CONCLUSION : DES MODES DE FINANCEMENT AUX TYPES DE FRAGILITE FINANCIERE :

Nous avons émis l’hypothèse d’une dualité des modes de financement du capitalisme mature et, en effet, celui-ci offre bien un double contraste juridique et historique.

En premier lieu, selon la nature du contexte légal et institutionnel, il offre une place plus ou moins importante à l’intermédiation de bilan sous la forme du crédit traditionnel 768 .

Celle-ci, dominant toujours la phase d’émergence du capitalisme productif, voit son importance sensiblement remise en cause, dés lors que le système légal assure de manière efficace l’intérêt des créanciers.

On voit alors apparaître, de manière complémentaire mais souvent compétitives avec les formes traditionnelles, d’autres formes d’intermédiation.

La nouvelle intermédiation de bilan 769 met en œuvre des crédits accordés aux conditions du marché (à travers la marchéisation) ; de même que la mobiliérisation l’effectue à partir de la mise en jeu d’actifs négociables.

Ce même mouvement stimule, d’autre part, l’intermédiation de marché 770 qui prendra une place plus ou moins importante selon le cadre réglementaire offert par le système légal.

Dans tous ces cas, nous avons pu montrer que, partant des contextes culturels spécifiques, le système juridique s’efforce de résoudre la question essentielle de la stabilité financière.

En second lieu, l’analyse historique nous a permis d’observer une même tendance. Le processus de financement du capitalisme productif mature s’accompagne de fortes discontinuités marquées par un aller-retour de la domination de formes d’intermédiation au détriment d’autres qui s’estompent sans pour autant disparaître.

L’amélioration du système légal n’apparaît donc pas être un élément suffisant, pour orienter de manière linéaire, le mode de financement dans une direction unique qui serait celle du financement de marché.

La tendance au développement de l’intermédiation de marché, de la fin du XIXe siècle à la fin des années vingt du XXe, laisse place à partir de la «‘Grande Dépression»’ à une intermédiation dominée par la banque.

Il faut attendre la fin du XXe siècle pour qu’un retour puissant à l’intermédiation de marché se produise.

Il existe donc une dynamique propre au financement du capitalisme productif qui impose sa périodisation malgré l’influence, réelle, du système légal.

C’est pour remédier à la grande instabilité engendrée par la domination d’une finance de marché que l’intermédiation de crédit, établie sur la base de la rente bancaire et de relations de long terme entre le financier et l’emprunteur, va devoir se mettre en place après la Seconde Guerre Mondiale.

C’est pour répondre aux rigidités croissantes produites par ce système de seigneuriage que le financement de marché va renaître dans les années 80-90 du XXe siècle.

On retrouve encore, à travers cette dynamique financière, le ‘«’ ‘ balancement historique »’ dont l’auteur de la ‘«’ ‘Grande Transformation»’ 771 a si bien formulé le premier terme :

«  […] l’idée d’un marché s’ajustant lui-même était purement utopique. Une telle institution ne pouvait exister de façon suivie sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société, sans détruire l’homme et sans transformer son milieu en désert. Inévitablement, la société prit des mesures pour se protéger, mais toutes ces mesures, quelles qu’elles fussent, compromirent l’autorégulation du marché, désorganisèrent la vie industrielle, et exposèrent ainsi la société à d’autres dangers. »

Par les ruptures historiques comme par les actions humaines visant à modeler les systèmes légaux afin d’assurer la stabilité, nous avons eu l’occasion de repérer les types de fragilité financière à l’œuvre dans ces processus.

Les causes en tiennent à l’amélioration des procédures réglementaires et prudentielles ainsi qu’à la place occupée par la puissance publique en matière de supervision.

La conséquence a été la disparition des paniques bancaires qui étaient (et restent) la matérialisation de la fragilité financière aux époques d’émergence du capitalisme productif.

Il faudra préciser les contours de ce dispositif, en particulier pour expliciter la nature conjoncturelle ou structurelle des crises bancaires qu’engendre ce type de fragilité.

Une réflexion sur la nature de la crise bancaire japonaise dans les années 90 pourra être menée pour clarifier ce débat.

Celle-ci provoque généralement une instabilité financière marquée. Il faudra, là aussi, examiner quels mécanismes, en jeu ici, permettent de saisir l’existence d’une fragilité spécifique au marché financier dont la conséquence, la bulle financière, sera étudiée dans le cadre d’une analyse des périodes précédant les crises de 1929 et de 1987.

Notes
768.

Ligne C-E dans le graphique précédent.

769.

Ligne B-F-E.

770.

Ligne A et B-D.

771.

Polanyi Karl : « La Grande Transformation ». Aux origines politiques et économiques de notre temps. NRF. Edition Gallimard. 1944. P 22.