1) du Comité de patronage à la Sauvegarde

a) une union difficile, dont le Comité sort apparemment vainqueur

Vers 1950, la place de Marinette Heurtier y est encore prépondérante. Elle continue à y imprimer sa marque personnelle : celle d’une œuvre privée, pour qui les pouvoirs publics n’ont qu’un rôle de financeurs. Forte de son prestige de pionnière locale du service social, et de résistante, elle ignore superbement l’ARSEA, se refuse à un contrôle trop tatillon de l’Etat et entretient son indépendance, quitte à mettre en danger le confort financier du Comité. Par ailleurs, son caractère et les conditions un peu tendues dans lesquelles elle quitte son poste d’inspectrice pour se retirer sur ses terres, dans son Comité et à la tête de son Service social, font que l’Education surveillée paraît avoir cessé de s’intéresser à la situation stéphanoise 1220 .

Elle vit sans doute assez mal la création de l’Association départementale pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (ADSEA, communément appelée Sauvegarde) dans le département de la Loire, déclarée le 3 octobre 1950, et dont le but essentiel est de fédérer les œuvres privées du département. La présence d’Antoine Pinay, que nous avons vu représentant de la Loire à l’ARSEA mais qui est aussi à la tête du Comité de patronage 1221 , de Marcel Aillaud, directeur de l’Enregistrement ou de Noëlle Eyraud, libraire, dans son conseil d’administration, n’empêche pas la forte tonalité médicale de la Sauvegarde. La principale animatrice en est Hélène Gerest, ancienne avocate mais également cousine du Dr Gerest, d’ailleurs également membre du conseil d’administration. La présence avec le titre de vice-président du Dr Beutter, qui suit les activités de l’ARSEA depuis sa création en 1943, y apporte en quelque sorte le poids d’une existence et d’une carrière totalement consacrées à l’enfance. Il est en somme le lien entre l’ancienne Fédération (qui existe encore) et la nouvelle association de Sauvegarde. Dans ce Conseil figure également le Dr Charles Picot, responsable local de l’UDOPSS 1222 , avec un rôle de coordination des œuvres qui complète parfaitement celui de la Fédération 1223 .

On peut remarquer d’ailleurs que c’est peu de temps après, au cours de son assemblée générale du 2 décembre 1950, que le Comité de patronage modifie ses statuts pour y faire apparaître la nouvelle section de rééducation de la Maison d’accueil. Mais la clause selon laquelle il a pour but « de coordonner les efforts de tous ceux qui s’intéressent à l’enfance délinquante ou en danger moral » ne disparaît pas pour autant 1224 . En sorte que les deux associations sont en quelque manière concurrentes.

Aussi bien, la nouvelle Sauvegarde départementale a quelques difficultés à se constituer. Hélène Gerest envoie pourtant le 15 décembre 1950 une lettre-circulaire sollicitant les adhésions (sans réponse au 1er janvier, le destinataire est réputé adhérent), qui rencontre un certain succès. J. Michel directeur de la CAF de Roanne, le Dr Barnola, J. Magdinier, présidente de la Croix-Rouge de Roanne, J. Imbert gérant de la Société Franco-Suisse d’emboutissage, la CAF de Saint-Etienne (en la personne du Dr Goutagny), le directeur départemental de la Santé, celui de la Population, le procureur de la République, le juge des enfants donnent leur accord de principe. Mais ce n’est que le 26 mai 1951 que se tient l’assemblée générale constitutive de la Sauvegarde : huit mois après sa création officielle.

On peut dauber sur l’origine vichyste des ARSEA et leur image peut-être impure à la Libération. Le contexte législatif de leur création oblige cependant à un peu de retenue, même si on ne peut exclure que Marinette Heurtier ait tenu cette origine pour rédhibitoire. Plus sûrement, c’est le cadre très contraignant qu’elles imposent aux associations adhérentes qui l’en a tenue à l’écart. Qu’on en juge : l’affiliation d’une Association départementale entraîne pour elle l’obligation d’exercer son activité dans le cadre du plan d’équipement arrêté par l’Association régionale, en particulier pour ses projets de création de services, centres ou établissements ; l’agrément des services, centres ou établissements créés ou fonctionnant à l’aide de subventions d’Etat est subordonné à l’établissement d’une convention à passer entre l’Association régionale et l’Association départementale.

En clair : l’association adhérente perd tout pouvoir autre que de gestion. Et l’on comprend les réticences de Marinette Heurtier, attachée à la perpétuation d’un Comité de patronage indépendant, comme d’ailleurs on peut comprendre la séduction opérée sur quelques ingénieurs qui en sont proches, qui y voient une possibilité de financements supplémentaires et de coordination plus large, dans un esprit un peu colbertiste et technocratique.

Le désir d’un rapprochement entre les deux associations concurrentes existe : le juge des enfants Blondeau, le conseil général en la personne d’Antoine Pinay, l’ARSEA elle-même qui déplore le peu d’activité de la Sauvegarde du département, y poussent. Deux événements vont rendre ce rapprochement possible.

D’abord en 1952 la maladie de Marinette Heurtier (hémorragies cérébrales) la conduit à cesser ses activités. Benoît Ranchoux, dont les liens avec le Pr Dechaume sont antérieurs à la Libération, la remplace à nouveau comme secrétaire du Comité de patronage. Ensuite, le transfert de la Maison d’accueil et les travaux qui en découlent obligent ce même Comité à avoir avec les divers financeurs (Population, Sécurité Sociale), et donc avec l’ARSEA qui en est l’intermédiaire obligé, des relations aussi bonnes que possible 1225 . La volonté de constituer un groupement plus vaste, en vue de demander la reconnaissance d’utilité publique, a également joué.

Le Pr Dechaume, président de l’ARSEA, et M. de Fromont, secrétaire de ladite, sont d’ailleurs présents au conseil d’administration du Comité de patronage le 20 juin 1953. Ils exposent à nouveau, mais cette fois directement et sur place, l’intérêt de l’affiliation, en atténuant fortement le danger d’une sujétion à toute intervention extérieure.

La constitution d’un unique « Comité départemental » (on évite apparemment le terme d’Association départementale de sauvegarde…) éviterait une dispersion des efforts, d’autant que l’Association régionale peut rendre de nombreux services : intermédiaire indispensable pour obtenir des crédits, elle peut également apporter une aide technique et administrative à un Comité qui fonctionne encore de façon un peu artisanale. Il est même envisagé la possibilité d’adhésion d’autres œuvres : le Comité se voit donc proposer un rôle central dans la tutelle des œuvres privées concernant l’enfance, à l’échelle du département. Il est bien entendu en revanche que chaque organisme ou institution ainsi fédéré conservera la plus grande autonomie de gestion.

Si on résume : accès facilité aux subventions et contrôle sur l’ensemble des œuvres privées du département, avec une tutelle de l’ARSEA toute symbolique : l’offre est alléchante, et rappelle ce qu’a pu être dans les années 1930 la Fédération des œuvres de l’enfance.

Le 12 décembre 1953, le Comité de patronage réuni en assemblée générale adopte donc le principe d’une fusion avec l’Association départementale de sauvegarde. Laquelle, le 19 décembre suivant, décide pour sa part sa dissolution et son absorption par le Comité.

Le patrimoine (la Maison d’accueil) du Comité de patronage, son ancienneté comme la réalité de son action ont joué en sa faveur ; c’est lui qui perdure donc et absorbe la Sauvegarde « fantôme ». Il prend un nouveau nom : le Comité départemental de patronage et de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence. Antoine Pinay reste président ; les deux Conseils d’Administration sont réunis.

Notes
1220.

Entretiens avec Barthélémy Bayon (28 février 1991), Henri Michard (6 février 1991) et Viviane Bador (21 mars 1991), qui renchérit : elle non plus n’a guère connu d’inspection avant 1960.

1221.

On ignore évidemment les raisons de ce cumul, mais on doute que la présidence de l’ADSEA ait été considérée comme bien importante, sans quoi ses relations avec Marinette Heurtier en auraient à coup sûr souffert. L’absence d’activités réelles de la part de l’association peut en tout cas pousser dans ce sens.

1222.

Union des œuvres privées sanitaires et sociales.

1223.

Elle devient à la fin des années 1950 Comité national de l’enfance (Section de la Loire), cessant de fait ses activités d’animation du secteur de l’enfance pour se cantonner davantage dans un rôle de soutien surtout financier aux associations.

1224.

L’article premier des statuts, apparemment restés sans changement entre 1935 et 1950, est désormais le suivant :

« Il est fondé entre les personnes qui adhèrent ou adhèreront aux présents statuts une association dite Comité de patronage des Enfants Délinquants et en Danger Moral du Département de la Loire. Ce Comité a pour but d’organiser et de gérer avec l’appui des autorités locales et le concours de la générosité publique un établissement dit : “Maison d’accueil“.

Cet établissement recevra les mineurs en deux sections séparées : section d’Accueil et section de rééducation

1°- Les mineurs délinquants confiés par le Juge des Enfants.

2°- Les mineurs délinquants confiés définitivement à l’Assistance publique en attendant leur placement familial.

3°- Les mineurs en danger moral, recueillis par le Comité de patronage ou placés sous sa protection.

4°- Les mineurs détenus en exécution des articles 375 et suivants du Code Civil, relatifs au droit de correction.

5°- Les pupilles difficiles de l’Assistance publique.

6°- Les mineurs vagabonds.

Les catégories énumérées ci-dessus seront recueillies dans des locaux nettement séparés et constitueront des sections distinctes.

Ages limites : Pour l’Accueil de 14 à 18 ans

Pour la section de Rééducation de 14 à 21 ans.

Le Comité a encore pour but de coordonner les efforts de tous ceux qui s’intéressent à l’enfance délinquante ou en danger moral. »

On notera le caractère très théorique de la stricte séparation annoncée, entre garçons des différentes sections, qui n’est guère confirmé par les témoignages décrivant la vie dans la Maison, avant le déménagement aux Petites Roches en tout cas.

1225.

Une lettre de Benoît Ranchoux (22 avril 1953) à M. Malon administrateur de la CAF, le résume bien : « Vous m’avez conseillé de presser l’affaire du prêt de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale à notre Organisme, et vous savez que la condition essentielle mise à l’octroi de ce prêt par la Caisse “La Forézienne“ était que nous soyons affiliés à l’Association de Sauvegarde de l’Enfance.

Je n’ai pas besoin de vous rappeler ce qu’il en est de l’Association Départementale de Sauvegarde de l’Enfance, elle n’existe pas… (…)

Je m’excuse de la brutalité de mon propos, mais en fait, c’est exactement cela, et rien ne sert de la cacher. Il ne nous est pas possible, par ailleurs d’adhérer à l’Association Régionale de Sauvegarde de l’Enfance à Lyon, cet organisme n’admettant aucune adhésion individuelle, mais seulement de groupements départementaux, tels que l’Association fantôme rappelée ci-dessus.

On nous connaît d’ailleurs très bien à l’Association Régionale, et la Président M. Dechaume nous presse de créer, nous-mêmes, à Saint-Etienne, l’Association Départementale nécessaire. (…)

Ne croyez-vous vraiment pas que, dans de telles conditions et tenant compte des faits, la Caisse “La Forézienne“ puisse admettre que notre bonne volonté suffit. (…)

N’oubliez pas que M. Antoine Pinay , Président de notre Comité de patronage, est également Président de l’Association fantôme dont j’ai parlé (…).

Nous ne pouvons évidemment nous engager à un achat [le Centre des Petites Roches] qu’autant que nous avons nous-mêmes la promesse bien réelle de trouver le concours financier nécessaire. »

Une autre au président de l’ARSEA (5 février 1953) reprend des arguments proches, mais regrette : « Pour les raisons que nous vous avons données lors de notre passage (…) il ne nous est pas possible, à nous, de devenir animateurs de cette Association Départementale. »

Entre avril et juin paraît donc s’être passé quelque chose qui a levé les réticences des membres du Comité de patronage… De nouvelles assurances de l’ARSEA, celle de la Sauvegarde d’accepter de se soumettre par l’absorption ?