3-4- La spécificité d’une crise financière médiévale:

La transmission de la crise financière à l’économie florentine se caractérise par plusieurs dimensions importantes: Banqueroutes publiques, runs et paniques financières puis faillites en chaîne des Compagnies contribuent d’abord à limiter de manière drastique la présence de la Cité dans le cadre du commerce international.

De plus, coupant le crédit en même temps que les débouchés, aux corporations artisanales, elles précipitent la faillite des ateliers de tissage et de confection, principales industries florentines, ce qui est à l’origine du chômage et de la famine parmi le “popolo minuto 98 . L’effet sur les prix est également remarquable. L’analyse laisse apparaître, en effet, une dualité entre actifs et biens de consommation qui semble être une réelle spécificité de la crise financière médiévale :

En premier lieu, actifs réels, productifs et financiers sont brutalement dévalués. Le non-paiement des engagements publics, les moratoires sur les dettes, la consolidation des titres de créances représentent une déflation des actifs dont nous avons montré plus haut qu’elle pouvait atteindre 85% du capital souscrit, du moins dans le cas anglais.

La faillite des artisans florentins et la liquidation de leurs entreprises laisse penser, quoique l’on ne possède pas de chiffres à ce sujet, que la dépréciation des actifs industriels est également la règle. On sait que c’est également le cas pour le patrimoine immobilier et foncier détenu par les compagnies. Si la dépréciation des actifs ne soulève pas de problème théorique spécifique, il n’en est pas de même en ce qui concerne le mouvement du prix des biens de consommation courante 99 : Si l’on considère ces graphiques - ci-dessous - proposés par C de la Roncière, il semble, qu’en ce domaine, les années 40 soient marquées par une hausse des prix assez importante. Au surplus, il est également clair que cela constitue une réelle rupture de tendance.

De la Roncière y voit surtout des raisons liées à des phénomènes d’ordre démographique et en premier lieu, le résultat de l’évolution du nombre de consommateurs 100 . Sans sous-estimer cette hypothèse, il semble possible d’en proposer une autre qui aurait l’avantage de prendre en compte le séisme financier que la cité florentine est en train de subir.

Il faut d’abord rappeler un contexte monétaire florentin marqué par le plurimétallisme et l’existence d’une phase de diminution de change or/argent 101 à partir de 1332 et jusqu'en 1350 102 résultant d'un affaiblissement de l'offre relative de métal blanc. La phase marquée par la crise financière est, on l’a vu, une période où la “ préférence pour la liquidité ” va croissant en fonction de la montée du risque.

Conformément à la loi de Gresham, dans une situation de change favorable à l’argent , cette monnaie est fortement thésaurisée au point que, si l’on en croit Villani, on ne trouve à Florence en août 1345 “ nulla moneta d’ argento , se non la moneta de quattrini  ” 103 .

Document IV- Evolution des prix à Florence entre 1290 et 1370 (Indice 100 : année 1330)
Document IV- Evolution des prix à Florence entre 1290 et 1370 (Indice 100 : année 1330)

Source : « Roncière (Charles de la) :« Florence, centre économique régional au XIV° siècle. Le marché des denrées de première nécessité à Florence et dans sa campagne et les conditions de vie des salariés. 1320-1380. Thèse soutenue à Aix . 1976. P 51.

Dés lors, la monnaie d’or, le florin se trouve frappée d’une si forte dépréciation relative que les prix-or ne peuvent que s’accroître même par rapport aux biens de consommation d’usage courant. Cette inflation, où la monnaie n’est qu’une courroie de transmission, semble donc bien plutôt trouver sa source dans un brusque mouvement ascendant de la préférence pour la liquidité (ici l'espèce - argent) résultant de la fuite devant la montée d’une fragilité financière majeure.

Enfin, il importe de prendre en compte -parce qu’il contribue dans d’autres ordres productifs à modeler la fragilité financière- un élément de réflexion récurrent concernant toutes les crises financières : Quelle est la nature de l’action publique visant à rétablir la stabilité une fois la crise engagée ?

La réponse à cette question, en ce qui concerne la Signoria de Florence, présente trois caractéristiques majeures.

Tout d’abord, l’activité juridique de l’administration prend une dimension procédurière très prononcée. Le but recherché, si l’on en croit A.Sapori, semble, en définitive, de repousser aussi longtemps que possible les exigences des créanciers tant florentins qu’étrangers. Au fond, cette solution, c’est de rendre plus complexe toute solution 104  :

‘"La législation sur la faillite dans l'espace de trois ans retourna au statu quo antérieur, et les changements survenus pendant cette période, en dernière analyse, obtiendront le résultat pratique de rendre plus compliquée et plus longue, la résolution de la question des faillites, au lieu d'y apporter un remède."’

La seconde action, prenant en compte la diversité des créanciers, consiste à répondre à chacun des groupes sociaux concernés de manière spécifique. En ce qui concerne les créanciers étrangers, la stratégie de la cité s’efforce de passer des compromis visant à éviter les représailles commerciales déstabilisantes lorsque celles-ci sont prévisibles.

Concernant l’église, la solution dépend de la condition des créanciers à l’avantage exclusif du haut clergé ; cette même règle s’appliquera d’ailleurs rapidement à l’ensemble des citoyens 105 :

‘"La seigneurie tint finalement une voie moyenne. Distinguant le bas clergé et les grands ecclésiastiques ; opposant au premier, les rigueurs de la loi, cédant au second, en tenant compte des délais qu'ils étaient susceptibles d'obtenir."’

Enfin, le troisième type d’action – action sur l’Etat plus qu’action de l’Etat – est marqué par des tentatives de modifier la forme des institutions de la cité dans un sens favorable aux intérêts des principales compagnies. C’est le cas de la tyrannie du Duc d’Atene de la première période, c’est aussi l’essence même des deux conjurations ourdies par les Bardi dans l’espoir d’instaurer un ‘"Gouvernement des Magnats".’

Quelles que soient les actions entreprises, elles expriment un manque essentiel au dispositif de la puissance publique qui doit aussi s’analyser comme élément permettant à la fragilité financière de se concrétiser comme crise: l’existence d’une banque publique faisant, le cas échéant, office de “ prêteur en dernier ressort ” : l’intervention de la puissance publique en matière financière est tout au plus indirecte, “non-active ” pourrait-on dire. C’est d’ailleurs sur ce point qu’insiste R.Romano 106 en mettant l’accent sur :

‘"Le besoin de créer une structure bancaire plus compacte et plus solide que celle simplement constituée d'une pluralité de banques privées, inévitablement plus sensible aux violentes oscillations du marché."’

Dans les conditions historiques médiévales, une telle exigence ne peut cependant être satisfaite car cela impliquerait un changement décisif de la nature même de la souveraineté : passer de la propriété du Prince ou d’une oligarchie régnante à une forme moderne de l’Etat présentant les traits essentiels d’un véritable service public.

A partir de là, il semble maintenant possible de proposer une présentation du processus et des séquences de la crise médiévale qu’il faut interpréter en liaison étroite avec la fragilité financière d’un système de réciprocité construit comme double-contrainte.

Document V : Conséquence de la fragilité financière médiévale : la crise financière médiévale et ses séquences
Document V : Conséquence de la fragilité financière médiévale : la crise financière médiévale et ses séquences
Notes
98.

Rodolico.N  : « Il popolo minuto : Note di storia fiorentina (1343-1378) » Biblioteca Toscana. 1968. P 128.

99.

Roncière (Charles de la ) : "Florence, centre économique régional au XIV° siècle. Le marché des denrées de première nécessité à Florence et dans sa campagne et les conditions de vie des salariés. 1320 - 1380". Thèsesoutenue à Aix. 1976. P 513.

100.

Idem :P 518.

101.

Ibid: P 489.

102.

Ibid: P 490.

103.

Cipolla.C.M: “Il fiorino e il quattrino. La politica monetaria a Firenze nel ‘300 ». Il Mulino. Bologna. 1972.

104.

“ La legislazione fallimentare nello spazio di un triennio ritornò allo statu quo ante, ed mutamenti avvenuti in questo tempo ebbero, in ultima analisi, il risultato pratico di rendere più complicata e più lunga, anzichè di sveltire – come si pretendera- la risoluzione delle quistioni fallimenti ”. In Sapori.G : "La crisi delle compagnie mercantili dei Bardi e dei Peruzzi" .Bibliotheca storica toscana. Firenze .1926. P 204.

105.

“ La signoria tenne, al solito, una via di mezzo. Distinse fra clero minuto e alti ecclesiastici ; oppose ai primi il rigor della legge, cedè ai secondi, ai quali per altro chiese dilazioni finchè potè ottenerne.” Idem : P199.

106.

" Il bisogno di creare una struttura bancaria più compatta e più solida di quella che può essere semplicemente costituita dalla pluralità delle banche private, inevitabilemente più sensibili alle violente oscillazioni di mercato .” In Romano. R : "L’Italia nella crisi del XIV Secolo". Nuova Rivista Storica. Roma. 1966. P 586.