3-1-3- La spéculation déstabilisante :

Le développement d'un marché à terme et la venue de nouveaux opérateurs accroît le nombre de spéculateurs. Cette situation devrait, en théorie, favoriser une meilleure convergence vers l'équilibre. En effet, un choc agissant sur le niveau du prix d'équilibre induit une demande de l'actif (et un retour au prix d'équilibre) d'autant plus forte que le nombre de spéculateurs est élevé. Cependant, en situation d'incertitude, la spéculation peut être déstabilisante comme nous venons de le voir dans la crise des tulipes. Les opérateurs peuvent disposer d'un signal imparfait sur le prix futur de l'actif sur lequel porte la spéculation et en conséquence, comme ce fut le cas en 1636-1637 s’engager dans des opérations risquées.

Dés lors que le signal devient défavorable et montre son imperfection, les opérateurs vendent au moment même où les prix baissent, c'est à dire à contretemps ce qui a pour effet d'éloigner le prix de marché de la valeur fondamentale de l'actif. Grégoir et Salanie 242 proposent le modèle suivant pour rendre compte de ce type de situation.

Dans une première période, les spéculateurs peuvent se procurer une quantité S d'un actif. La demande non spéculative de cet actif correspondant pour la crise des tulipes à la situation précédant le printemps s'exprime de la manière suivante :

D(p1, 1 )

Où p1 représente le prix d'équilibre et le paramètre 1 la situation de marché. 1 prenant la valeur (demande forte) avec la probabilité q et la valeur (demande faible) avec une probabilité 1-q.

Dans la seconde période, la demande non spéculative, forte à partir du printemps 1636, devient :

D(p2, 2 )

Où 2 a la même distribution de probabilité que 1. Les spéculateurs doivent revendre une part de leur stock d'actif f(S).

Pour les deux périodes, l'offre exogène, est égale à X. L'équilibre du marché pour les deux périodes, permettant de déterminer les prix d'équilibre peut s'écrire ainsi:

D(p1, 1 ) + S = X

D(p2, 2 ) = X + f(S)

L'information donnée par 1 permet aux spéculateurs de choisir S qui doit permettre de maximiser p2f(S) - p1S . Autrement dit :

f '(S) =

Si est supérieur ou égal à 1, alors S = 0

Dans ce cas là, en effet, le rendement anticipé ne peut inciter à dégager des fonds spéculatifs.

Dans le cas d'une demande faible ;  =; D(p , ) est nulle quand p>pmet D(p m , ) a une valeur quelconque entre 0 et l'infini.

Dans le cas d'une demande forte ;  =; D(p , ) est infinie pour p < pM; D(pM , ) a une valeur quelconque entre X et l'infini.

Sans spéculation, on a p = p m quand  = et p = pM quand  =.Par contre, s'il y a des spéculateurs, ceux-ci déterminent leurs choix en fonction de .

Quand 1 = alors p1 = p m. De même, lorsque 1 = alors p1 = pM. Dans ce second cas, il n'y a pas stockage puisque les anticipations à la hausse des prix sont nulles.

Par contre, quand 1 = , le stockage a lieu si : < 1.

A partir de là, deux cas sont possibles en seconde période:

Soit 2 =. Le déstockage s'effectue et p = pM.

Soit, et c'est le cas évidemment le plus intéressant : 2 = . Le déstockage s'effectue également (si l'on admet la disparition d'un signal de hausse de prix futur pour une période ultérieure) mais cette fois-ci avec p < pm .

Si l'on appelle p2 le prix dans ce cas, le stockage aura lieu si:

En l'absence de spéculation, le prix d'équilibre s'établit à p = pm , dans la situation où les deux périodes comportent une demande faible (1 = 2 = ).

Dans la même situation, mais en présence cette fois-ci de spéculateurs, le prix d'équilibre devient p2<p m.

Autrement dit, dans ce contexte et compte tenu des hypothèses liminaires, la spéculation a pu jouer un rôle clairement déstabilisant.

Dans le cas des tulipes, étudié précédemment, cette spéculation déstabilisante a conduit à la rupture d'un mouvement haussier, puis à un effondrement spectaculaire dont on peut voir la cause dans un mécanisme endogène au type de marché naissant de cette époque.

C'est cette même spéculation déstabilisante, comme expression de la fragilité financière, qui sera au centre de la ‘«’ ‘ South Sea Bubble »’ à Londres et de la crise de la Compagnie des Indes à Paris en 1720.

Cependant, dans ce cas, le rôle de l'Etat ainsi que l'intégration plus robuste de l'économie de marché pourront conduire vers un processus de bulles éventuellement généralisées et résultant d’une fragilité à dominante exogène.

Notes
242.

Grégoir.S et Salanie.B : "Spéculation, prix et bien-être". Annales d'économie et de statistiques. N°24. 1991. P 214.