CHAPITRE I :
L’ORDRE PRODUCTIF CORPORATIF ET SA FRAGILITE FINANCIERE

Si l’on cherche à étudier la forme que prend la fragilité financière corporative de l’époque médiévale, on ne peut éluder la spécificité des rapports sociaux qui constituent l’époque s’étendant du XIIe siècle au début du XVIe siècle. Les sociétés médiévales sont certainement mal nommées car elles sont beaucoup plus des espaces communautaires que des sociétés au sens où nous l’entendons aujourd’hui.

L’individualisme, fondement des sociétés modernes n’a pas encore vu le jour, même parmi les groupes les plus proches de cet état comme le sont les marchands-banquiers. Si l’esprit corporatif domine sans conteste la vie sociale, il domine aussi l’espace économique.

Certes, la concurrence n’est pas absente, mais elle ne domine pas les rapports économiques au point de les transformer en rapport de marché : le gain, l’enrichissement passe par d’autres voies. La foire, lieu de toutes les transactions, centre de l’espace économique, est avant tout un lieu de stabilité construit autour de stratégies coopératives par les marchands-banquiers.

Mais d’autres communautés ne sont encore qu’à l’état d’ébauche, ce sont les communautés nationales. Partout les territoires sont incertains, l’espace politique improbable, fuyant, toujours remis en cause. C’est ici la grande histoire des souverains, celle des stratégies compétitives qui s’élaborent, des conflits qui éclatent et des guerres qui s’éternisent.

Aussi différents soient-ils, ces deux espaces, le politique et l’économique, doivent pourtant coopérer. Cette conjonction sert l’enrichissement du maître des changes par lettres. Elle sert aussi les ambitions du monarque.

Nous ferons l’hypothèse qu’une telle jonction, construite pour le marchand banquier comme une double-contrainte, ne saurait être stable.

Elle est même porteuse de fractures entre un espace économique homogène et un espace politique insaisissable, chacun de ces espaces s’agrégeant pour constituer le cadre d’un système de réciprocité qui oscille entre stabilité et fragilité produisant de manière inévitable les bouleversements d’où résultent des crises financières de grande ampleur.

Afin d’effectuer cette démonstration, nous nous proposons d’adopter la démarche suivante.

  • Dans un premier temps, il s’agira de clarifier les raisons qui valident l’idée d’une stabilité financière de l’espace économique autour de la foire de change et de l’action du groupe corporatif des marchands-banquiers dans le cadre de l’opération de change par lettre.
  • Dans un second temps, après avoir indiquer les conditions précaires d’exercice de la souveraineté propre à l’espace politique médiéval, nous montrerons qu’une double réciprocité unie le prince et le marchand-banquier. Sous l’un de ses aspects, cette réciprocité assure l’enrichissement « par Art » du marchand-banquier. Sous l’autre aspect, elle induit une inévitable fragilité financière.
  • Enfin, nous efforcerons de valider cette démarche à travers l’analyse de la principale crise médiévale, celle de Florence entre 1339 et 1346, en mettant en lumière les effets de la fragilité financière à travers les séquences de la crise financière résultant du système de réciprocité reliant Princes et Marchands.