2-1-2- Banque, marché et la capacité informationnelle comme second enjeu.

En situation d’asymétrie d’information, l’emprunteur dispose d’information sur la qualité de son projet contrairement au prêteur. Cette situation demande de la part de ce dernier, une capacité d’expertise permettant d’éviter que l’emprunteur présente son projet comme viable alors qu’il ne l’est pas, ceci conduisant à une mauvaise allocation de l’investissement.

L’expertise du projet étant coûteuse, il apparaît rationnel de la part des prêteurs de déléguer cette opération d’expertise à un intermédiaire disposant de la capacité d’éviter la multiplication des coûts de recherche d’information 730 , c’est à dire bénéficiant d’économie d’échelle en la matière.

Le fait de discriminer les projets et de rejeter ceux qui paraissent douteux permet d’alléger le coût du financement des emprunteurs, tout en contribuant, dans le même temps, à résoudre le problème de la sélection adverse.

En ce qui concerne la réalisation du projet, les emprunteurs possèdent également des informations privées sur les résultats obtenus et sur l’effort consenti pour y parvenir. La supervision devient donc nécessaire afin d’imposer aux agents de révéler le niveau de réalisation de leur projet.

L’absence de la mise en œuvre de cette capacité conduit à ne pas résoudre le problème du hasard moral et entraîne une limitation du retour attendu par le prêteur. En effet, l’emprunteur n’honorera sa promesse ex-ante de payer que si une incitation à le faire existe. Comme la supervision serait très coûteuse pour un prêteur individuel, il est efficient de la concéder à un seul agent, l’intermédiaire financier.

Diamond 731 montre, en effet, que le coût de la supervision diminue en fonction du nombre d’emprunteurs analysés du fait, là encore, des économies d’échelle réalisées. Il serait possible de résoudre ce problème contractuel en imposant des pénalités à l’emprunteur qui ne parvient pas à payer au-delà d’un minimum.

Mais, il peut être avantageux, en terme d’incitation, de chercher à s’informer sur la technologie mise en œuvre par l’entrepreneur afin de l’évaluer. C’est cette production d’information concernant l’activité de l’emprunteur qui va constituer le cœur de l’opération de supervision.

D’autre part, le fait qu’un emprunteur puisse être en relation avec plusieurs prêteurs signifie que chacun d’eux devrait supporter un coût de supervision : un problème de « passager clandestin » surgit donc . Le fait que l’opération de supervision soit déléguée à un intermédiaire bancaire devient la solution optimum pour l’éliminer.

Néanmoins, une nouvelle difficulté apparaît. Les prêteurs individuels se trouvent devant l’exigence impérieuse de superviser, non plus l’emprunteur, mais l’agent spécialisé dans le monitoring de cet emprunteur.

Cette question de la «supervision du superviseur» 732 s’exprime alors ainsi : les prêteurs en relation avec un intermédiaire bancaire peuvent réduire leur coût de supervision si le coût de supervision de l’intermédiaire est inférieur au coût de supervision direct de l’emprunteur par les prêteurs.

Dans ce cadre, l’apport de Diamond est de montrer que, lorsqu’un intermédiaire développe son activité, il doit s’engager à rétribuer les déposants de telle manière qu’un non-respect de cet engagement démontre l’incapacité de l’intermédiaire à superviser. Celui-ci encourt alors une pénalité non directement pécuniaire que l’on peut assimiler à une perte de réputation.

Dans le modèle de Diamond, la supervision déléguée à l’intermédiaire lui impose de gérer un portefeuille suffisamment diversifié de projets auxquels il attribue un financement. Il s’engage à superviser les emprunteurs en assurant aux prêteurs un retour fixé à l’avance. C’est l’existence d’un retour de cette nature qui constitue pour l’établissement bancaire une incitation majeure à produire l’information rendant efficace l’allocation des ressources.

La capacité de la banque à résoudre les asymétries d’information ne se pose pas uniquement à l’occasion de la supervision. D’autres problèmes inhérents au processus d’acquisition de l’information se posent et semblent également pouvoir être résolus de manière optimum par la présence, ici également, d’un intermédiaire financier.

A partir du moment où l’information concernant l’investissement des entreprises n’est pas «connaissance commune», les agents peuvent être amenés à la produire. Le fait que nombre d’entre eux s’orientent dans cette direction est clairement une voie inefficiente puisque cela a pour conséquence de dupliquer les coûts de production de cette information.

D’un autre coté, si un nombre seulement limité d’agents la détient, il est en mesure de la vendre aux agents non informés. Cette transaction s’accompagne d’une difficulté majeure : l’agent informé ne peut assurer que l’information transmise est de la qualité requise. On se trouve donc en présence d’un problème de fiabilité 733 .

Ce problème induit une autre difficulté inhérente au processus informationnel. A partir du moment où le producteur détient une information crédible, on vient de voir qu’il peut la vendre à un autre agent.

Rien n’empêche celui-ci de la vendre, à son tour, sans en diminuer l’utilité pour lui-même puisqu’il s’agit ici d’un bien «non rival» 734 . Le producteur se trouve donc confronté à un «problème d’appropriabilité» 735 puisqu’il ne peut éviter la circulation de l’information. C’est l’opération même de recherche, quant à son efficience privée, qui est remise en cause.

Du point de vue théorique, ce double problème pourrait être résolu de manière plus efficace par l’intermédiaire financier que par le marché. Pour Leland et Pyle 736 , lorsqu’un entrepreneur individuel dispose d’information sur une opportunité d’investissement sans disposer des moyens de financement, cela l’oblige à solliciter des financeurs externes.

Ceux-ci, n’étant pas en mesure d’observer l’information privée de l’entrepreneur, se trouvent face à un problème potentiel de sélection adverse. On peut penser que la fraction de l’actif du projet conservée par l’entrepreneur (par rapport à celle détenue par les investisseurs extérieurs) signale la nature de l’information privée dont il est porteur.

Aussi, semble-t-il efficient de résoudre les problèmes de fiabilité et d’appropriabilité en ayant recours à un intermédiaire financier qui offre des garanties sur un projet, à propos duquel il a été informé de manière privée et pour lequel il organise l’émission des titres, dont il conserve, à titre incitatif, une fraction.

Une telle démarche pourrait s’avérer d’une efficience supérieure à un recours au marché puisque les problèmes d’appropriabilité et de fiabilité peuvent être résolus à partir du moment où le producteur d’information subit une perte dans le cas où il ne produirait pas l’information escomptée.

Le fait que l’intermédiaire investisse, lui-même, au nom des autres agents, répond à cette situation 737 . De manière plus formelle, Boyd et Prescott 738 définissent l’avantage de l’intermédiaire financier par rapport au marché, dans le domaine des asymétries d’information, puisque les agents présentent différents types et possèdent, de manière privée, cette information.

Chaque agent dispose, en outre d’une technologie lui permettant d’évaluer les projets et de déterminer le type de l’agent. Il existe alors une possibilité de faire face au problème de sélection adverse lié à la production d’information.

Sur le marché, les agents, après évaluation de leur propre projet, peuvent émettre des titres promettant des retours spécifiques aux investisseurs financiers. Une coalition d’agents peut alors se former et offrir aux investisseurs, un droit sur les retours obtenus par le groupe.

Cette coalition, comme intermédiaire financier, évalue les projets, choisit ceux dans lesquels elle souhaite investir et finalement, partage les retours, issus de son portefeuille de projets, entre les différents investisseurs financiers.

De manière alternative, dans le cadre du marché, l’agent peut utiliser sa dotation soit en produisant lui-même l’information sur le type d’un seul projet 739 , soit en investissant dans un seul projet (le sien non évalué ou celui d’un autre).

La meilleure solution réside évidemment dans le fait d’investir dans le nombre de bons projets le plus important possible. La difficulté majeure provient du fait que les agents présentant un mauvais projet cherchent à imiter les agents disposant d’un bon projet, promettent un retour équivalent et s’efforcent d’obtenir un haut retour. Compte tenu de la faible occurrence de cette dernière possibilité, l’équilibre de marché qui en résulte sera inefficient.

L’alternative présentée par la coalition constituant l’intermédiaire financier est à même de résoudre ce type de problème.

D’un côté, les membres livrent leur dotation à la coalition avant la mise en œuvre de l’investissement. Celle-ci est utilisée pour évaluer le projet. De l’autre côté, les déposants transfèrent leur propre dotation en contrepartie d’une promesse sur le montant futur de leur consommation.

Les agents, disposant de projets évalués comme bons et obtenant une rentabilité de haut niveau, recevront une part des profits en rapport avec ce succès. Les déposants, quant à eux, percevront un montant d’un niveau supérieur à celui issu d’un projet de mauvaise qualité mais inférieur au montant attendu du retour du bon projet, les membres de la coalition se répartissant les profits.

C’est précisément les règles de partage dictées par la coalition qui induisent, de la part des membres, la révélation de leur vrai type. La coalition peut alors financer chacun des projets disposant d’une bonne évaluation et utiliser les ressources restantes pour les projets d’un mauvais type sans supporter le coût de l’évaluation.

Bien entendu, la coalition ne peut financer la totalité de ces projets, mais elle ne dépense pas des ressources à les évaluer. C’est précisément ce point qui, pour Boyd et Prescott, constitue la supériorité de l’institution bancaire sur le marché.

En tant que coalition, elle induit de la part des membres, la révélation de leur type, évitant, ainsi, une coûteuse évaluation des projets de mauvaise qualité. C’est justement cette opération que le marché financier est incapable d’accomplir.

En effet, en conditionnant les gains aux retours issus du portefeuille de la coalition plutôt qu’au retour d’un seul projet, la coalition est en mesure d’offrir un gain plus élevé aux agents présentant un projet de mauvaise qualité qui induit leur participation à la coalition dans des conditions de transparence optimales.

L’approche financière en terme d’intermédiation insiste donc sur le fait que la supériorité de la banque sur le marché en matière informationnelle lui est conférée par sa capacité à résoudre les problèmes de « free rider » grâce à sa position déléguée de superviseur qui résulte d’une relation partenariale de long terme avec les emprunteurs.

De manière tout à fait différente, l’approche du rôle de l’information dans le système financier par la littérature privilégiant le marché, met l’accent sur le rôle central de la formation du prix sur le marché du capital comme élément central de l’allocation optimum des ressources.

Elle s’appuie sur l’exemple américain puisque celui-ci présente un nombre important d’entreprises inscrites à la cote, un dispositif informationnel ancien et organisé favorisant l’existence d’un contexte incitatif en matière de révélation de l’information économique par les entreprises ayant des besoins de financement.

Cette approche découle du modèle néoclassique standard qui s’est développé, dans un premier temps, sous l’hypothèse d’information parfaite.

Dans ce cas, la prise de décision du chef d’entreprise est simple, il utilise le flux financier provenant des actionnaires pour investir en intégrant l’information disponible, en particulier, les données contenues dans la comptabilité.

Lorsque l’excédent brut d’exploitation a été calculé, il est actualisé sur chacune des périodes futures au coût d’opportunité du capital. La valeur actualisée globale est maximisée en ne retenant que les projets présentant une valeur actualisée positive. Le taux d’actualisation dépend de la structure des taux d’intérêt fixée par le marché.

Il résulte de ce processus que les relations entre le chef d’entreprise et l’actionnaire sont simplifiées car l’actionnaire attend une maximisation de la valeur actualisée de la firme alors que le chef d’entreprise ne cherche pas à connaître l’échelle des préférences des actionnaires puisqu’il lui suffit, pour évaluer le taux d’actualisation choisi, d’analyser la structure des taux d’intérêt.

L’adoption d’hypothèses plus réalistes en matière d’information, et l’abandon de la condition de certitude modifie la prise de décision par les entreprises en ce sens que le flux d’excèdent brut d’exploitation certain est remplacé par un flux escompté. Le prix du marché des titres demeure, par conséquent, informationnellement efficient, comme mécanisme le mieux adapté pour allouer les ressources financières. Fama 740 en présente la logique de la manière suivante :

«  Un marché du capital efficient est une composante importante d’un système capitaliste. Dans un tel système, l’idéal est un marché où les prix sont un juste signal pour l’allocation du capital. C’est à dire que, lorsque des firmes émettent des titres pour financer leurs activités, elles doivent être capables d’en déterminer le bon prix, et quand les investisseurs financiers choisissent parmi les titres qui représentent la propriété des firmes, ils peuvent faire de même sous l'hypothèse qu’ils payent le «  bon » prix. En fait, si le marché du capital fonctionne correctement en matière d’allocation de ressources, le prix des titres doit être un bon indicateur de valeur ».

En terme d’anticipations rationnelles, les signaux privés obtenus par les investisseurs financiers seront incorporés aux prix de marché : l’information privée deviendra publique. Le marché financier se révèle donc, dans ce cas, particulièrement apte pour extraire l’information et donc pour permettre une allocation efficace des ressources productives.

Ce type d’argumentation est cependant limité par le fait qu’une information de meilleure qualité est susceptible d’accroître la volatilité du prix des titres et contribuer à une forte amplitude des variations de la consommation mais surtout pour la raison essentielle que l’information étant inégalement repartie, certains opérateurs en sont fortement dotés alors que d’autres doivent payer pour se la procurer 741 .

Cependant, le fait que les marchés financiers développés soient efficaces pour recueillir et traiter l’information peut leur donner un avantage sur la banque lorsque qu’il s’agit de financer des technologies nouvelles. En effet, dans ce cas, l’information sur les projets est naturellement très limitée et demande une forte capacité d’expertise pour l’évaluer.

Cette situation de forte incertitude s’accompagne d’une grande diversité des opinions des investisseurs financiers concernant les retours possibles dans le cas où ces projets seraient mis en œuvre 742 .

Les marchés sont efficaces dans cette situation puisqu’ils obligent la plupart des opérateurs à chercher à extraire eux-mêmes l’information. Le processus est, certes, socialement coûteux, mais il permet à chacun d’entre eux de prendre une décision rationnelle dont la conséquence sera que certains projets au moins, pourront être réalisés, qui ne le seraient pas dans le cas d’un financement bancaire.

Dans le même ordre d’idée, la capacité des marchés à acquérir l’information, avant la mise en œuvre du projet, peut se poursuivre dés lors que le projet est financé. Cela permet un contrôle plus efficace des dirigeants d’entreprise en facilitant les prises de contrôle et en reliant leurs gains à la performance de la firme 743 .

En définitive, du point de vue de leur capacité informationnelle, banque et marché présentent des spécificités qui les rendent aptes l’un et l’autre à répondre, là aussi, aux exigences requises par le financement de l’activité.

Notes
730.

Boyd J.H, Prescott E.C: « Financial Intermediary-coalitions” Journal of Economic Theory. 38: 211-32. 1986.

731.

Diamond Douglas: « Financial Intermediation and Delegated Monitoring » Review of Economic Studies. 51, 393-414. 1984.

732.

« Monitoring the monitor » in Diamond.D.W Op. Cité.

733.

« Reliability problem » in Hirshleifer.J: « The Private and Social Value of Information and the Reward To Inventive Activity » American Economic Review. September 1971. P 561-74.

734.

Cornes.R, Sandler.T:   « The Theory of Externalities, Public Goods, and Club Goods » Cambridge University Press. 1986.

735.

Grossman. Sanford, Stiglitz.Joseph: «On the Impossibility of Informationally Efficient Markets » American Economic Review 61, 393-408. 1980.

736.

Leland, Pyle: « Informational Asymmetries, Financial Structure and Financial Intermediation » 1977.

737.

Campbell.Tim, Kracaw.William: « Information Production, Market Signaling and the Theory of Financial Intermediation » Journal of finance. 35, 863-881. 1980.

738.

Boyd. John, Prescott. Edward: « Financial Intermediary Coalitions » Journal of Business. 67, 539-561.

739.

Si le projet est évalué, cette évaluation est publiquement observable et vérifiable.

740.

« An efficient capital market is an important component of a capitalist system. In such a system, the ideal is a market where prices are accurate signals for capital allocation. That is, when firms issue securities to finance their activities they can expect to get “fair” prices, and when investors choose among the securities that represent ownership of firms’ activities, they can do so under the assumption they are paying ‘fair” prices. In short, if the capital market is to function smoothly in allocating resources, prices of securities must be good indicators of value” in Fama.E.F: « Foundations of Finance ». New York. Basic Books. 1976. P 133.

741.

Cela revient à considérer les trois conditions de l’efficience (absence de coûts de transaction, gratuité de l’information et interprétation homogène de l’information) comme des contraintes trop fortes. Cf. Bernardo.A.E, Judd.K.L: « Efficiency of Assets Markets with Asymmetric Information ». Working Paper UCLA. 1997.

742.

Allen.F, Gale.D: « Comparing Financial Systems » Cambridge. Massachusetts. MIT Press. P 79. 2000.

743.

Holmström.B, Tirole.J: « Market Liquidity and Performance Monitoring » Journal of Political Economy 101(4) ; 678-709. 1993.