1 - L’INTERMEDIATION BANCAIRE COMME CADRE D’UNE RELATION PRINCIPAL - AGENT

Au cœur de l’intermédiation bancaire se joue la question centrale de l’aversion pour le risque. C’est bien parce que le prêteur n’est pas en mesure, lui-même, d’analyser le taux d’effort et de prise de risque de l’emprunteur que la fonction d’intermédiation prend tout son sens.

Cette relation peut se comprendre, mais cela n’est pas limitatif, dans un système bancaire hiérarchisé à l’intérieur duquel l’Etat et la banque centrale fournissent un ensemble de garanties assurantielles explicites ou implicites.

Il est possible d’analyser ce dispositif dans le cadre d’une relation principal-agent offrant certaines particularités. Traditionnellement, dans le cadre de la théorie de l’assurance, cette relation peut être formalisée de la manière suivante 383 :

Dans un premier temps, l’agent est adverse au risque 384 et ce risque ne dépend pas de son comportement. Dans ce cas, aucun problème d’incitation ne se pose. On suppose alors que l’agent dispose d’une richesse initiale w et qu’il existe une probabilité p pour qu’il subisse une perte d’un montant L.

L’agent peut donc se procurer un contrat lui assurant q unités monétaires 385 si l’éventualité de la perte se réalise. La somme d’argent qu’il s’engage à payer pour un contrat assurant une telle couverture est q où  représente la prime à payer par $ assuré.

Le contrat d’assurance souscrit résulte de la maximisation de l’espérance d’utilité de l’agent qui prend la forme suivante :

Max pu (w – L - q + q) + (1 – p)u (w - q)

(1)

En dérivant par rapport à q et en annulant la dérivée 386 , on obtient :

pu’(w – L + q* (1 - ) – (1 – p)u’ (w - q*) = 0

(2)

C’est à dire que :

(3)

Si l’événement se produit, la compagnie d’assurance reçoit (q – q)$. Si l’événement ne se produit pas, elle reçoit q $. Le profit espéré par la compagnie est donc :

(1 – p) q – p(1 - )q

En supposant que la concurrence sur le marché de l’assurance se traduise par l’annulation des profits, on obtient :

-p(1 - )q + (1 – p)q = 0 soit  = p

En insérant cette égalité dans (3), on trouve :

u’[w – L + (1 - )q*] = u’(w - q*)

En situation d’aversion stricte pour le risque 387 , on a alors :

w – L + (1-)q* = w - q* soit L = q*

Ce résultat signifie que l’agent est parfaitement assuré contre la perte L. Un tel état dépend, bien entendu, de l’hypothèse liminaire selon laquelle l’agent ne peut agir sur la probabilité de la perte.

Dans le cas inverse, essentiel pour notre analyse, l’action de l’agent peut affecter la probabilité de perte 388 . Il s’ensuit que les compagnies d’assurance se doivent de ne proposer qu’une assurance partielle incitant l’agent à l’effort et à la prudence. Dans ce contexte, marqué par des ‘«’ ‘comportements cachés »’ c’est à dire dans lequel existent des asymétries d’information, la relation principal-agent se trouve entachée d’un problème de «hasard moral » puisque les détenteurs d’une police d’assurance peuvent être amenés à manquer de prudence.

L’analyse précédente doit alors être modifiée de la manière suivante: On suppose l’existence de nombreux agents identiques s’assurant contre un risque déterminé. En cas de réalisation du risque, l’agent subit un préjudice L. L’état de nature 1 correspond à cette réalisation, l’état de nature 2 au cas inverse. Soit 1b la probabilité de réalisation du risque dans l’hypothèse où l’agent adopte un comportement prudent et 1a la probabilité de réalisation du risque quand l’agent adopte un comportement à risque. Soit c, le coût correspondant à l’adoption d’un comportement prudent, w la richesse de l’agent et Si le montant de la prime d’assurance versée par l’agent dans l’état de nature i. Le problème d’incitation se pose donc de la manière suivante :

Sous la contrainte de participation de l’agent 389 :

Ainsi que sous la contrainte de compatibilité du mécanisme d’incitation :

En l’absence de problème d’incitation, dans le cas où le risque est indépendant du comportement de l’agent (et sous l’hypothèse que les profits espérés tombent à zéro en raison de la concurrence sur le marché  de l’assurance) la solution optimale est 390 :

S2 = S1 + L

En d’autres termes, le principal assure complètement l’agent. Par contre, si la probabilité de perte dépend du comportement de l’agent, l’assurance complète n’est plus une solution optimale. En général, la compagnie d’assurance propose alors des contrats d’assurance incitatifs permettant d’orienter le comportement de l’agent vers une prudence accrue. Dans ce cadre, la demande d’assurance se trouve donc rationnée.

Au-delà de la simple relation prêteurs-emprunteurs, on peut, bien entendu, interpréter de la même manière l’interaction Etat – système bancaire comme une relation principal-agent. En effet, il est clair qu’elle peut se situer dans le cadre d’un problème de hasard moral puisque l’établissement d’un contrat d’assurance complet et non pas partiel (autrement dit l’existence réelle ou supposée d’un prêteur en dernier ressort s’accompagnant d’une faiblesse des mesures contraignantes à l’égard des banques) est susceptible d’inférer chez le banquier des comportements imprudents.

L’absence de contrats optimaux et la croyance en l’action du prêteur en dernier ressort incite l’ensemble des agents bancaires à se comporter d’une manière dangereuse du point de vue de l’équilibre financier pour des raisons exactement similaires à celles qui motivent les emprunteurs. Il est, en effet, possible pour la banque d’utiliser les fonds prêtables nationaux et étrangers disponibles pour satisfaire largement les emprunteurs sans que la qualité de l’effort consenti et la validité des projets mis en œuvre soient des critères suffisamment pris en compte dans le cadre de l’action d’intermédiation. Nous allons voir, à travers une étude empirique, que les modes de financement du capital dans les phases d’émergence du capitalisme productif attestent effectivement de la prééminence de ce dispositif.

Notes
383.

Hal R Varian : « Analyse Microéconomique » De Boeck Université. Collection Balises. Ouvertures Economiques. Bruxelles . 1995. P 183.

384.

Sa fonction d’utilité est donc concave.

385.

Nommées par la suite $.

386.

Pour former l’ensemble d’acceptation.

387.

C’est à dire pour u’’(w) < 0.

388.

C’est le cas lors d’une relation binaire prêteur-emprunteur, cela reste le cas en présence d’un système bancaire même lorsque celui-ci est hiérarchisé.

389.

correspond à l’utilité en cas de non-participation de l’agent.

390.

Puisque S2 - S1 = L