CONCLUSION : NATURE DE LA FRAGILITE BANCAIRE DU CAPITALISME EMERGENT CONTEMPORAIN

Partant du fait que le financement de l’activité passe prioritairement par l’intermédiation bancaire, nous avons émis l’hypothèse selon laquelle la fragilité financière propre au capitalisme émergent contemporain est essentiellement une fragilité de nature bancaire.

Nous avons montré que celle-ci, fruit d’un dispositif structuré par de fortes asymétries d’information, conduit à la mise en place d’un environnement économique marqué par le problème du hasard moral.

Cette situation opacifie les relations entre prêteurs et intermédiaires financiers comme les rapports entre le système de crédit et les emprunteurs. Le rôle de l’appareil d’Etat en tant que garant implicite des transactions financières y tient donc nécessairement une place centrale.

ette forme particulière de fragilité activée par le processus de libéralisation interne et externe mis en œuvre à partir des années 80 favorise l’apparition de crises bancaires lesquelles sont le vecteur de crises monétaires conduisant à des processus de contagion à l’échelle régionale. La crise de 1997 en Asie du Sud-Est semble obéir à ce type de processus.

Le processus qui mène de la fragilité vers la crise financière obéit à une structure de double-contrainte, dont nous pouvons tracer les contours de la manière suivante :

La naissance d’un ordre productif nouveau, autour du capitalisme manufacturier, s’affirme en particulier à travers une domination inédite du marché, c'est-à-dire à travers le développement de la concurrence. Celle-ci s’effectue dans un environnement mal régulé sur le plan juridique, culturel, mais aussi sur celui de l’action des pouvoirs publics – qui oblige le prêteur en dernier ressort à se substituer largement à des mesures prudentielles souvent inexistantes. Il en découle une situation financière fortement marquée par le hasard moral.

Dans ce cadre, la banque apparaît comme l’institution la mieux dotée pour faire face aux asymétries d’information que comporte ce système financier. Elle-même, cependant, placée dans ce dispositif concurrentiel mal régulé, ne peut parvenir à s’émanciper suffisamment des risques propres à ce problème du hasard moral contre lequel elle s’est constituée.

En effet, la mise en oeuvre de son activité exige, de sa part, une capacité à réaliser du profit tout en garantissant la liquidité des prêts qu’elles contrôlent. C’est d’ailleurs la réalisation de profit bancaire lui-même qui devrait fournir cette garantie.

Or, dans le processus de croissance que l’Asie du Sud-Est a connu à partir des années 80, cette exigence s’est avérée paradoxale.

En effet, l’existence de fortes opportunités de croissance ont incité les prêteurs à mobiliser leur épargne de manière d’autant plus intense que la présence d’un prêteur en dernier ressort semblait limiter les conséquences en terme de risque que constituait l’incertitude générée par le niveau des asymétries d’information.

Dans cet univers concurrentiel mal régulé, comme l’est le mode de financement du capitalisme productif émergent, il n’existait pas d’autres choix possibles 502 pour la banque que d’accepter ces prêts et de les placer auprès du système productif occasionnant ainsi inévitablement un processus de surinvestissement et un phénomène de « bad loans ».

Autrement dit, alors qu’elle devait faire du profit pour garantir la liquidité des prêts qu’elle gérait, l’institution bancaire, face à une concurrence dépourvue de règles prudentielles, a nécessairement fini par poursuivre sa recherche de profit en la conditionnant à la remise en cause de cette garantie.

Les fortes asymétries d’information dans lesquelles agit la banque (à la fois côté prêteur et côté emprunteur) sont à la racine de cette double-contrainte. Celle-ci n’est levée –provisoirement- que par la présence du prêteur en dernier ressort.

En effet, la mise en place de mesures prudentielles efficaces exigerait des modifications dont l’effet ne se produirait pas avant un très long terme puisqu’elles engagent beaucoup plus que la simple édiction d’une règle économique nouvelle, mais aussi son application effective et l’expérience collective qu’en font les agents.

Il reste maintenant à poursuivre l’étude de l’hypothèse selon laquelle ce type de développement serait propre à tout capitalisme productif en situation d’émergence.

Pour cela, il est nécessaire d’examiner la situation qui s’est déroulée lors des premières révolutions industrielles dans les pays actuellement développés. La nature du financement était, là aussi, comme nous l’avons souligné dans le premier chapitre, essentiellement bancaire.

Il s’agit donc de montrer que le concept de fragilité bancaire peut s’appliquer à ces situations et qu’elle conduit à des processus identiques à ceux que nous venons d’analyser en ce qui concerne les pays émergents d’Asie du Sud-Est.

C’est à cette condition que l’on pourra valider sur le plan théorique, l’existence d’une instabilité financière systémique propre à toutes formes historiques d’émergence du capitalisme productif.

Notes
502.

Sauf à disparaître en tant qu’établissement bancaire.