doute que les services du ministère de la Justice, rentre à Paris en octobre 1944. Elle est payée par le Cabinet du ministre jusqu’à la fin de janvier 1945, puis est engagée par la toute nouvelle Education surveillée, à dater du 1er février, comme assistante sociale. Rattachée administrativement au Centre d’observation des mineurs de la rue de Crimée puis de Savigny-sur-Orge, elle est chargée de l’inspection des œuvres privées. La dénomination de son poste une fois de plus fluctue : appelée ici institutrice, là assistante sociale-chef (classée au premier échelon du corps : une débutante, à cinquante-sept ans ?), personne ne paraît disposé à la qualifier d’Inspectrice de l’Education surveillée, ce qu’elle est en fait 1146 .
C’est à cette époque qu’Henri Michard, également inspecteur à l’Education surveillée et fondateur du Centre de Recherche de Vaucresson, fait sa connaissance : ils sont collègues, se croisent dans les mêmes bureaux de la place Vendôme. Il garde d’elle le souvenir d’une femme de caractère, mais discute de sa compétence, qu’il lui reconnaît volontiers « pour la protection de l’enfance, moins pour les délinquants » 1147 . On retrouve là le problème originel de son absence de formation.
Ces inspections d’œuvres privées sont en tout cas nécessaires dans cette période. Beaucoup de petits établissements créés pendant l’Occupation et habilités à recevoir des mineurs ont du mal à subsister, faute de moyens. Par ailleurs, le secteur privé pèse d’un poids considérable dans la rééducation. Numériquement supérieur au secteur public, il est cependant particulièrement hétéroclite. Avec l’argument des prix de journée, qui régularise leur fonctionnement, l’Education surveillée pousse alors à la création de Centres d’accueil au service des juges des enfants, et à la modernisation d’établissements anciens comme les Bons Pasteurs 1148 . On ignore évidemment le rôle de Marinette Heurtier dans ce mouvement qu’elle est supposée accompagner, sinon accélérer. Mais on peut remarquer que la réforme, douce pourrait-on dire, des établissements anciens est finalement assez dans la ligne de la série d’articles publiés en 1935-1936 dans la presse stéphanoise, et à laquelle elle a participé. Et la reconnaissance de l’intérêt des « centres d’accueil » ne peut que conforter celle qui a participé à la création puis au fonctionnement de la Maison d’accueil de Saint-Etienne, dont la mission est finalement la même.
L’adhésion de Marinette Heurtier à la politique poursuivie, en matière d’œuvres privées, par l’Education surveillée est très vraisemblable. On peut donc voir dans sa nomination autre chose qu’une reconnaissance des services rendus, dans la Résistance par exemple. Plus même, animatrice elle-même d’œuvres privées ou locales avant la guerre, elle peut grâce à son poste participer au maintien d’un secteur indépendant, formellement au moins, de l’Etat 1149 .
Mais Marinette Heurtier, s’il n’est pas du tout certain qu’elle a inspecté des établissements de la région stéphanoise 1150 , n’en renoue pas moins avec sa région d’origine. Elle prend en septembre et octobre 1945 un congé sans traitement, « en vue notamment d’une refonte des services sociaux auprès du Tribunal et de la direction du Centre d’Accueil. » 1151 C’est en tout cas en octobre qu’est embauchée une nouvelle assistante sociale 1152 , Marie-Antoinette Orelle, pour assurer ledit service social. On y retrouve aussi sa nièce Marinette Luaire, qui l’avait remplacée après son départ en 1943. Et il semble bien que Marinette Heurtier a elle-même recommencé à travailler dans ce même service, alors même qu’elle était encore en poste à Paris 1153 .
Du reste sa situation y est difficile. Ses rapports avec le directeur de l’Education surveillée Jean-Louis Costa sont tendus. On peut en voir un exemple dans les nombreuses récriminations qu’elle adresse à ses services à propos du versement de son salaire ou de ses frais de mission. Par souci d’efficacité, ou par mauvais esprit, elle les adresse systématiquement au directeur de l’Education surveillée, dont le cabinet renvoie alors la réclamation au service ou au Centre concerné. Ce légalisme exacerbé a pu, en haut lieu, lasser 1154 …
L’ambiance parisienne, lourde des procès d’épuration, trop « politique » en somme, y est sans doute pour beaucoup. C’est du reste au moment de son congé, à la fin de 1945, qu’elle intervient pour disculper Antoine Pinay des soupçons de collaboration qui pèsent sur lui et faire lever l’inéligibilité qui le touche, afin qu’il puisse se présenter aux élections cantonales de septembre 1155 .
Marinette Heurtier quitte donc l’Education surveillée en date du 1er avril 1948. Et si postérieurement on parle de démission 1156 , elle est plus vraisemblablement mise à la porte 1157 .
Elle conserve cependant des relations à la Chancellerie. A l’occasion, elle sait les utiliser quand il s’agit de faire appuyer une demande de subvention. Elle sollicite ainsi en 1948 l’intervention dans ce sens de Jeanne Lalouette, et recourt à l’occasion à celle de son ancien collègue Granjon.
A la Libération, elle renoue également avec Antoine Pinay, et c’est probablement à cette même époque que ce dernier arrive à la présidence du Comité de patronage. Cette prise de fonction est la traduction de la complicité, renforcée par l’Occupation et ses suites, de deux personnes qui se connaissent et s’apprécient depuis le début des années 1930, sont de la même génération et s’entraident (le conseiller général Pinay soutient et subventionne le Comité de patronage, le ministre Pinay pousse parfois à Paris un dossier de financement, Marinette l’aide à se disculper des accusations de collaboration et participe à ses campagnes électorales) 1158 . Cela laisse supposer quelques affinités politiques 1159 .
Dossier de Marinette à l’ISES de Savigny-sur-Orge. Cette variation est due sans doute au fait qu’elle est contractuelle, et en plus non diplômée.
Entretien avec Henri Michard, 6 février 1991. Henri Michard était inspecteur d’Académie à Blois, lorsqu’a lieu la nomination d’un de ses anciens collègues comme préfet. L’épouse de ce préfet, fort intéressée par l’IPES locale, conduit Henri Michard à s’intéresser lui aussi à l’Education surveillée. Il y entre le 1er janvier 1946 comme inspecteur général, avec déjà l’idée d’un centre d’études. Les premières étapes en sont, fin 1947 puis en 1948, des stages pour juges des enfants et éducateurs. En 1951 le Centre de Vaucresson ouvre ses portes. L’équipe de recherches devient permanente en 1957. Henri Michard a pris sa retraite dans la Loire, non loin de Roanne. Il est décédé à Régny le 21 juin 2002. Son fils est éducateur.
Henri Michard, « 1945-1958 : le grand bon en avant », in Revue Pour, Toulouse, Privat, n°110-111, 1987, 166 p., p. 61-62.
Alors que par ailleurs on nationalise passablement, et que l’Etat prend, dans le domaine économique notamment, un rôle important.
On peut supposer que si elle avait eu à inspecter la Maison d’accueil, on en aurait conservé le souvenir, sinon la trace. Il existe en revanche la trace d’un déplacement en Algérie à l’été 1946 dans son dossier à Savigny.
27 septembre 1945, lettre du procureur de Saint-Etienne à son ministre de tutelle, annonçant le retour, le 1er septembre (son congé court officiellement du 7…), de Marinette Heurtier comme chef du service social.
En fait, elle n’est qu’auxiliaire sociale : encore un problème de diplôme…
Lettre de Benoît Ranchoux à la CPM, 3 mars 1953 : avant 1948, Marinette Heurtier « était rémunérée en partie comme inspectrice de l’Education surveillée, et en partie comme assistante sociale du service social. »
Par exemple, cette note rageuse en marge d’une réclamation : « Comment expliquer qu’il y a seulement Mlle Heurtier qui a des difficultés pour ses missions ! ! » Marinette a en revanche conservé de bonnes relations avec son collègue Granjon, magistrat et membre en 1945 de la première équipe de direction de l’Education surveillée et responsable en 1950, dans cette Direction, du bureau des Associations (renseignements sur M. Granjon donnée par Jacques Bourquin).
Christiane Rimbaud, op. cit., p. 45-49. D’après Viviane Bador (entretien du 21 mars 1991), Marinette Heurtier a même participé directement aux campagnes électorales d’Antoine Pinay.
Attestation de Jean-Louis Costa, 12 février 1951.
Entretien avec Henri Michard, 6 février 1991. Et en date du 1er mars 1948, une note très sèche de Jean-Louis Costa, en référence à un récent entretien, lui confirme la résiliation de son contrat.
C’est Antoine Pinay qui fait la demande de subvention à la Mairie en avril 1946, il n’est explicitement indiqué comme président que quand il signe celle d’avril 1947. Mais Viviane Bador, déléguée à la liberté pour le département depuis le 1er avril 1946, indique qu’elle a « toujours vu » Antoine Pinay à la tête du Comité (entretien du 21 mars 1991).
Antoine Pinay est né en 1891, Marinette Heurtier en 1888 : elle est, de peu, son aînée.
Mais cette notion est à manipuler avec précaution : aux législatives de mai 1936, Pinay est élu sous l’étiquette de « radical indépendant », qu’il abandonne toutefois en juin 1946 pour se proclamer, définitivement, « indépendant ».