2-1-3- Modes de financement et gestion du risque : le troisième enjeu.

Il faut tout d’abord considérer le risque sous un double point de vue, d’abord, pour une période donnée, ensuite, de manière intertemporelle. Sur le plan instantané, les intermédiaires financiers disposent d’une efficacité certaine puisqu’ils sont capables de réduire les coûts de transactions.

La manière optimale de réduire le risque est, ici, de diversifier le financement. Des coûts fixes étant associés à chaque transaction, les banques, pouvant réaliser des économies d’échelle, sont en mesure de réduire les charges résultant de la diversification des portefeuilles de titres financiers.

En même temps, un marché financier suffisamment développé répond, également, à ce problème puisqu’il peut faciliter la diversification et éviter le risque de liquidité.

Parce qu’il rend disponible une grande quantité de titres, le marché peut permettre à chaque opérateur de constituer un portefeuille adapté à ses besoins de diversification. De plus, la limitation du nombre d’intermédiaires réduit les coûts supportés par l’investisseur financier. D’autre part, comme la majorité des projets permettant une rentabilité élevée, s’effectue sur un terme long, l’engagement des investisseurs peut s’imposer également à long terme.

Or, ceux-ci souhaitent, en général, éviter une telle situation qui limite fortement la disponibilité de leur épargne. La possibilité, pour l’entreprise porteuse du projet, de pouvoir émettre des titres, est l’occasion pour les investisseurs financiers, d’accroître leur portefeuille sans s’engager à long terme et sans courir un risque de liquidité majeur puisque les titres émis sont réputés cessibles.

L’opposition banque - marché se retrouve si l’on considère le risque dans sa dimension intertemporelle. Dans ce cas, le risque ne peut plus être diversifié puisqu’il relève d’un choc macroéconomique. La banque participe à la régulation de ce risque intertemporel 744 et peut en limiter les effets.

Si les investisseurs financiers acceptent de recevoir, de l’intermédiaire financier une rémunération de leur épargne inférieure à celle qu’ils auraient obtenue sur le marché, dans une période favorable, ils obtiendront une rémunération supérieure pendant les phases de récession 745 .

Cette capacité à résoudre les problèmes posés par les risques intertemporels résulte de la situation structurelle des banques qui sont, par leur activité même, en mesure d ‘accumuler des actifs présentant un fort degré de sécurité.

Au contraire, quoique mieux armé pour saisir les opportunités financières, le marché s’avère incapable de construire un tel dispositif puisque les investisseurs financiers individuels arbitrent en permanence entre des allocations de ressources afin de maximiser celles-ci en chaque point du temps.

Des exemples contemporains, comme la crise pétrolière des années soixante-dix et le boom financier des années quatre-vingts, permettent de mieux cerner cette opposition 746   :

«  Dans le cas des années soixante-dix, le Japon et l’Allemagne n’ont pas subi un déclin de richesse aussi prononcé que celui des Etats-Unis et du Royaume-Uni, ils n’ont donc pas eu à régler les fluctuations dans leur niveau de consommation. Dans le boom des années quatre-vingts, cependant, les ménages américains et britanniques obtinrent de très hauts retours et utilisèrent ceux-ci pour financer un plus haut niveau de consommation. »

Le financement par intermédiation bancaire limite de manière plus efficace les conséquences des chocs macroéconomiques sur les fluctuations du produit, mais d’un autre coté, le financement de marché contribue à mieux saisir les circonstances favorables aux investisseurs financiers 747 .

Enfin, le risque intertemporel s’accompagne d’un risque de liquidité qui semble efficacement réduit par l’activité bancaire. Comme nous venons de le voir, le financement de long terme se heurte à la préférence pour le présent de l’investisseur. Celui-ci s’efforce de maintenir ses droits sur son épargne pour chaque période.

L’intermédiaire peut influer sur le comportement de cet investisseur et lui rendre plus désirables des choix de long terme, grâce au contrôle qu’il exerce sur l’épargne. Il est en mesure d’investir dans des actifs de court terme, tout en s’engageant à long terme avec l’entreprise porteuse de projet.

C’est en particulier effectif dans le cas d’entreprises nouvellement créées dont les besoins s’étalent sur plusieurs périodes. Le marché n’est pas la solution optimum pour réévaluer des engagements de long terme, parce qu’il n’existe pas de procédure permettant aux propriétaires de titres d’agir collectivement afin de décider la nature des fonds supplémentaires à ajouter dans un projet.

L’établissement bancaire présente des capacités établies pour mettre en œuvre positivement la réorganisation financière d’un emprunteur. L’étude économétrique de Gilson, John et Lang montre que la probabilité de réussir une restructuration d’entreprise en difficulté est positivement corrélée avec son degré de dépendance à l’emprunt bancaire.

L’interprétation de ce résultat suggère qu’il reste plus facile pour une banque de renégocier 748 les prêts puisqu’elle peut s’engager de manière crédible dans cette opération compte tenu de la structure de son bilan et de sa fonction de transformation, alors que le grand nombre des actionnaires ou des obligataires exacerbe, sur le marché, les situations de « free rider ».

On voit donc que, comme en matière de mobilisation de l’épargne et de capacité informationnelle, la gestion du risque peut poser banque et marché en rivaux exclusif.

Notes
744.

Levine.R: « Bank-Based or Market-Based Financial Systems: Which is Better? » Carlson School of Management. University of Minnesota Working Paper. 2000.

745.

On est donc en présence d’une relation dont la structure est celle d’un contrat implicite d’assurance.

746.

« In [the early 1970s] case given that claims on intermediaries were constant in value, households in Japan and Germany did not experience a decline in wealth like those in the United States and United Kingdom, and as a result they did not face substantial fluctuations in their consumption. […] In the boom of the 1980s, however, households in the US and the UK obtained higher returns and used those returns to finance a higher consumption profile. German and Japanese households, on the other hand, did not gain as much from the boom. » In Dolar.Veronica, Meh.Césaire: « Financial Structure and Economic Growth: A Non-Technical Survey ». Banque du Canada. Document de travail 2002-24. P 10.

747.

Nous verrons plus loin que ce type de configuration fragilise, de manière importante, la possible complémentarité de ces deux formes de financement.

748.

Lummer.S.L, McConnell.J.J: « Further Evidence on the Bank Lending Process and the Capital-Market Response to Bank Loan Agreements ». Journal of Financial Economics. 25. 99-122. 1989.