-3- UNE CONSEQUENCE DE LA FRAGILITE FINANCIERE MEDIEVALE : LA « CRISE FLORENTINE » (1339-1346) :

3-1- A l’origine de la puissance des Compagnies florentines :

La prospérité des compagnies florentines est fondée sur trois activités complémentaires : le commerce, l’industrie et la banque.

En tant qu”inland city”, Florence se trouve au XIVe siècle, particulièrement adaptée au commerce par terre, sûr et régulier, à une époque où le commerce maritime est rendu difficile et souvent même impossible.

Cette puissance commerciale, se concrétisant dans l’importance des marchands florentins lors des foires de Champagne, est étroitement liée au développement des industries de transformation de la laine. Le prestige de ses tissus fait de Florence le centre productif essentiel en Europe comme l’indique J. Bernard 73 :

«  L’étoffe qui venait du Nord et était liée aux marchés méditerranéens, donne vie à l’industrie italienne, spécialement celle de Florence. Cela sous deux aspects. Premièrement, le travail de l’étoffe ‘l’art de Calimala  » dont la bande rouge assurait un prestige au moins égal à celui des étoffes flamandes. Deuxièmement, c’était les manufactures d’étoffe, «  l’art de la laine » qui recevaient les matières premières d’Espagne, d’Afrique du Nord et surtout d’Angleterre puisque les Italiens, depuis le début du XIV e siècle dominaient le commerce anglais de la laine »

Enfin, on l’a déjà noté, les marchands-banquiers florentins dominent la fonction bancaire en Europe à travers le monopole sur les opérations de change par lettre 74 , l’organisation des foires centrales de change et les services de prêts aux différentes aires territoriales de souveraineté.

Cette puissance économique doit se comprendre en liaison avec des conditions politiques spécifiques. Depuis le XIIIe siècle, en finançant la croisade victorieuse de Charles d’Anjou (1265-1268) qui fait d’eux selon Villani, les “Colonnes de la Chrétienté”, les financiers toscans ont contracté une alliance politique et militaire internationale décisive pour l’expansion de leurs affaires :

«  L’alliance politique qui lie ensemble les Florentins, le Prince d’Anjou, le Pape et les Guelfes, donne une impulsion décisive à ces sociétés dans les commerce, la banque et l’industrie ». 75

En outre, sur le plan organisationnel, le XIVe siècle va marquer un tournant qui ne se démentira pas, y compris, ce qui est remarquable, pendant la tourmente financière des années 40. En 1326, les jeunes Compagnies, tirant l’expérience d’une concurrence acharnée qui a conduit l’économie florentine au bord du désastre à la suite de la faillite de la plus ancienne et la plus puissante des compagnies, celle des Scali, décident de sceller une alliance qui constitue le groupe commercial et financier le plus puissant d’Europe. Les comparaisons proposées par E.Miller 76 sont explicites à ce sujet :

«  En 1318, le capital des Bardi était de 875638 Florins, c’est à dire autour de 130000 £, au moment ou le revenu ordinaire de la couronne d’Angleterre se montait seulement à 30000 £ »

On le voit, comme insiste souvent Villani : ” les Compagnies florentines valent bien un royaume”. Une telle puissance sera, dans le premier tiers du XIVe siècle, à l’origine d’une accumulation inouïe de profit.

En effet, si l’on songe que les dépôts reçus perçoivent un intérêt fixe de l’ordre de 7 à 8 % l’an, que les non-associés touchent entre 6 et 10% et que les mêmes compagnies prêtent à des taux compris entre 7 et 15 % aux résidents mais jusqu’à 30% aux emprunteurs étrangers, on peut mesurer l’exceptionnelle situation des compagnies florentines. E.Miller estime qu’entre 1318 et 1324, leur taux de profit fluctue entre 14 et 20 % par an 77 . Enfin, de manière synthétique, F.Seurot 78 rend compte de la hiérarchie des priorités en matière de profit lorsqu’il écrit :

‘“ Or il est vrai que chronologiquement […] l’implantation des compagnies florentines en Angleterre dérive de leur activité bancaire laquelle a relancé et sur une toute autre échelle, leur activité de commerce international. Les importations de laine anglaise n’étaient pas la cause mais la conséquence des crédits que faisaient les compagnies italiennes au roi d’Angleterre […] Leur désir de placer ces sommes les a poussé à chercher un emprunteur qui pourraient les rembourser à la fois en marchandises et en monnaie. Les grandes compagnies ne sont pas des commerçants qui font de la banque mais des banquiers qui font du commerce ». ’

Ce sont donc des groupes commerciaux et financiers qui dominent l’espace économique et s’inscrivent activement dans l’espace politique européen. Ils sont au fait de leur puissance au XIVe siècle et c’est pourtant ce siècle qui sera, pour eux, l’âge de leur ruine à travers les crises financières les plus violentes de l’époque médiévale.

Notes
73.

“The cloth which came from the north, and was linked in this way to the markets of the Mediterranean, gave life to the Italian industry, especially that of Florence. There were two aspects to this. Firstly there was the finishing of cloth, the “arte di Calimala” whose red band assured the product of a prestige at least equal to that of sealed and bordered Flemish cloth; secondly there was cloth manufacture, the “Arte dellalana” which received its raw material from Spain, northern Africa and above all England, for the Italians early in the fourteen century dominated the trade in English wool.” in Bernard. J: "Trade and Finance in the Middle Ages" in Cipolla.C.M : "The Fontana economic History of Europe: The Middle Age". Ed Cipolla. New York. 1971. P 285.

74.

Braudel.F: Op.cité P 91. T II et Volpi.R: «  Le modèle italien et sa diffusion. Mille ans de destruction créatrice. Université du littoral-Côte d’Opale. L. RII. Document de travail n° 61. Février 2003. P 25.

75.

«  The political alliance which tied together the Florentines, the prince of Anjou, the Pope and the Guelf, gave the decisive impetus to this societies in commerce, banking and industry ». Idem. P296.

76.

“In 1318, the capital of the Bardi was 875,638 Florins, worth about £.130,000, at the time when the ordinary income of English crown was only £.30,000 “ in Miller. E : "Government Economic Policies and Public Finance» in Cipolla.C.M: " The Fontana Economic History of Europe: The middle Age". Ed Cipolla. New York. 1971. P 310.

77.

Idem : p311.

78.

Seurot François : « Les crises bancaires en Italie au Moyen Age : Un essai d’application de la théorie de Minsky-Kindleberger » CREDES. Université de Nancy 2. P 14. Voir aussi Renouard.Y : "Les hommes d’affaires italiens du Moyen-Age". A.Colin .1968. Paris. P 179.« Dans l’ensemble, il apparaît que les bénéfices des compagnies étaient plus grands dans le commerce international que dans le commerce local et plus grands dans le commerce de l’argent que dans celui des marchandises.”