Annexe 44 : Les premières avocates au barreau de Saint-Etienne (La Région Illustrée, Noël 1930)

Annexe 45 : textes de Simone Levaillant issus de ses papiers personnels

L’enfance criminelle,

Contre le suffrage des femmes

Simone Levaillant, L’enfance criminelle (sd)

C’est chaque fois avec le même serrement de cœur, que nous acceptons de présenter la défense d’un jeune délinquant.

Il est toujours très pénible de voir, détenu à la maison d’arrêt, ces enfants qui trop souvent ne portent pas l’entière responsabilité des actes qui leurs sont reprochés.

Leur histoire, presque banale, ne varie guère ; d’un prévenu à l’autre, les raisons profondes du délit ne changent pas.

Au fait, il n’y a qu’une cause à la criminalité infantile : c’est le vagabondage. Ces dernières années surtout l’enfant a pris de plus en plus l’habitude de vivre dans la rue ; il ne peut y échapper au danger du mauvais exemple ! Désœuvré, l’enfant traine au hasard des rues, fait l’école buissonnière et recherche la compagnie de petits garçons de son âge. Ils regardent autour d’eux, commentent les affiches suggestives de cinéma, des journaux illustrés, et découvrent les vitrines qui offrent à leur jeune convoitise des objets dont la possession leur semble bien vite indispensable. L’achat leur en est impossible ; d’où la tentation tout d’abord sournoise, puis irrésistible, de prendre puisque l’on ne peut acheter. On vole. Est-ce bien le mot ; car il ne s’agit guère la première fois que d’un fruit, d’une fantaisie clinquante et sans valeur ou de simples sucres d’orge.

Le coup semble réussir ; il n’en faut pas davantage pour que ces gamins prennent goût à l’aventure, en redoublant de ruse et d’adresse. Et il suffit que l’un d’entre eux agisse avec plus d’audace, que la chance semble le favoriser, qu’il devienne l’exemple de la bande, pour que le malheureux se sente un chef.

Les annales judiciaires sont fertiles en exploits de ce genre. Les membres de la jeune association se partagent la besogne et ce sera selon les aptitudes : le plus habile travaillera, d’autres feront le guet, d’autres encore se chargeront d’écouler le butin si l’on ne peut le partager.

Mais comme l’écrivait Mr. le docteur Locard, un cambriolage ne fournit pas toujours les objets que l’on désire ; il serait si facile de se les procurer dans les magasins contre bonnes espèces, sonnantes et trébuchantes. Mais cet argent si nécessaire, ni le père ni la mère ne le donnent, et le jeune malfaiteur se soucie fort peu de le gagner. Il ne doit du reste pas être plus difficile de se le procurer, que les denrées, et par la même méthode ! Et profitant d’une bousculade, d’une altercation, le plus audacieux de la bande, mettra la main dans un tiroir-caisse et se sauvera avec ce qu’il aura pu saisir au hasard d’une poignée.

Dans la plupart des cas celà suffit à mettre un terme aux expéditions de la bande, que l’on retrouve le lendemain sous mandat de dépôt.

Sinon, il n’est pas impossible de découvrir un peu plus tard, sous les traits du héros d’un vol à main armée, celui, qui, par son adresse avait échappé, en se jouant, à la police.

Ces futurs criminels ne sont pas tous des enfants vicieux et amoraux. Trop souvent malheureusement ils appartiennent à des familles d’ouvriers honnêtes mais négligents. Il est nécessaire de surveiller l’enfant, de le pousser au travail, de l’occuper en un mot.

Cette tâche incombe aux parents ; ils n’y échappent pas sans engager lourdement leur responsabilité.

A l’instruction, comme devant leurs juges, les mineurs ne nient pas en général. Certains paraissent mettre leur amour-propre à se reconnaître les auteurs des faits incriminés. Une vanité toute particulière se manifeste chez eux. Cette vanité qui les a conduite au délit. Dans leurs relations avec leurs complices, elle s’exerçait déjà, dans la façon dont ils se vantaient de leur adresse et de leur courage ; c’est à ce même sentiment que les camarades faisaient appel, pour les pousser au crime, leur disant, s’ils hésitaient : “tu as donc peur ? tu n’es pas un homme ?”

Il est encore à remarquer, que bien souvent, ces enfants détenus, respectent un engagement ; ils ne dénoncent pas un complice, ils ont leur manière d’honneur, et on les a même vu faire des actes de générosité par vantardise. C’est donc l’amour-propre qui les inspire presque constamment et l’on peut dire que ces enfants qui bien souvent passent pour amoraux et immoraux, ont bel et bien une morale. Morale très spéciale, il est vrai, uniquement égoïste, mais dont certains éducateurs intelligents pourraient tirer parti. Et ceci me rappelle une anecdote récente. [mention manuscrite]

On emploie uniformément, la maison d’éducation lorsque le délit est léger, la colonie pénitentiaire dans les cas les plus graves. Dans les deux hypothèses, si, par l’effet d’une condamnation même bénigne, l’enfant a pris contact avec des criminels adultes, plus exactement avec des professionnels, il est définitivement perdu.

Avec certaines de ces natures, les moyens répressifs, punitions et réprimandes ne devraient pas être employés, ils ne réussissent pas. Ce sont les moyens ex(c)itateurs, l’éloge et peut-être aussi le type de “la mission de confiance” qui seraient les plus efficaces chaque fois que l’enfant est vaniteux mais intelligent.

Chez les fillettes, le cas délictueux le plus fréquent, est le simple vagabondage. Poussée par la misère et parfois même par des parents indignes, avides de gains, elle devient le jouet de l’apache ou du passant. Les services spéciaux ne tardent pas à l’arrêter. L’enfant est alors traduite devant le Tribunal et généralement remise à un Patronage. Mais si par malheur, elle est déjà atteinte d’une de ces tristes maladies, la maison de relèvement se refuse à l’accepter et après un séjour de durée variable à l’hôpital, la fillette dont le seul crime a été l’abandon et la misère, est internée dans une colonie pénitentiaire. Parce que contaminée physiquement, elle est irrémédiablement vouée à la contagion morale auprès de détenues vicieuses et perverties.

Il est difficile à ceux qui n’approchent pas cette enfance misérable, mais digne de pitié, de soupçonner les difficultés de relèvement qui se dressent devant les bonnes volontés quelles qu’elles soient.

Et si l’on se montre souvent très indulgent pour le petit criminel qui comparait pour la première fois devant le Tribunal, c’est que l’on sait fort bien que la seule chance pour lui de revenir à la vie normale, est le travail, dans son milieu si ce dernier est bon.

Simone LEVAILLANT,

avocat au Barreau de Saint-Etienne.

Simone Levaillant, Contre le suffrage des femmes (sd)

Contre le suffrage des femmes, telle est l’attitude adoptée par le Sénat en juillet 1932 devant les prétentions féministes.

Il s’agissait alors de se prononcer sur le rapport de M. [espace laissé en blanc] sénateur, chargé de conclure sur un projet de la Chambre des Députés, someillant au Sénat depuis plusieurs années.

De sorte que la Haute Assemblée devait discuter une volonté exprimée par des Députés qui n’étaient plus ceux de la Chambre de juillet 1932.

Malgré la campagne très active faite par un grand nombre de Sénateurs partisqns du suffrage des femmes, le passage à la discussion des articles avait été rejeté. Et certains sénateurs de nous dire : qui sait si le projet du vote des femmes est bien l’expression de la volonté nationale du moment ? Celui qui nous est soumis n’est pas de première jeunesse, il y a longtemps qu’une Chambre, aujourd’hui défunte, nous l’adressa. Il serait plus sage d’obtenir de Députés nouvellement élus, nous étions en juillet 1932, de nous faire connaître par le vote d’un texte d’actualité que l’harmonie n’est point rompue entre l’opinion nationale et la réforme réclamée.

Aujourd’hui cette preuve est faite. La Chambre à une majorité impressionnante a renouvelé au Sénat le désir des Français de voir les Françaises partager leurs responsabilités.

Est-ce à dire que cela suffit pour entraîner la conviction de certains sénateurs anti-féministes. J’ai bien peur que non. Et j’ai bien peur aussi que nous n’entendions à nouveau reprendre les arguments que certains croient des raisons péremptoires, bien qu’elles ne satisfassent pas la nôtre.

« La femme est un animal à cheveux longs, à idées courtes » elle ne peut donc voter. Et pour quoi compter alors l’habileté d’un Figaro qui, depuis votre âge le plus tendre, Monsieur, égalise votre chevelure. Mode à laquelle du reste, bien des femmes ont sacrifié la leur.

« Nous n’imposerons pas aux femmes ce geste inélégant de jeter un bulletin dans l’urne », glisse cet autre qui n’ose pourtant affirmer que laver un plancher, récurer une casserole sont de la plus pure esthétique.

« Les femmes ne sont pas citoyennes puisqu’exemptes du service militaire, elles ne doivent donc pas voter » explique un troisième. Le bulletin de vote ne serait-il donc que la récompense du conscrit ; n’avez-vous jamais vu d’électeurs dispensés du service militaire. Et si c’est à une discipline que songe l’anti-féministe, qu’il nous fasse la grâce d’admettre que celle qu’impose la maternité vaut bien celle de la caserne.

Enfin disent la plupart, « la Française ne peut voter car son éducation politique n’est pas faite et c’est aller au devant d’un déraillement du régime, d’un déraillement de civilisation, que de l’admettre au suffrage dans ces conditions ». Que répondre à cela, sinon que nul ne songea jamais à réclamer de l’électeur novice de 21 ans un certificat de préparation et d’aptitude politique avant de recueillir son bulletin de vote. Et par ailleurs il semble que le choix d’un programme politique est pour l’électeur une question de conscience et que si nos Pères ont fait une révolution en 1789 c’est précisément pour permettre à chacun de s’exprimer librement sur ses convictions politiques ou philosophiques.

Pourquoi refuser dès lors aux femmes d’en user de la même façon ? Ce sera affaire de chaque parti politique français d’entreprendre auprès des nouvelles électrices telle campagne propre à lui assurer leurs concours.

Quant à la civilisation elle ne sera pas plus compromise en France qu’elle ne l’a été dans les autres pays du Monde où les femmes votent ; et, comme le disait à la Chambre des Députés M. Candace il n’y a que quelques jours, « on a bien donné le droit de vote aux nègres, pourquoi ne le donnerait-on pas aux Françaises. »

Il est impossible que les Sénateurs ignorent plus longtemps l’évolution de l’opinion publique acquise maintenant au suffrage des femmes, sans quoi, Mesdames, pourquoi ne pas rappeler au Luxembourg, dernier rempart de l’anti-féminisme :

La Tour prends garde

La Tour prends garde

De te laisser abattre.

Simone Levaillant,

Avocat.