CHAPITRE II
LA FRAGILITE D’INTERMEDIATION DE CREDIT DANS LE PROCESSUS DE DEVELOPPEMENT DU CAPITALISME MATURE

A l’issue de la dépression des années trente et de la seconde guerre mondiale, la domination d’un système de financement administré fortement axé sur la banque, y compris dans les pays traditionnellement hostiles à cette innovation, s’est révélé d’une stabilité remarquable et a constitué une pierre angulaire de la croissance économique internationale propre à cette période.

Cependant, à partir des années 80, de nouvelles formes de fragilité financière sont apparues dans les pays pour lesquels l’intermédiation de crédit a pourtant toujours dominé. Le processus s’est parfois transformé en crises bancaires de grande ampleur comme ce fut le cas au Japon et dans les pays nordiques au début des années 90.

Bien entendu, tout en présentant des mécanismes souvent relativement similaires, la nature de ces crises bancaires diffère de celles que nous avons étudiées à l’occasion de l’analyse du capitalisme émergent. La fragilité financière en œuvre dans les capitalismes de maturité ne conduit pas à des épisodes de paniques bancaires tels que nous avons pu les noter dans la crise asiatique de 1997 pour les pays émergents.

On peut voir ici l’expérience accumulée, en dépit des obstacles, par les pays anciennement industrialisés, et institutionnalisée à travers l’établissement de prêteurs en dernier ressort, d’une garantie des dépôts, de procédures de supervision et d’une régulation présentant un certain degré d’efficacité.

La fragilité bancaire coté passif semble donc ne plus être un élément suffisant pour mettre en péril le système financier dans ce type de pays. Par contre, c’est plutôt en matière d’actif de bilan que le processus de fragilité bancaire va pouvoir se développer, en particulier à travers la lancinante question des «‘créances douteuses»’ qui étaient déjà à la racine de l’instabilité financière propre au capitalisme émergent.

En choisissant d’analyser la fragilité bancaire caractérisant le Japon, nous nous efforcerons de montrer les raisons qui expliquent l’irruption d’une crise financière larvée marquée par deux phases aiguës en 1991 et 1997 772 .

Nous étudierons d’abord les deux éléments candidats à l’explication de cette fragilité financière, c’est à dire, en premier lieu, un système «axé sur la banque» contraint d’évoluer par les succès commerciaux du pays, auxquels il a lui-même contribué, puis une dérégulation progressant de manière limitée.

A partir de là, nous réfléchirons sur la nature de cette fragilité financière afin de comprendre en quoi les deux éléments, précédemment indiqués, se combinent pour permettre l’émergence de ce que nous nommerons une ‘«’ ‘double fragilité bancaire»’ dont il faudra démontrer la pertinence.

Pendant la phase de haute conjoncture, l’intermédiation de crédit va constituer, pour les banques, une arme à double tranchant. D’un côté, elle favorise la croissance exceptionnelle de l’appareil productif et commercial. Mais d’un autre côté, comme nous le verrons, elle va créer les conditions permettant aux grandes entreprises de s’émanciper de la tutelle des établissements de crédit domestiques.

Cette situation, accompagnée par le refus des banques de modifier le cadre de leur action, va constituer le cadre d’une ‘«’ ‘fragilité bancaire initiale»’. L’impasse qui résulte de cette situation engage le système bancaire dans une tentative de transformation qui ne s’accompagne pas, parallèlement, de la mise en œuvre d’une régulation adaptée.

La recherche de nouvelles sources de profit entraîne alors une prise de risque mal maîtrisée par les établissements financiers. Il résulte de ce processus l’apparition d’une «fragilité induite» dans laquelle la course en avant des banques concernées va fortement déstabiliser certains marchés d’actifs.

Cette «double fragilité bancaire», conjonction d’une fragilité initiale et d’une fragilité induite, semble pouvoir être mise en lumière dans d’autres cas touchant des systèmes de financement axés sur la banque dans les pays développés.

En mettant en lumière sa structuration comme double-contrainte, elle pourra apparaître comme un concept permettant d’interpréter les phases d’instabilité propres aux capitalismes de maturité dans ce qu’elles ont de commun.

Notes
772.

Jusqu’aux années 80, la stabilité financière caractérisait pourtant ce pays, qui, si l’on omet la fin de la seconde guerre mondiale, n’avait pas connu de crise financière depuis 1927.