Procès-verbal d’abandon du commissaire Vivès, 17 juin 1852(AMSE, 3Q67)
L’an mil huit cent cinquante-deux, le dix-sept juin à neuf heures du soir,
Devant nous Vivès (Joseph Benjamin) ; l’un des commissaires de police de la vile de St Etienne, (Loire), officier de police judiciaire auxiliaire de monsieur le Procureur de la République, et plus spécialement délégué pour l’arrondissement du sud, se présente le sieur Jamet (François), sacristain de l’église St Louis, demeurant rue du Chambon, lequel nous fait le rapport suivant :
« Ce soir, dès sept heures et demie, l’église St Louis se remplissait de fidèles, à cause de la bénédiction de l’octave de la Fête Dieu ; je remarquai dans le fond de l’église, deux femmes étrangères qui, ayant assis sur les dalles un bien jeune enfant, paraissaient très préoccupées d’éviter les regards ; me méfiant de leur projet d’abandonner cet enfant je les surveillai de plus près et à huit heures et demis, la cérémonie religieuse étant terminée, je fermai les grandes portes, en invitant les personnes présentes à se retirer. L’une des deux femmes étrangères s’étant sauvée avec la foule, sa complice fut moins heureuse, et je pus la retenir au moment où elle se disposait à abandonner ledit enfant.
Aux questions pressantes que je lui adressai, elle répondit toujours que l’enfant lui était inconnu ; et qu’elle ne pouvait me fournir aucun indice sur sa mère. Ces dénégations étant visiblement mensongères, je l’ai faite garder à vue dans la sacristie, avec l’enfant abandonné, et suivant l’ordre de M. Langlois, curé de St Louis, je viens porter ces faits à votre connaissance pour empêcher un crime, et en livrer les auteurs à la justice du pays. »(…)
En conséquence de la déposition qui précède, nous dit commissaire de police, nous étant rendu en toute hâte à l’église St Louis, où plusieurs personnes réunies dans la sacristie nous attendaient, nous avons appris que la première femme qui s’était sauvée au moment où le sacristain fermait les grandes portes de l’église, n’ayant pas vu ressortir sa complice, avait rôdé autour de l’église et que l’on s’était emparé d’elle comme de la première.—En effet, toutes les deux étaient gardées à vue dans la sacristie avec le jeune enfant qu’elles avaient abandonné sur les dalles de l’église ; nous nous sommes hâté de faire porter cette petite créature à l’Hôtel-Dieu, où nous l’avons accompagné nous même, en constatant que l’enfant du sexe masculin était âgé d’environ vingt mois, qu’il était vêtu d’une petite robe en indienne bleue, corset rougeâtre, coiffé d’un bonnet noir, chaussé de bas gris et de sabots, portant au cou deux petites médailles à ruban rouge.
Ensuite, nous avons interrogé séparément les prévenues de la manière suivante ; et d’abord la fille-mère :
D. Quels sont vos nom, prénom, âge, profession, lieu de naissance et domicile habituel ?
R. Je me nomme Reine Morel, âgée de trente ans, célibataire, née à Vanosc en Vocance, canton d’Annonay (Ardèche) où je demeure auprès de ma mère, veuve et malade, j’ai été domestique, et c’est de là que vient mon malheur.
D. Vous venez d’être arrêtée dans l’église St Louis où vous aviez abandonné votre enfant naturel sur les dalles ?
R. C’est la grande misère qui m’a portée à cette extrémité, car étant sans place et sans ressources, comme ma mère, j’étais bien forcée, pour ne pas voir mourir mon enfant, de le porter à l’hospice, mais je n’ai jamais osé faire cette démarche.
D. Il valait mieux, pourtant, la faire, que de commettre un délit en abandonnant ainsi votre malheureux enfant. Quelle est la femme qui vous accompagnait et vous aidait dans ce mauvais dessein ?
R. C’est la nommée Jeannette Granger, épouse de Jean Laventure, cultivateur, ma voisine, à Vanosc, qui m’avait gardé mon enfant pendant un mois environ.
Q. Cette femme vous a-t-elle conseillé d’exposer votre enfant, et vous en a-t-elle facilité le moyen ?
R. Non Monsieur, c’est à mes instances, et à l’insu de ma mère, qu’elle m’a suivie à St Etienne, sachant que j’étais trop malheureuse pour garder plus longtemps mon enfant.
Q. Quel âge a votre enfant ?
R. Il a dix-sept mois, et est né comme moi à Vanosc, malheureusement il a une infirmité au bas ventre, qui me fait craindre pour ses jours, et tout en regrettant vivement de m’en séparer, je suis heureuse de le voir confier à des soins intelligents et charitables que je ne pouvais lui donner.
Q. Le père de cet enfant vous a donc abandonné et n’a rien fait pour adoucir la rigueur et la honte de votre position ?
R. Malheureusement il mourut avant que son enfant eut vu le jour, car il avait promis de m’épouser, et il l’eut fait.
Q. Avez-vous eu d’autres enfants naturels ?
R. Non Monsieur, et je suis assez punie du premier.
Q. Avez-vous été repris de justice ?
R. Non Monsieur, jamais. (…)
Par tous ces motifs, nous dit commissaire de police reconnaissant que les dénommées ci-dessus sont suffisamment inculpées du délit d’exposition et d’abandon d’un enfant nouveau né, dans un lieu non solitaire, et que dès lors auteurs et complices elles sont passibles des peines portées par l’article 352 du code pénal, nous les avons écrouées provisoirement à la maison d’arrêt à la disposition de M. le Procureur de la République, et rapporté le présent procès-verbal qui sera transmis à ce magistrat ainsi qu’à MM. Les administrateurs de l’hospice pour être statué ce que de droit et avons signé…