2-2-3- Contagion mimétique et interaction des opinions dans le processus de panique à partir d’une fragilité exogène:

Dans le processus de la crise de 1672, il apparaît clairement que les acteurs économiques déterminent leurs choix en fonction d’une double perspective.

Tout d’abord, ils observent leur propre information sur l’évolution de la situation militaire et son influence sur l’état des fondamentaux de l’économie – ici, le basculement du mode de financement de la recherche du profit I vers celle du profit II 213 joue un rôle éminent. Ensuite, ils analysent le comportement des autres intervenants.

Il semble que le phénomène de panique, auquel nous sommes confrontés, dépend d’un phénomène de ‘«’ ‘majorité’» dont il résulte qu’à partir de l’agrégation d’un certain nombre de choix individuels, les nouveaux arrivants sur le marché adoptent un comportement ‘«’ ‘moutonnier’».

Ce mimétisme signifie qu’une information obtenue par un premier investisseur peut conduire un second à agir dans le même sens, y compris dans le cas où lui-même disposerait d’une information différente ou opposée.

C’est ce qui fait la spécificité de la crise de 1672 par rapport à celle de 1609, précédemment étudiée. Dans ce dernier cas, l’absence de choc exogène sur la bourse ne conduit pas à une contagion, mais à un simple run. Il est possible de modéliser cet enchaînement de la manière suivante 214 : Deux investisseurs (1 et 2) ont le choix entre deux actifs.

Un actif sans risque de rendement r (dans le cas de la bourse d’Amsterdam, il peut s’agir d’un titre étranger ou de monnaie métallique) et un actif risqué (obligation ou action dans le cas de la bourse d’Amsterdam), doté d’une prime de risque systématique , avec un aléa de rendement H et de rendement R :

r + H +  avec une probabilité 0.5

r - H +  avec une probabilité 0.5

On supposera que H -  > 0 puisque, si la situation est défavorable, le rendement de l’actif risqué est inférieur à r.

Chacun des investisseurs dispose d’une information propre sur les possibilités de rendement de l’actif risqué, le signal Si(où i = 1,2 qui représente chacun des deux investisseurs).

S1et S2sont indépendants.

Pour l’investisseur 1 on a :

P (où p >0.5)

P

Et les relations symétriques quand S1 = 0, c'est à dire lorsque le signal est brouillé. Si S1 = 1 puis S1 = 0, l’espérance mathématique du gain peut s’écrire :

(1)

(2)

Comme (2p – 1 ) > 0, dans le cas où le signal S1 vaut 1, alors l’investisseur 1 doit choisir l’actif risqué puisque son rendement anticipé est supérieur. Au contraire, si S1 = 0, l’investisseur choisit l’actif risqué quand  + (1-2p)H >0 et l’actif non risqué dans le cas inverse.

L’investisseur 2 dispose de son information S2, de plus il est en mesure d’observer le comportement de l’investisseur 1. Cela lui permet de connaître la réalisation de S1. L’utilisation du théorème de Bayes permet de montrer que pour l’investisseur 2 :

(3)

(4)

(5)

Pour l’investisseur 2 , les espérances mathématiques peuvent donc se calculer ainsi :

(6)

(7)

(8)

On peut finalement discerner quatre cas :

  1. Si S1=S2=1, les deux investisseurs achètent l’actif risqué.
  2. Si S1=0, S2=1, l’investisseur 1 achète l’actif sans risque et 2 l’actif risqué.
  3. Si S1=1, S2=0, les deux investisseurs achètent l’actif risqué alors que sans observation du comportement de 1, l’investisseur 2 achèterait l’actif sans risque. 
  4. Si S1=S2=0, 1 achète l’actif sans risque et le second aussi, car si l’on se réfère aux résultats (2) et (8) on constate que :

Autrement dit, l’investisseur 2 est encore moins incité à se procurer l’actif risqué que l’investisseur 1, lorsque le comportement de celui-ci est observé.

Au total, il apparaît que la possibilité d’une observation des comportements favorise le nombre de cas où les deux investisseurs adoptent le même choix : elle favorise donc le mimétisme.

  1. Dans le cas où chacun n’observe que son signal:

La probabilité que les deux investisseurs achètent l’actif risqué est de p².

La probabilité qu’ils achètent l’actif sans risque est de (1-p)².

  1. Dans le cas d’une contagion mimétique :

La probabilité que les deux achètent l’actif risqué est de p² + p(1-p) . Il y a en effet deux cas à envisager S1=S2=1 et S1=1, S2=0.

  1. Dans le cas où chacun n’observe que son signal :

La probabilité d’achat de l’actif risqué est de (1-p)².

Celle de l’actif sans risque est de p².

  1. Dans le cas d’une contagion mimétique :

La probabilité d’achat de l’actif risqué est de (1-p)²+p(1-p) = (1-p).

La probabilité d’achat de l’actif sans risque est de p².

Si l’on compare la situation 1 et 2, on constate que p² étant inférieur à p, la probabilité d’adopter le même comportement s’accroît du fait du mimétisme. Il en est de même dans les situations 3 et 4 puisque (1-p)² est inférieur à (1-p).

L’introduction d’un investisseur 3, observant les deux précédents tout en disposant de son propre signal S3, exacerbe la tendance déjà constatée.

Dans les deux cas, l’investisseur 3 achète les actifs risqués puisqu’ils disposent d’un rendement supérieur à celui de l’actif sans risque.

Dans les deux cas, l’investisseur 3 achète l’actif sans risque. Le passage d’un modèle de deux à trois investisseurs montre que dans l’ensemble des cas, le mimétisme accroît la probabilité des situations de déséquilibres. Soit le marché bascule vers l’actif à rendement le plus élevé, soit comme cela s’est produit en 1672, tous les opérateurs se précipitent vers l’actif au rendement le plus faible.

Le développement d’une contagion mimétique a pu apparaître dans le cadre de la bourse commerciale parce que les conditions spécifiques de l’époque rendait nécessaire de remettre en cause les structures traditionnelles que l’on cherchait pourtant à préserver. A partir de 1672, un marché obligataire embryonnaire pu se développer dans le cadre boursier pour la première fois à Amsterdam. En ce sens, la crise financière de 1672 peut être interprétée comme l’une des dernières, sinon la dernière, des crises du modèle de bourse commerciale traditionnelle.

Pourtant, le phénomène de contagion mimétique s’était déjà produit dans cette ville, mais il n’avait pas pour cadre la bourse. Bien au contraire, c’est en dehors de ce lieu économique encore fortement organisé autour des monopoles et des règles issues de l’époque médiévale, dans un marché encore à l’état d’ébauche, que le mimétisme allait pouvoir jouer.

Il allait en résulter non une panique généralisée de nature exogène dans un environnement boursier traditionnel, comme nous venons de l'analyser ; mais une bulle résultant d’une fragilité endogène et de caractère restreint à un marché particulier se formant dans les anfractuosités d'une économie traditionnelle en déclin.

Notes
213.

C'est-à-dire de la recherche de l’intérêt obligataire vers celui d’une éventuelle plus-value ou plutôt, dans la situation propre à 1672, d’une possibilité ouverte pour limiter les moins-values éventuelles et retrouver la liquidité de son actif.

214.

Artus. P : "Anomalies sur les marchés financiers". Economica. Paris. 1995. p 43 à 54.