1-2- Fluctuations financières, fondamentaux et efficience des marchés financiers :

L’existence de fluctuations financières se pose en effet comme un enjeu d’importance pour la théorie des marchés efficients.

C’est d’autant plus vrai si l’on considère la forme générale de ce type de fluctuations. Celle-ci présente habituellement une forte asymétrie composée d’une phase de croissance du prix des titres longue et lente suivie d’un déclin ou même d’une chute souvent rapide et abrupte.

Ainsi, l’analyse de l’index de Standard and Poor’s de 1889 à 1984 montre, pour chaque cycle financier, une longueur plus importante de la phase haussière suivie d’une phase courte de baisse. Dans le même temps, l’écart par rapport à la moyenne est plus faible en cas de hausse (où la déviation est en moyenne de 12.3%) que dans le cas des baisses (-16%) 922 .

Il s’agit donc de démontrer, sous cet angle théorique, que la source du crash ne provient pas de la nature intrinsèque du marché ni de son organisation propre en terme informationnel.

Dans cet ordre d’idée, le modèle de Boldrin et Levine 923 présente la fluctuation financière asymétrique comme l’expression d’un processus d’innovation technologique sous-jacent.

Le cycle est donc ici le simple reflet de l’évolution des fondamentaux du marché. Lorsqu’une technologie s’épuise, les titres financiers représentatifs de cette technologie amorce un déclin parce que les entreprises la détenant s’efforcent de la maintenir et de ralentir la mise en œuvre de la nouvelle technologie.

En effet, initialement, une nouvelle technologie exige des délais importants avant d’être adoptée dans l’ensemble de la branche ou de l’économie.

Elle s’accompagne pendant cette même période d’innovation sur l’ancien produit permettant une augmentation de la productivité. La durée de cette étape demeure cependant entachée d’incertitude, d’autant que l’on ignore le moment à partir duquel ces améliorations vont épuiser leurs effets.

Lorsque la technologie est épuisée, un nouveau type de capital peut être mis en œuvre. Mais un délai reste inévitable avant que celui-ci puisse dépasser en efficacité l’ancien capital notamment du fait du temps nécessaire d’apprentissage des nouveaux savoir-faire.

Cette phase marque donc l’apparition d’un choc technologique dont l’impact sur la valeur du capital existant est essentiel à analyser.

Dans un premier temps, l’épuisement technologique du capital existant ne remet pas en cause l’efficacité de l’activité courante concernant celui-ci. Cependant, il rend son utilisation future moins attractive que si le processus technologique avait poursuivi son amélioration.

L’effet sur la valeur financière du capital dépend du degré d’aversion au risque des agents. Si ce coefficient d’aversion au risque est positif, c'est-à-dire si l’agent est fortement adverse au risque, la valeur présente du capital s’accroît en cas de «mauvaises nouvelles».

En effet, cette situation entraîne une baisse du taux d’intérêt futur et donc un déclin de la consommation anticipée qui peut être ici assimilée aux droits futurs que procurent la propriété de ce capital. La valeur actualisée ne peut donc qu’augmenter.

Au contraire, dans le cas d’une faible aversion pour le risque, la valeur actualisée du capital diminue et donc la valeur financière des titres baisse.

Mais dans le cas général, les mauvaises nouvelles sont rares, aussi la valeur du capital augmente à chaque période, compte tenu de l’amélioration du taux de croissance de la consommation anticipée.

Cette phase de boom financier est suivie, en cas de la survenue de mauvaises nouvelles, par une chute de la valeur de ce capital.

A ce moment, la nouvelle technologie commence à se développer et devient suffisamment productive pour que l’ancien capital se retire progressivement. L’économie retrouve, son sentier de croissance initial.

Auparavant, la période de transition suivant le choc négatif s’accompagne, par contre, d’un déclin ou d’un affaiblissement de la croissance de l’économie et donc de la consommation. Elle est donc marquée par la récession pendant laquelle la valeur du capital va progressivement se reconstituer puisque le nouveau capital va graduellement être adopté et développer son potentiel productif.

Boldrine et Levine 924 analysent, de ce point de vue, la «loi de Moore» selon laquelle la vitesse des microprocesseurs double tous les dix-huit mois.

Comme il parait difficile de considérer que cette progression va se poursuivre sur le long terme, on peut imaginer que la mauvaise nouvelle concernant son inadaptation aura des conséquences financières immédiates.

Par contre, la mise en œuvre d’une nouvelle technologie dans le domaine des microprocesseurs impliquera des délais pour produire et développer ce nouveau capital ainsi que pour l’adapter aux exigences de l’appareil productif. Cette dynamique technologique permet de rendre compte du rythme déployé par le cycle financier et en particulier de l’asymétrie constatée empiriquement entre la phase de boom et la phase de crash.

On peut, d’ailleurs, dans ce cadre théorique étendre la causalité engendrée par le phénomène technologique à d’autres domaines. C’est, en particulier, le cas pour l’adoption de nouvelles règles juridiques ou organisationnelles concernant le marché financier.

De ce point de vue, leur impact sur la modification des fondamentaux peut être assimilé à un évènement proche du choc technologique.

Les conséquences de ce type d’analyse sont importantes puisque, dés lors, les mouvements financiers, et en particulier les crashs, peuvent être analysés comme la résultante de modifications essentiellement propres aux fondamentaux 925 .

L’existence d’inefficience de marché ou l’irrationalité du comportement des opérateurs, c'est-à-dire les phénomènes qui pourraient être à l’œuvre dans le développement d’un processus de fragilité financière, ne sont pas, au regard de cette analyse, des données pertinentes pour comprendre les ruptures financières.

C’est ce que confirme Boldrine et Levine en synthétisant le cadre de leur démarche 926  :

‘« L’élément clef de ce point de vue est l’idée que ni le boom du marché financier, ni le crash, ni la récession qui suit ne sont mauvais. Ils sont une part de la solution optimum au problème de la maximisation de la valeur présente de la consommation » ’

Cependant, à la fin des années 80, la recherche aussi bien empirique que théorique a pourtant limité la portée d’un type d’analyse des marchés exclusivement centrée sur une approche en terme d’efficience informationnelle.

Notes
922.

Shiller.R: « Market Volatility ». MIT Press. Cambridge. M.A.1989.

923.

Boldrin.M, Levine.D: “Growth Cycles and Market Crashes”; Fundacion Marc Rich. UCLA Academic Senate. Septembre 1999. P 33.

924.

Op.Cité P 5.

925.

Ici interprétés sous leur angle technologique.

926.

Op.Cité P 4. « Key to this point of view is the idea that neither the stock market boom, the stock market crash, nor the recession that follows the crash are bad. Here they are part of the first best solution to the problem of maximizing the present value of utility from consumption.”