CONCLUSION: LA FRAGILITE FINANCIERE COMPLEXE DU CAPITALISME MARCHAND ET SA STRUCTURE DE DOUBLE-CONTRAINTE

L’ordre productif du capitalisme marchand exprime, plus que tout autre, un processus paradoxal. Celui qui illustre la complémentarité et l’opposition de deux mondes. Le premier est le monde de la permanence qui ne se sait pas encore condamné, c’est celui du ‘«’ ‘ profit garanti ’», de la rente. Le second affleure parce que l’évolution économique, sociale et culturelle le rendent nécessaire, non seulement à lui-même, mais aussi à ce premier monde de l’économie rentière.

La principale source de fragilité du capitalisme marchand est ici. La bourse est le lieu de cette ambiguïté nécessaire. Elle n’est pas un marché. Au contraire, elle répond aux besoins financiers des grandes compagnies de monopole. Elle est l’âme de l’économie de rente. Mais elle ne peut plus être que cela.

Entre l’espace politique toujours instable mais dominant auquel les compagnies doivent leur monopole et un public épargnant à conquérir si l’on veut répondre aux immenses exigences financières du commerce au loin, il faut savoir garantir la liquidité des actifs financiers.

Espérer préserver celle-ci ne peut se produire que si une liberté de transaction complète fondée sur des garanties légales est accordée aux porteurs de titres. Seul le marché répond à ces critères. Au risque du ‘«’ ‘ profit garanti ’» -donc de leur existence même- les institutions rentières ne peuvent y consentir.

La double-contrainte financière illustre l’impossible union de la rente et du profit tout autant que, à ce moment historique, leur impossible séparation 288 .

Il faut ajouter le rôle que l’espace politique 289 joue dans cette partition. Ses difficultés de financement restent de même nature qu’à l’époque médiévale. Il peut cependant, lui aussi, orienter le paradoxe de l’espace économique à son profit en suscitant l’apparition d’un marché lorsque le besoin s’en fait sentir.

L’ensemble de ces éléments issus de la double-contrainte financière initiale offre des formes de fragilité financière diversifiées.

La crise de 1609 et l’action d’un personnage comme Issac Le Maire illustre bien la volonté de briser les institutions de la Compagnies des Indes et le système rentier pour développer le profit spéculatif. La crise reste cependant un run sur la Compagnie sans dépasser ce cadre.

La crise de 1636-37 exprime également cette capacité de l’économie rentière à comprimer le marché. Celui-ci se développe néanmoins en rupture avec les institutions traditionnelles. Dans ce cas également, les conséquences, quoique spectaculaires, ne dépassent pas le cadre d’une activité particulière liée au commerce des tulipes.

Notes
288.

On pourrait oser, ici, un parallèle historique avec l’économie centralement planifiée du XXesiècle. Si l’on admet que celle-ci correspond à la domination d’un caste bureaucratique extrayant une rente sur la société, on peut relire l’histoire des relations tourmentées entre plan et ouverture au marché du monde dit socialiste (communisme de guerre, NEP, planification stalinienne, dégel, ère Brejnev, perestroïka) à travers ce paradoxe.

289.

Car il appartient à l’économie de rente et doit pourtant agir en extériorité.