Annexe 38 : exemples de production des colons de Saint-Genest (ADL, 85J)

L’Anatomie,

Nous sommes les petits colons,

Témoignage au père Rebos,

Vœux au père Cœur

L’anatomie

(extrait d’un cahier contenant quatorze chansons et trois intermèdes)

-1-

Quand je passai la révision

Sous le costume du ver de terre

Le major avec attention

Me regarde devant et derrière.

Puis m’ayant vu d’la tête aux pieds

L’v’la tout à coup qui s’écrie

C’gaillard faudra l’mettre cavalier

Rapport à son anatomie.

-2-

Anatomie qu’j’dis comme ça

Vraiment qu’est-ce que ça peut bien être

J’savais pas qu’j’avais c’machin là

C’est-il qu’àa doit beaucoup paraître.

Ousque ça peut bien être placé

Cette bougre de maladie

Ils auraient bien dû m’exempter

Si j’suis atteint d’anatomie.

-3-

Et dir’que j’n’me doutais de rien

C’est vraiment extraordinaire,

J’ai des parents qui s’portent bien

J’ai ma sœur qu’a rien d’arbitraire.

Faut qu’ce soit en moi qu’ce soit venu

C’est à vous dégoûter de la vie

Ah ! j’sens bien que j’suis fouttu

Maint’nant que j’ai l’anatomie.

-4-

Afin de m’en débarrasser

Les camarades de la chambrée

M’ont dit qu’il fallait m’trémousser

Et me repasser toutes leurs corvées.

Aussi j’me donne un mal de chien

J’balaye, je brosse, j’astique, j’essuie,

Ça m’éreinte mais ça n’fait rien

Vu qu’c’est pour mon anatomie.

-5-

Dans la ville toutes les dames ont su

Qu’j’avais cette espèce de machine

Mais quoi qu’elles fassent elles n’ont rien vu

Si j’leur laisse voir ce s’ra ma ruine

Elles eraient bien contentes d’y toucher

Mais chaque fois que j’suis d’sortie

J’ai soin de vite me la trotter

De peut qu’elles voient mon anatomie.

-6-

Si jamais j’meurs à ce beau tantôt

Chos’qu’arrive à presque tout l’monde

Je veux qu’on grave sur mon tombeau

C’te phrase écrite en belle ronde

Ci-gît : Jean François Pierre Lafleur

Qu’a toujours aimé sa patrie

Il n’avait pas la croix d’honneur,

Mais il avait l’

Anatomie.

Nous sommes les petits colons

dédié aux colons des Fermes Ecoles de St Genest Lerpt, Loire

Nous sommes les petits colons

De St Genest, où l’aube est douce

A tout ce qui fleurit et pousse

Entre la plaine et les vallons.

Nous aurions pu, naissant à peine,

En proie au sort lâche et brutal

Subir les fêlures du mal

Dans notre pauvre argile humaine :

Mais combien d’âmes font naufrage !

Que d’ailes glissent au ruisseau,

Quand sur les nids et les berceaux

Se sont levés les vents d’orage !

Nous, dès notre premier matin,

A l’âge des bonheurs sans nombre,

Nous avions vu se voiler d’ombre

Le ciel, la terre et les destins.

Qui prendrait nos petites mains

Pour nous tirer du précipice ?

Qui nous apprendrait la justice ?

Qui nous tracerait les chemins ?

Or, la pitié sainte est venue ;

Et voici qu’à son foyer clair

Elle a réchauffé notre chair

Qui tremblait de froid, toute nue !

Voici que nous avons trouvé,

Sous le toit, sous la feuillée,

La grande table ensoleillée,

La paix de l’âme tant rêvée !

Maintenant, oublieux des maux,

Comme évadés d’un affreux rêve,

Nous travaillons, avec la sève,

A l’abondance des rameaux.

Voici qu’après les temps d’épreuves,

Nous avons doucement connu

La fraîcheur du rire ingénu

Sur nos bouches encore neuves !

Labeur innocent et superbe !

Nous aidons, quand l’été reluit,

La fleur à nous donner le fruit,

Les blés à nous donner la gerbe,

Quand s’ouvrent au ras des sillons

Nos vaillants bras de petits hommes,

Ne dirait-on pas que nous sommes

Les grands frères des papillons ?

Sur le fer qui pétille et fume,

D’autres font voler les marteaux ;

Et c’est la chanson des métaux,

Dans la cadence de l’enclume.

Mais tous, quelles que soient nos tâches,

Nous vivons dans la paix des champs,

Loin des oisifs et des méchants,

Qui sont des déments ou des lâches.

Nous n’avons pour être pareils

Aux lys qui meurent sans souillure,

Qu’à bien écouter les conseils

De la religion la plus pure.

Elle nous dit : « Restez fidèles

A l’immuable probité,

Ce qui fait l’orgueil de l’Eté,

C’est le retour des hirondelles.

Imitez la fourmi portant

Son grain de blé sous la rafale,

Mais n’outragez pas la cigale,

Qui ne peut vivre qu’en chantant.

Si la débauche vous appelle,

Passez sans tourner les talons

Laissez bourdonner les frelons !

L’abeille a le bon droit pour elle. »

Lorsque nous aurons bien compris

Ces enseignements salutaires,

Nous quitterons pour d’autres terres

Les champs que nous avons fleuris.

Là, dans l’immense foule humaine

Beaux d’innocence, ivres d’espoirs,

Nous accomplirons le devoir

Comme on vide une coupe pleine.

Ni trop vainqueurs ni trop vaincus,

Dans les batailles de la vie

Nous n’aurons que la noble envie

De vivre des jours bien vécus.

Le soleil luira pour les nôtres,

Qu’ils soient battus ou triomphants ;

Car nous ausons des fiers enfants

Qui nous en apporteront d’autres.

Et plus tard quand les violons

Mèneront la dernière noce,

Nous ridons au bord de la fosse :

Nous étions les petits Colons !

Bordeaux, le 5 avril (19)07, FA Olympiade.

Témoignage offert au Père Rebos par Jules R., fils du Maire de la ville de Grasse, élève de Saint-Genest, excessivement difficile (16 janvier 1890)

Mon Père,

Lorsque je vins à vous, ô mon révérend Père,

Après avoir fait fi des conseils d’une mère,

J’avais été marqué d’un sceau déshonorant,

Et mon cœur endurci n’offrait rien de garant.

Mais vous avez saisi, avec un saint courage,

Ce cœur qui, bien souvent, vous a couvert d’outrage,

Et vous l’avez pétri d’un levain de vertu.

Mais lorsqu’à vos appels je me montrais têtu,

Redoublant, aussitôt, de vaillance et de zèle

Vous redonniez à Dieu une âme peu fidèle.

Oubliant le passé, songeant à l’avenir,

Vous avez travaillé sans repos ni loisir.

Et si, de loin en loin, vous étiez un peu libre,

C’est au pied des autels que vous alliez revivre.

(…)

Le Dieu qui soutenait votre vaillant combat,

Vous garde, auprès de lui, une place plus sûre.

Votre âme montera dans les cieux, calme et pure,

Avec celles qui font tant de bien ici bas,

Où votre souvenir ne s’effacera pas.

Car, pour moi, quelque soit le sort qu’on me réserve,

Que je tende la main ou qu’un laquais me serve,

Toujours le souvenir du bon Père Rebos

Restera dans mon cœur, même jusqu’au tombeau !

Vœux adressés au père Cœur, 31 décembre 1890

Cher et Vénéré Père Directeur

Ce n’est pas seulement au nom de mes camarades que je prends ce soir la parole. Non certes. Le bien que vous faites autour de vous, les vertus que vous inculquez à tous ceux qui vous sont confiés parlent trop éloquemment pour que l’Eglise et la France, elles aussi, n’accompagnent pas nos vœux de bonne année. Elles vous remercient, en effet, de comprendre aussi bien la véritable éducation Française, la véritable éducation chrétienne. Sans doute, elle offre plus de charmes extérieurs, cette méthode aveugle qui consiste à faire passer trop avant dans les satisfactions sensibles, les années pendant lesquelles au contraire le jeune homme doit apprendre à souffrir. Vous êtes plus soucieux de votre devoir, Cher et Vénéré Père Directeur.

Former des hommes capables de tenir haut et ferme, soit dans la vie civile, soit da,s la vie militaire, le drapeau de l’Eglise et de la patrie, voilà le but que vous avez toujours poursuivi. But noble et grand, digne de votre cœur de père, de prêtre et de Français, digne aussi de tous ceux qui vous aident dans l’accomplissement de votre œuvre, digne des vénérés fils de St François qui viennent avec tant de désintéressement passer au milieu de nous les quelques heures de liberté trop rares, hélas, pour nos âmes que leur laisse leur ministère d’apôtres.

Nous tiendrons donc à honneur, Cher et Vénéré Père Directeur, de répondre à vos nobles projets. Les railleries du monde nous importeront peu. Pour toute réponse, nous lèverons plus haut encore nos emblèmes sacrés, et, de chacune de nos poitrines ce cri, cri d’alarme d’un grand homme de guerre, ce cri sortira, plein d’ardeur et de foi : « Je maintiendrai ! »

Oui, nous maintiendrons. Nous maintiendrons inébranlables nos principes et nos convictions ; nous maintiendrons la foi de nos pères, celle de nos maîtres chéris, et, transportant sur le champ de bataille l’ardeur dont nous aurons été animés pendant la vie civile, nous maintiendrons, même au prix de notre sang, le drapeau Français toujours flottant fièrement au vent de la gloire, de l’honneur et de la foi. Puissiez-vous, Cher et Vénéré Père Directeur, vivre longtemps encore pour voir s’accomplir ces beaux rêves et se réaliser ces vœux, de vos vœux les plus ardents.