2-3- Le marché financier et l’équilibre décentralisé :

Au début de chaque période, on admet qu’un marché financier s’ouvre et fonctionne sans coûts de transaction. Chaque entrepreneur propose, sur ce marché un contrat déterminant le paiement associé à chaque titre, dans chaque état de nature publiquement observable. Les entrepreneurs choisissent leur degré d’effort après la signature de ce contrat.

Comme il est possible de vendre les titres sur le marché après la réalisation de l’état de nature et avant le paiement des dividendes, tous les agents peuvent observer le prix de chaque action et à travers lui en inférer la réalisation de.

Le nombre de projets ouverts détermine la quantité d’information publiquement observable. Les contrats dépendent de deux types d’événements : le succès ou l’échec du projet et ce que l’information révèle de l’état de nature. A partir de là, le prix ex post (c’est à dire après la révélation de l’information) de chaque titre, pour chaque état de nature sera :

Où, D exprime le niveau critique d’épargne disponible pour la firme. kj révèle le montant du capital et celui des coûts (ici salariaux).représente la fonction de production. exprime donc l’espérance de gain selon les états de nature.

Au cours de l’analyse de cet équilibre décentralisé, le raisonnement d’Acemoglu – Zilibotti s’effectue dans le cadre d’un équilibre bayésien parfait. Comme on le sait, la règle de Bayes permet la mise en relation des croyances et des signaux. Elle indique comment va se modifier l’idée que l’on peut avoir de la réalisation d’un événement en tenant compte d’observations faites à propos de phénomènes en liaison avec cet événement.

On passe ainsi de probabilités a priori (croyances) à des probabilités a posteriori (c’est à dire après observations). L’équilibre de Bayes se réalise quand les probabilités a priori et a posteriori sont égales. Les croyances des agents sont alors confirmées.

Le modèle procède à l’origine avec N entrepreneurs, en analysant le cas où projets sont ouverts avec des entrepreneurs exerçant, tous, un effort élevé. Il s’agit alors de déterminer le nombre de projets nécessaire pour que ce type d’effort soit entrepris.

L’ensemble des projets consiste en une proportion  de projets appartenant à un sous-ensemble U0 et (1- projets appartenant à U1. Le problème de maximisation se pose de la manière suivante pour l’épargnant :

(2)

Où sj est le montant de l’épargne investie dans le projet j ;  étant la probabilité associée à l’état 

Si l’on considère maintenant, une situation dans laquelle tous les entrepreneurs offrent le même contrat P( sur le marché - induisant pour chacun un effort élevé - les investisseurs, quant à eux, décident d’investir un montant égal à K dans chacun des projets.

Le revenu de l’entrepreneur est conditionné par deux types d’informations : le retour de son propre projet et la possibilité d’observation d’un retour élevé sur les projets. A partir de l’équation (1) et (2), l’utilité de chaque épargnant peut s’écrire:

Cette équation peut s’expliquer de la manière suivante :

Le retour élevé est seulement observé quand l’état sous-jacent est «bon » (probabilité p) et que le projet à haut retour est ouvert (probabilité n). En conséquence, la probabilité que ce projet soit observé est pn. Dans ce cas le revenu de l’entrepreneur est .

Alternativement, le taux de retour élevé peut ne pas être observé parce que l’état de nature est «mauvais » (probabilité [1-p]) ou parce que l’état est «bon » mais le projet n’a pas été mis en œuvre (probabilité p[1-p]). Dans ce cas le revenu de l’entrepreneur est .

Puisque tous les entrepreneurs exercent un effort élevé, dans les deux états de nature, projets réussissent et permettent d’obtenir des dividendes positifs, alors que échouent et ne paient pas de dividende. Enfin, il y a épargnants qui ont investi un montant égal dans projets.

Ce résultat permet de définir les contraintes qui fondent le choix de sa profession par l’entrepreneur puisque son utilité attendue doit être supérieure à V(n, K). P() et  sont déterminés en maximisant (3).

Dans un équilibre où tous les entrepreneurs choisissent un effort élevé, chaque entrepreneur reçoit le revenu suivant :

Les épargnants obtiennent un retour égal à :

Bpeut être interprété comme le coût moyen de l’entrepreneuriat supporté par les épargnants lorsque les projets ont échoué et que les prix du titre diminuent .

Enfin, l’utilité espérée obtenue par tous les agents se monte à :

(6)

représente le coût subi du fait que l’entrepreneur ne donne pas une parfaite assurance puisque n’est pas publiquement observable avec une probabilité (1 – pn).

Lorsque n augmente, le rapport entre le nombre de projets et celui des entrepreneurs s’accroît, la probabilité précédente et les coûts associés tendent à diminuer. Enfin, le fait de choisir l’hypothèse d’effort élevé de la part des entrepreneurs permet d’éliminer les phénomènes d’incertitude agrégée annulant l’effet de l’information sur les coûts d’agence.

Considérant la question du nombre de projets, Acemoglu - Zilibotti partent de l’alternative suivante :

Soit A(M-N) ND. Dans ce cas, tous les projets ne peuvent pas être ouverts (A correspond à la productivité du travail). L’expression précédente peut également s’écrire :

Puisque tous ne peuvent être ouverts, la contrainte de ressources devient . Comme l’épargne est, par convention, égale aux revenus salariaux de la période, il en résulte que A(M-) =S, qui peut s’écrire :

En définitive :

Soit A(M-N) ND. Dans ce cas, l’économie pourra ouvrir autant de projets que possible. Cela signifie donc que n = 1 ou =N. La contrainte de ressource étant NK=S, un maximum d’agents peut devenir entrepreneur et a(M-N) = W = S.

Par conséquent, le maximum de projets peut s’ouvrir lorsque les entrepreneurs adoptent un niveau d’effort élevé. D’autre part, plus le stock d’épargne s’accroît, plus ce nombre de projets peut augmenter. Ce niveau d’épargne détermine donc le nombre de projets mis en œuvre , ce qui permet d’indiquer le niveau d’information publiquement disponible et par suite quel est le coût nécessaire pour induire des incitations positives (les incitations étant fonction inverse de la quantité d’épargne prêtée).

Nous retrouvons donc ici, comme dans l’ensemble des situations d’émergence, l’idée selon laquelle la faiblesse de l’épargne disposée à se placer dans l’activité industrielle au premier moment d’un processus de « take-off » induit une faiblesse du nombre de projets mis en œuvre effectivement (n est « petit »).

Si l’on notela probabilité de découvrir ex post que l’état de nature a été bon compte tenu du fait que l’état actuel est bon. Alors . Autrement dit, le retour pour chaque épargnant en cas d’effort élevé de l’entrepreneur est croissant avec le niveau d’information disponible.

Puisqu’un effort élevé permet des retours élevés, cela conduit chaque entrepreneur à offrir un contrat promettant ce type d’effort.

En supposant qu’un entrepreneur propose un contrat qui lui offre l’opportunité de choisir un faible effort parce que le taux de retour propre à ce projet serait plus faible que celui d’autres projets, chaque épargnant préférerait investir dans ces autres projets.