-2- LA FRAGILITE FINANCIERE DANS LE MODELE DE BOURSE COMMERCIALE TRADITIONNELLE :

2-1- La fragilité endogène dans les modèles de bourse commerciale traditionnelle : le run sur les actions de la Compagnie des Indes Orientales à Amsterdam en 1609-1610 :

2-1-1- La Compagnie des Indes Orientales et l’évolution de la valeur de ses titres :

La première ‘«’ ‘ Compagnie pour la Navigation des Indes ’», fondée en 1594 avait, dés 1597, c’est à dire au retour de sa première flotte, vu naître une rivale. Rapidement en 1600, elle arriva à un accord avec celle-ci, sous l’influence des bourgmestres et la "Nouvelle Compagnie" résultant de la fusion, obtint l’autorisation de navigation pour la Chine.

En 1602, elle constitua le pilier d’une Compagnie absorbant la presque totalité des entreprises commerciales de long cours hollandaises et zélandaises : la "Compagnie Générale Octroyée des Indes Orientales" 173 .

La flotte de quatorze vaisseaux qui prit le large en 1602, sous le commandement de l’amiral Wybrant Warwick fut équipée pour le compte d’une combinaison d’administrateurs de diverses chambres de commerce.

Isaac Le Maire, personnage important de cet épisode spéculatif, participait à cette combinaison dont il se retira dés 1605, bien qu’il fut parmi les actionnaires importants puisqu’il avait souscrit la somme de 600 000 Florins sur une somme de 3 687 415 Florins souscrit par 1201 actionnaires.

Bien qu’ayant signé une déclaration dans laquelle il s’engageait à ne pas entreprendre d’expédition autour du Cap de Bonne Espérance ou par le Détroit de Magellan, il semble acquis qu’Isaac Le Maire accepta les propositions du Roi de France, Henri IV, lequel nourrissait depuis longtemps le désir de fonder sa propre Compagnie des Indes Orientales, contre ses conseillers, lesquels tentaient de le convaincre que l’entreprise serait désastreuse pour les Français comme pour les Hollandais puisque le prix des épices baisserait dans toute l’Europe 174 .

‘“ Le Roy presse ceste société pour le gain qu’il prétend de la vente des épiceries qu’à la façon du sel, il faict estat de distribuer par son royaume.”’

Il est attesté par les documents réunis par J.G Van Dillen que des négociations en ce sens eurent lieu jusqu’en décembre 1609 à Paris.

Mais l’assassinat d’Henri IV, le 14 mai 1610, déboucha sur l’échec du projet. Comme nous le verrons, l’ensemble de ces événements n'est certainement pas indépendant de l’évolution de la valeur des actions de la compagnie.

Peu de temps après leur souscription, ces actions montèrent à 15 % au-dessus du pair (100), puis l’intérêt faiblit et pendant deux ans le cours resta stationnaire à 103 et 105 %. Lorsque les bonnes nouvelles arrivèrent des Indes, puis que les vaisseaux revinrent richement chargés en 1605, le cours grimpa jusqu’à 140 %. A la nouvelle (fausse) de la prise de Malaque, les actions montèrent même jusqu’à 200% en 1606.

Avec l’afflux de mauvaises nouvelles en 1607 , les titres baissèrent à 160 %. Dans les deux années qui suivirent, le cours poursuivit sa baisse puis chuta du printemps 1609 (146%) jusqu’en janvier 1610 pour atteindre son plancher pour la période considérée : 126%. Dans cette courte période, on peut considérer que l’action de la Compagnie des Indes Orientales fit l’objet d’un "run" qui est probablement le plus ancien connu dans le cadre d’un modèle de bourse commerciale traditionnelle 175 .

‘“ Cela au grand désavantage d’un grand nombre d’actionnaires, surtout des veuves et des orphelins qui se laissent pousser par les faux bruits à se débarrasser de leurs actions”. ’

comme l’exprimèrent les directeurs de la Compagnie d’une manière emphatique quelque peu suspecte. Quelques temps plus tard, on assista à un nouveau revirement et au printemps 1610, il est de nouveau à 156 % pour parvenir au printemps 1611 à 200 %. Cette fois 176  :

‘“ Plusieurs baissiers furent déclarés en faillite , entre autres Hans Brouwer , Harmen Rosencrans , Reiner Lems , et Jacques Dammam membres de la Grande Compagnie ”.’

Une telle hausse est à mettre en rapport avec le retour des navires mais également avec l’annonce de la distribution des dividendes des actions de la Compagnie puisque leur échéance était prévue pour 1612 177 .

Notes
173.

"Verenigde Oost-Indische Compagnie".

174.

Idem P 12.

175.

Ibidem. P 122.

176.

Ibid . P 130.

177.

Seuls quelques cours à terme - six mois, un, deux ou trois ans - nous sont connus, par contre l’ensemble des cours au comptant nous sont parvenus à travers les actes notariés collectés par Van Dillen Ibid. P 121 et 128.