1-4- La condition essentielle de la stabilité de l’opération de change :

Comme nous venons de le voir, le change par lettre dans son fonctionnement constitue un système de transaction déterminant sa permanence et sa stabilité à travers trois caractéristiques: la proximité de lieu, l’intégration sociale de la caste et la mise en œuvre d’une monnaie de change privée propre aux marchands-banquiers.

Mais il est une condition qui, quoique implicitement contenue dans ces trois thèmes, mérite une attention particulière: La non-circulation des monnaies de change.

On ne peut concevoir la lettre de change comme un moyen de règlement transmissible de porteur à porteur comme le sont par exemple les espèces. Cette nouvelle caractéristique nécessiterait une méthode inusitée jusqu’alors : la procédure d’endossement 44 . En effet, la formalité d’endos et donc la libre transmissibilité ne se répandra de manière significative qu’à la fin du XVIe siècle.

Elle était pourtant connue et pratiquée depuis au moins 1537 à Anvers 45 où elle n’était pas sans poser problème puisque, si elle rendait possible la transférabilité du titre, elle obligeait le nouveau créancier à prendre à son compte, dés ce moment, le risque d’insolvabilité du débiteur.

Elle se développa cependant en Europe du Nord. Mais, là bas, l’âge des Bourses se préparait déjà à supplanter l’âge des Foires.

Au contraire, les marchands-banquiers italiens, dominants à l’époque, s’opposèrent à sa mise en œuvre pendant longtemps et même à la fin du XVIe siècle la résistance à cette innovation se poursuivit. Au XVIIe siècle encore, Venise l’interdisait. De Roover propose d’expliquer ce comportement d’une double manière 46 .

Au contraire, en introduisant des tiers, ‘“la pratique de l’endossement trouble les relations de correspondance auxquels les marchands italiens surtout attachent grand prix“’ ‘ 47 ’ ‘.’

Autrement dit, le refus de “greffer” la technique d’endossement sur l’opération de change par lettre résulte, fort probablement, de la volonté d’une caste de conserver une situation de monopole sur l’opération en évitant la présence de personnages intempestifs qui échapperaient à son contrôle.

Le change par lettre doit rester une “opération fermée” pour permettre la stabilité et la permanence de “l’enrichissement” et c’est pour cette bonne raison que la monnaie de change ne doit jamais circuler.

Notes
44.

De Roover.R: “Money, Banking and Credit in Medieval Brugges” Cambridge. Harvard University Press. 1948. P 420.

45.

Idem : P 119.

46.

Boyer-Xambeu M.T, Deleplace.G, Gillard.L : "Monnaie privée et pouvoir des princes". Ed du CNRS. Paris. 1986. P 43.

47.

De.Roover.R : "L’évolution de la lettre de change (XIVe - XVIIIe siècles)". A.Colin.Paris .1952.