3-2-4- Fragilité, Etat et marché : le bilan de la crise de 1720 :

La bulle des actions de la Compagnie des Indes en 1720 à Paris se développe à partir de causes exogènes à l'espace économique. Elle résulte initialement des besoins de l'espace politique monarchique.

Mais alors qu'à l'époque médiévale, cette situation entraîne simplement une banqueroute totale ou partielle de l'Etat suivie d'un run sur les compagnies financières ou d'un emprisonnement des créanciers, ici, la conjonction d'un espace politique d'Ancien Régime et d'un espace économique apte à mettre en place les éléments d'un marché financier embryonnaire, produit une crise financière prenant la forme d'une bulle.

Il est cependant clair que la place du marché financier (la rue Quincampoix à Paris ou Exchange Alley à Londres) reste secondaire. Il semble même que celui-ci soit simplement prisonnier d'une stratégie dans laquelle il ne joue, du moins au départ, qu'un second rôle déterminé: faire monter les cours, rôle qu'il remplit efficacement jusqu'au mois de décembre 1719.

Par contre, dés la fin de 1719, la "création" va échapper à son démiurge. La rue Quincampoix amplifiera les effets désastreux de l'augmentation de la dette publique et la défiance dans la Banque et dans la Compagnie. La fragilité endogène à ce marché naissant va alors s’exprimer.

Tel est bien la structure de double contrainte et l’injonction paradoxale 283 auxquelles donne lieu l'expérience que Law mènera jusqu'à l'éclatement de la bulle financière: utiliser un marché en formation, en espérant le contrôler, pour réguler une économie d'Ancien Régime appuyée sur des réglementations corporatives et des monopoles semi-publics qui n’ont de cesse d’empêcher la constitution d’un tel espace si déstructurant pour eux: Le "système" est fondé sur cette ambiguïté insoutenable et pourtant nécessaire.

C'est en interdisant les transactions de la rue Quincampoix, c'est à dire le marché sous sa forme embryonnaire, que l'expérience se termine au profit d’un maintien de la domination de l’économie de rente. Pourtant, elle aura correspondu à un désendettement massif de l'Etat et de la nation, les rentiers étant les perdants de la bulle financière, comme ils l'étaient pendant les siècles passés dans les banqueroutes. Transformant leurs rentes en actions, ils supportèrent les risques induits par l'accumulation de la dette publique.

D'une certaine manière, le marché financier naissant aura été instrumentalisé par la Régence pour résoudre le principal problème hérité de la monarchie précédente: celui du déséquilibre permanent des finances publiques.

Le désendettement qui s'en est suivi, a été à l'origine d'une phase de croissance économique 284 et non d'une récession comme on l'imagine trop souvent compte tenu de l'effondrement de la valeur des billets et des titres.

Le renforcement de l'économie d'Ancien Régime 285 qui en résulta, marginalisera, cependant, durablement l'idée même de marché financier 286 . La création de la bourse de Paris en 1724 doit se comprendre, en effet, non comme un prolongement de la rue Quincampoix, mais, bien au contraire comme son exact opposé. Un élément saillant suffit à le montrer : les opérations à terme y sont strictement interdites, jusqu'à la fin du siècle, en référence à leurs effets supposés lors de la bulle de 1720.

Pourtant, la forme prise par cette crise montre aussi l'avance inexorable de la formation du marché financier 287 . Contrairement aux crises précédemment étudiées (notamment celle d'Amsterdam en 1609) les éléments essentiels à l'institutionnalisation propre à ce marché sont apparus. L'existence d'un lieu de transactions, la normalisation des titres, le développement des opérations à terme, l'éclosion d'une presse financière et l'apparition d'une cotation semi-officielle, sont autant d'éléments qui plaident en faveur du développement, au moins potentiel, de ce marché.

Cependant , il faudra attendre le siècle suivant pour que ces marchés commencent à jouer un rôle autonome important, quoique encore non déterminant, dans le financement de l’activité.

Notes
283.

« Omnubilé par son plan, Lass a pensé pouvoir manœuvrer ce Système au sommet, tout en gardant une certaine autonomie par rapport à l’Etat. Mais il fut dans l’Etat et son instrument » In Tabatoni.P : « J.Law, la monnaie et l’Etat ». Académie des Sciences Morales et Politiques. Conférence à l’IFAP. Mars 2000.

284.

Labrousse.E, Léon.P, Goubert.P  : Histoire économique et sociale de la France. Tome II. P 294-299 et Faure.E : op.cité P 521-567.

285.

Tabatoni.P  : Op. Cité P 10.

286.

« Les années de Law n’en reste pas moins beaucoup plus proche du Moyen-Age que du XXe siècle finissant » In Cellard.J  : Op.Cité P 378.

287.

La crise anglaise de 1720 démontre aussi ce propos. Cf Carswell.J : « The South Sea Bubble » London. The Cresset Press. MCMLX. P 314.