Annexe 17 : Colonie des Trouillères, lettre de l’abbé Delajoux au Sous-Préfet exposant ses griefs et protestant de la pureté de ses intentions (et dernier document au dossier des ADL), 2 décembre 1852 (ADL, 7M113)

Roanne, ce 2 Xbre 1852

Encore sous l’impression de l’accueil bienveillant que j’ai eu l’honneur de recevoir de vous, et jeté dans un état voisin de l’indigence par la catastrophe dont m’ont rendu victime les haines aveugles de M. Vernay surexcitées par les calomnies éhontées et les mensonges impudents du Sr Carrier dont les perfides insinuations ont pu tromper sur mon compte des gens qui ne connaissent pas la vie de cet élève de Robert Macaire, j’ose venir de nouveau en toute confiance rappeler à votre sollicitude l’objet de ma dernière demande pour laquelle vous avez eu la bonté d’écrire à Monsieur de Préfet. Si vous le jugez convenalble, je me rendrai moi-même auprès de ce Magistrat sous les auspices de Monsieur Cotton inspecteur général à Lyon auquel j’ai été recommandé par des personnages bien placés qui me connaissent de près.

J’ai écrit à Monsieur le Préfet pour réclamer un mandat de secours de trois cents francs que Monsieur de Ministre des Cultes m’a alloués, dans le courant du mois de mai dernier en ma qualité d’ancien desservant. Mais je n’ai reçu aucune réponse. Oserais-je, Monsieur le Sous-Préfet, vous prier d’interposer votre bienveillante médiation afin que ce mandat vous soit adressé et remis à Monsieur Lièvre s’il arrive pendant mon absence. J’ai des dettes sacrées à payer pour ma nourriture et mon strict nécessaire. Tout ce que j’apprends de la noblesse et de la générosité de vos sentiments chrétiens, me fait espérer que vous daignerez vous intéresser pour moi, car c’est au nom d’un malheur immérité que je m’adresse à la bienveillance de votre cœur.

Les pièces qui me donnent droit à des secours sont déposées dans les cartons du Ministère des Cultes et je me verrai forcé d’y recourir, jusqu’à ce que mon procès soit terminé, ce qui exigera encore bien du temps. Les débats qui vont bientôt commencer révèleront des choses qui feront luire la vérité, si je suis forcé de signaler le cortège scabreux qui appuie M. Vernay et les crocodiles qui en secret attendoient leur proie. Ce sont gens affichant l’hypocrisie et jouant le désintéressement pour mieux spolier.

Si je ne pouvois pas avoir justice d’un pareil brigandage, Monsieur le Sous-Préfet, rien ne serait plus sacré au monde ni traité, ni bien, ni honneur. M. Vernay a saisi le temps où je faisois des voyages indispensables à la nécessité de mon œuvre, comme pourroit lr dire au besoin M. Lièvre qui étoit instruit de tout, pour me faire passer pour associé, tandis qu’il savoit bien que j’étois acheteur et propriétaire. J’avois terme de cinq ans et il n’avoit aucun droit de m’évincer sans jugement, sans condamnation. Il ne pouvoit m’attaquer que comme vendeur, et s’il avoit allégué qu’il n’avoit pas reçu les intérêts, j’avois une réponse péremptoire à faire. Les intérêts ne devoient courir que dès le 1er janvier 1853. Tous les revenus appartenoient à Madame Vernay séparée de bien d’avec son mari devenu insolvable entièrement ruiné. Cette dame faisoit l’abandon des intérêts pout le succès de l’œuvre à laquelle elle tenoit fortement. De plus, elle attendoit que la liquidation fût achevée pour faire un rabais assez fort sur le capital parcequ’elle savoit bien que son mari avoit surpris ma bonne foi et qu’il s’étoit servi de mille moyens à l’aide de ses pisteurs et de ses limiers pour me tromper sur la valeur réelle de ses terres. Elle étoit absente au moment des attaques dirigées contre moi, et elle n’avoit été nullement mise au courant des actes de son mari si prompt à compromettre la fortune de sa femme par les mesures les plus hasardées, les plus chanceuses, par les voies les plus injustes 1267 . Dans quelque temps, il sera livré à la publicité une notice exacte sur la jalousie, les mœurs, les excentricités, les marchés, les procès et les folies de cet homme qui a dévoré par ses monomanies et ses entreprises industrielles incohérentes et excentriques toutes sa fortune et plus des trois quarts de celle de son épouse (au moins un million) en douze années, et cet homme a eu l’impudence de me calomnier après m’avoir fait sa dupe, et il ose se poser en victime !… et un juge de paix avec son ami Carrier ne reculant devant aucun moyen pour séconder M. Vernay et travailler à ma perte et à celle d’une institution charitable des plus utiles au pays sous tous les rapports !… Que la volonté de Dieu soit faite. Je puis appuyer tous ces faits par des preuves et des témoignages.

Je vous prie d’avoir la bonté, Monsieur le Sous-Préfet, de me faire connoître la réponse de Monsieur le Préfet quand vous l’aurez reçue, et d’agréer avec la nouvelle assurance de ma vive gratitude, l’expression sincère de mes hommages respectueux et de mon entier dévouement.

L’abbé Delajoux

chez M. Lièvre, hotel de l’Europe au Coteau à Roanne.

Notes
1267.

Aussi, cette malheureuse femme, contrainte de fournir la nourriture de trois enfants, et à celle de son mari lui-même, qui, quoique gros, grand et bien portant, n’a pas honte de se faire nourrir par la femme qu’il déshonore et accable de mille amertumes, cette infortunée, dis-je, est obligée de courir à l’étranger pour applaudir d’effroyables difficultés et faire une liquidation des plus compliquées à l’occasion des tripotages et marchés faits en Savoie et en Piémont par un mari qui ne se plaît qu’avec des chevaliers d’industrie. Dès qu’elle a appris toutes les infamies qui m’étaient faites et que je l’ai fait engager par M. Hennequin son homme de confiance, afin qu’elle se rende à Roanne pour mettre fin à des procès désastreux, elle a répondu à diverses reprises qu’elle aimoit mieux souffrir la mort et être ruinée que de se mettre face d’un tel mari qui a fait une victime de la mère de ses enfants.