3 - ENDETTEMENT BANCAIRE, SURINVESTISSEMENT ET HASARD MORAL : LE MODELE DE CORSETTI, PESENTI ET ROUBINI 440  

Corsetti, Pesenti et Roubini voient dans le thème du hasard moral l’origine essentielle des situations de surinvestissement de la part des entreprises dans les conditions où elles sont apparues avant et pendant la crise financière de 1997.

Dans leur modèle, ils considèrent une petite économie ouverte spécialisée dans un bien Y dont la fonction de production peut s’écrire :

K étant le capital technologique, L le travail (normalisé à 1) et un paramètre technologique. La technologie peut être déterminée de manière probabiliste :

= A +  avec une probabilité ½.

= A -  avec une probabilité ½.

Deux hypothèses sont adoptées en ce qui concerne la structure financière :

  1. L’accès aux moyens de financement est segmenté : une fraction ( des agentsNommée « l’élite » (ELI). dispose d’un accès complet au marché du capital. Les autresNommés « rest of the country » (ROC). (1- n’ont qu’un accès restreint à ce même marché. Cette asymétrie permet une analyse spécifique des solutions en matière de prêts dans les situations de hasard moral.
  2. On admet que le stock initial de capital national est entièrement financé par l’emprunt extérieur. L’agent représentatif de l’élite emprunte donc des fonds à l’extérieur au taux du marché mondial (r) pour un montant D et prête un capital K aux firmes nationales.

La contrainte de budget de l’élite peut s’écrire :

443

(1)

Où w est le coût du travail, la consommation de l’élite, les impôts, le niveau nominal de monnaie détenue, Pt le niveau général des prix domestiques et  le taux de change nominal. La contrainte budgétaire des autres agents s’exprime, quant à elle, de la manière suivante :

Enfin, avant la crise financière, l’équilibre budgétaire de l’Etat peut être noté 444  :

En admettant le principe de parité de pouvoir d’achat, Pt = t, on peut agréger les contraintes budgétaires précédentes, ce qui permet d’obtenir l’égalité suivante :

(2)

L’agent représentatif de l’élite étant considéré, dans ce modèle, comme neutre face au risque, il adopte un taux d’actualisation équivalent au taux d’intérêt du marché mondial. Sa fonction d’utilité espérée peut alors s’écrire :

(3)

L’élite maximise (3) sous contrainte de (1). Le choix du niveau optimum de capital égalise la productivité marginale du capital aux coûts des fonds, déduction faite des taxes supportées par les entreprises nationales.

(4)

Dans cette expression, le second terme à gauche indique la possibilité que les décisions d’agir sur le niveau du capital affectent le flux fiscal. Si ce terme est égal à zéro, le stock de capital est employé à son niveau optimum 445 .

Ce niveau de capital maximise la consommation nationale. De plus, il faut noter que si les agents s’attendent à recevoir une subvention gouvernementale quand ils accroissent leurs investissements, le capital désiré sera plus important que .

Comme nous l’avons déjà vu, une crise financière comme celle qu'a connu l’Asie du Sud-Est en 1997, peut être définie comme le moment où le stock d’engagement de l’élite est supérieur au stock de capital et où le marché du capital ne permet pas un emprunt privé supérieur à ce même stock de capital.

La place du hasard moral, une fois la crise ouverte, se définit donc comme le fait que les agents rationnels attendent du gouvernement qu’il modifie sa politique pour empêcher les firmes de courir à la faillite.

Le gouvernement est, en effet, incapable de maintenir la crédibilité de son option pour le ‘«’ ‘ laisser faire »’ 446 et – ex post – dés que la crise s’ouvre, il n’a pas d’autres solutions que d’intervenir, validant ainsi les attentes des agents dans la présence d’un inévitable prêteur en dernier ressort.

La difficulté  provient du fait que dans la crise financière, les disponibilités gouvernementales tombent à un niveau inférieur au niveau associé à n’importe quel scénario indiquant un déséquilibre entre les disponibilités des firmes et leurs engagements. Le cas de la Thaïlande est à cet égard emblématique.

Cette situation est clairement mise en lumière à travers la notion de ‘«’ ‘ déficit caché »’ par Diaz Alejandro 447  :

«   Le déclin de la dette publique officielle mesurée par les comptabilités nationales fut célébré par de nombreux observateurs. Ex post, il s’avère que le secteur public, incluant la banque centrale, avait accumulé un montant explosif d’engagements auprès des opérateurs étrangers comme domestiques, prêtant et effectuant des dépôts au travers d’un secteur financier «  bancal ». La dette publique cachée pouvait être exigée en liquidité dés lors que le système menaçait de s’effondrer »

Comme nous l’avons vu précédemment (4), le choix optimum de capital est contraint par les anticipations de taxes et de transferts. On peut exprimer le flux net de transferts anticipés à partir de la croissance du stock de capital :

A partir du moment où les agents anticipent des subventions gouvernementales en cas de crise financière, on peut modéliser le hasard moral comme un transfert (non négatif) dépendant de la réalisation d’un choc technologique ().

Si la réalisation est négative (= A -  alors l’agent attend un transfert positif du gouvernement équivalent à la différence entre le retour insuffisant et le coût initial des fonds. Si, au contraire, la réalisation de est positive ( = A + alors aucun transfert n’a lieu. A l’équilibre, le transfert par unité de capital peut donc s’écrire :

Tant que l’élite agit en ayant le sentiment d’être protégée des aléas économiques, technologiques et financiers, aucune incitation ne lui fait craindre une perte 448 . La nature des relations sociales traditionnellement en place dans un pays émergent, correspondant à l’absence d’un système légal favorable à l’efficience du marché, exacerbe cette tendance.

L’élite peut donc, tout en empruntant sur le marché du capital notamment international, prêter à court terme aux entreprises nationales, même en cas de présomption de choc négatif. Il en résulte que le niveau désiré de capital est supérieur au niveau de capital efficient  :

En l’absence de mécanisme d’incitation, le hasard moral favorise donc un déséquilibre global fondant la fragilité du système de financement qui mène à la crise financière.

Notes
440.

Corsetti.G, Pesenti.P, Roubini.N :  « Paper Tigers? A Model of the Asian Crisis » Federal Reserve Board of New York. Octobre 1998. P 36.

443.

représente donc la taxe de seigneuriage issue de l’inflation mise en œuvre par l’Etat.

444.

En admettant que

et

.

445.

De telle manière que

.

446.

Si tel a été son choix initial.

447.

“The declining importance of ostensible public debt in the national balance sheet was celebrated by some observes […] ex-post it turned out that the public sector, including the central bank, had been accumulating an explosive amount of contingent liabilities of both foreign and domestics agents who held deposits in, or made loans to, the rickety financial sector. This hidden public debt could be turned into cash as the financial system threatened to collapse". In Diaz-Alejandro.C.F : «  Good Bye Financial Repression, Hello Financial Crashes » Journal of Development Economics, 19 reprinted in A.Velasco: «  Trade, Development and the World Economy: Selected Essays of Carlos Diaz-Alejandro ». Oxford. UK. Blackwell. 1988. P 372.

448.

Et l’enjoint de baisser sa consommation.