2-2- L’hypothèse d’efficience des marchés financiers  face à l’analyse empirique et la mise en évidence du phénomène de surréaction:

Du point de vue empirique, l’hypothèse d’efficience et les prédictions essentielles de la théorie de l’efficience peuvent être interrogées à la lumière d’études empiriques récentes.

Le premier résultat obtenu par l’hypothèse d’efficience concerne, on le sait, le prix des actifs. Celui-ci doit fluctuer, de manière aléatoire, de période en période, en réponse à la composante non anticipée de l’information disponible de telle manière que le retour total sur actif excède le retour sur actif sans risque du montant correspondant au niveau de risque choisi.

Or, sur courte période 951 , le retour moyen observé sur la période précédente accroît la probabilité de prévoir le retour moyen sur la période suivante.

Ainsi, l’étude de Lo et MacKinlay 952 basée sur un test de variance montre que le modèle de marche au hasard n’est pas généralement consistant avec le comportement stochastique des retours heddomadaires, en particulier dans le cas des petites capitalisations.

Ils mettent en évidence, en particulier, l’existence d’une corrélation positive pour les périodes hebdomadaires et mensuelles 953 impliquant que 30% de la variation est prédictible à partir de la période précédente 954 .

Dans le même ordre d’idée, Jegadeesh et Titman 955 peuvent illustrer les résultats d’une stratégie basée sur un principe de sélection simple.

Les actions américaines sont classées relativement à leur performance historique. Puis des portefeuilles de titres sont constitués en fonction du niveau de ces performances tout en réorganisant périodiquement les portefeuilles en fonction des principes évoqués plus hauts. Les performances effectives des portefeuilles dépendent alors des performances historiques.

L’hypothèse d’efficience postule, d’autre part, que toute nouvelle information est instantanément incorporée dans le prix de l’actif. Les études empiriques valident généralement ce comportement du marché en ce qui concerne les événements majeurs 956  comme les prises de contrôle ou la politique de distribution de dividende.

Cependant, dans d’autres cas, le prix des titres ne s’ajuste pas immédiatement à une nouvelle information. Cela apparaît, par exemple, en ce qui concerne les déclarations de profits des firmes. En moyenne, le prix poursuit sa hausse (baisse) après l’annonce d’un profit non anticipé fort (faible) 957 .

Etudiant, sur cinq ans, le cas de neuf entreprises françaises de moyenne capitalisation, Lardic et Mignon 958 observent ainsi l’influence d’une information concernant la rentabilité de l’entreprise « juste avant » et « juste après ».

Il résulte de ce test que certaines informations n’ont pas été correctement anticipées, ce qui implique des conséquences certaines sur les cours.

Les premières études économétriques s’étaient, avant tout, penchées sur les événements anticipés. Dans ce cas, l’information paraissait s’intégrer de manière extrêmement rapide aux prix courants.

Dés lors que l’on choisit de tester l’impact des informations non anticipées, les résultats empiriques s’avèrent pourtant différents. L’analyse menée par Brooks et al. 959 sur les transactions journalières du NYSE entre 1989 et 1992 permet de montrer que le temps nécessaire pour la réponse du marché à ce type d’information est beaucoup plus long.

De manière significative d’ailleurs, il apparaît que les événements non anticipés rendus publics pendant une période de fermeture du marché, se voient immédiatement absorbés par le prix dés la reprise de l’activité, alors que les évènements se produisant pendant la cotation demande un temps de battement pour produire un effet sur le cours 960 .

Une période apparaît donc nécessaire pour formuler l’impact de l’information. On peut interpréter cet écart de temps comme le moment utilisé par les traders pour établir l’existence et le niveau des différences d’opinions sur le marché et pour réagir en conséquence.

Il semble que la thèse la plus contestée demeure, cependant, celle qui considère le prix comme le reflet de la valeur intrinsèque de l’actif.

Dans cette situation, chaque mouvement ne peut alors être interprété que comme résultant d’une modification relative aux fondamentaux de l’économie.

Il ne saurait donc y avoir, du moins sur le long terme, de situation suggérant un écart persistant entre prix et valeur.

Remettre en cause cette analyse, sur le plan empirique, présente, évidemment, d’importantes difficultés, sur le plan méthodologique, car l’existence d’un écart positif ou négatif du cours à la valeur fondamentale, c'est-à-dire d’une réaction du marché disproportionnée par rapport à la nature de l’information, peut être, lorsqu’il est graduel, assimilé au comportement du prix propre à celui d’un marché efficient sur lequel le prix absorbe correctement l’information.

Cependant, de nombreuses « anomalies » de marché ont pourtant pu être mises en évidence. Le phénomène le plus symptomatique dans ce domaine est celui de la surréaction, laquelle indique que les titres ayant eu les performances les plus faibles dans la période passée ont des performances supérieures sur les périodes suivantes et inversement.

Cette approche en terme de surréaction s’appuie sur la constatation d’autocorrélations multi-périodiques des rentabilités 961 . En violation de la règle de Bayes, les agents ont tendance à sur-réagir aux événements imprévus et dramatiques.

Il résulte de ce type de comportement la possibilité de mettre en œuvre des stratégies d’arbitrage 962 fondées sur la dépendance négative des rentabilités ce qui contrevient évidemment aux principes mêmes de l’efficience.

Dans cette même optique, l’analyse de De Bondt et Thaler 963 s’efforce donc de montrer que la mise en lumière d’un phénomène de surréaction peut s’avérer prédictive puisqu’elle s’appuie sur deux hypothèses 964  :

Des mouvements extrêmes devront être suivis d’un mouvement des prix dans le sens inverse.

Plus le mouvement des prix est important, plus le sera également l’ajustement.

Lorsqu’il s’agit de tester l’efficience du marché, on constitue des portefeuilles en fonction d’informations affectant les titres constituant ces portefeuilles, en particulier les annonces de gains. On compare ensuite le retour estimé du portefeuille avec la valeur d’équilibre du rendement du portefeuille évalué grâce au modèle d’équilibre des actifs financiers (MEDAF ou CAPM).

Si le solde est significativement proche de zéro, cela valide l’efficience du marché (sous sa forme semi-forte). Dans le cas inverse, ce résultat est considéré comme provenant d’une mauvaise spécification du MEDAF ou d’une inefficience du marché.

De Bondt et Thaler considèrent que l’écart non nul dans la période suivant la formation du portefeuille correspond à un écart non nul dans la période précédent cette formation.

Ils constituent deux portefeuilles, l’un gagnant (W), l’autre perdant (L), formés à partir des résultats extrêmes de la période précédente et non en fonction d’une variable informationnelle révélée après la formation des portefeuilles. Si l’on admet la condition d’efficience du marché sous la forme suivante :

Où correspond à l’estimation du retour résiduel estimé, représente l’ensemble d’information en t-1 et le retour sur le titre j au temps t. L’hypothèse de sur-réaction suppose donc que :

Afin de former les deux portefeuilles, les deux auteurs vont utiliser les retours mensuels obtenus à partir des données du NYSE de janvier 1926 à décembre 1982. Les résultats empiriques obtenus valident l’hypothèse de sur-réaction dans des domaines essentiels.

Tout d’abord, les « portefeuilles perdants » sur-performent le marché en moyenne de 19.6%, 36 mois après leur formation. De l’autre côté, les « portefeuilles gagnants » sous-performent de 5% le marché.

D’autre part, la surréaction s’avère asymétrique : elle produit un mouvement plus ample pour les portefeuilles perdants que pour les portefeuilles gagnants. Le bêta 965 moyen des titres gagnants est systématiquement plus important que celui des titres perdants.

Cette « anomalie » que constitue le phénomène de sur-réaction doit être maintenant liée à deux autres phénomènes non pris en compte par la théorie de l’efficience et qui pourraient être mis en relation avec ce dernier phénomène pour contribuer à réinterpréter le concept de rationalité du marché financier afin de mettre en lumière le caractère structurel de sa fragilité.

En premier lieu, certaines informations sans lien rationnel apparent avec la valeur des titres semblent pourtant posséder un pouvoir prédictif sur l’évolution de ces titres. En outre, l’hypothèse du mimétisme semble pouvoir être défendue à l’encontre d’une démarche privilégiant le comportement efficient de l’agent représentatif sur le plan informationnel.

Notes
951.

C'est-à-dire des intervalles quotidiens, hebdomadaires et mensuels.

952.

Lo.A.W, MacKinlay.A.C: “Stock Market do not Follow Random Walks: Evidence from a Simple Specification Test”. The Review of Financial Studies. Vol 1. Number 1. pp 41-66. 1988.

953.

Dans leur étude concernant les retours de long terme, Fama et French font apparaître une corrélation négative induisant une prédictibilité de 25 à 40%. Cf. Fama.E, French.K: “Permanent and Temporary Components of Stocks Prices” Working Paper 178. Center for Research on Security Prices. University of Chicago. Journal of Political Economy. 1987.

954.

Op.Cité P 42.

955.

Jegadeesh.N, Titman.S : "Returns to Buying Winners and Selling Losers: Implications for Stock Market Efficiency» Journal of Finance, March 1993. In Boillat.P.Y, De Skowronski. N, Tuchmid.N.S: “Stratégie Cluster-Momentum: L’exemple du Marché Américain des Actions. Les Cahiers de la Finance. BCV. Décembre 2001.

956.

Fama.E.F: “Efficient Capital Market: a Review of Theory and Empirical Work” Journal of Finance. Vol.25, N°2, P 383-417. 1970.

957.

Chan.L, Jegadeesh.N, Lakonishok.J: “Momentum Strategies” Journal of Finance, 51(5). Pp 1681-1713. 1996.

958.

LardicS, Mignon.V : “Analyse intraquotidienne de l’impact des “news” sur le marché boursier français”. JEL : G14. p 27.

959.

Brooks.R.M, Patel.A, Sue.T: “The Market’s Response to Unanticipated Events”. Septembre 1998. P 30.

960.

Entre huit et dix minutes selon le type de titre. Brooks et al, op cité p 12.

961.

Fama.E, French.K: “Permanent and temporary Components of Stocks Prices” Working Paper 178. Center for Research on Security Prices. University of Chicago. Journal of Political Economy. 1987.

962.

Sur le marché financier français voir Mai.HM : « Sur-réaction sur le marché français des actions au Règlement Mensuel » Cereg. Paris-Dauphine. Finance. Volume 16. n°1. 1995. P 27.

963.

De Bondt.W.F.M, Thaler.R: “Does the Stock market Overreact ?” Journal of Finance Volume 40. Issue 3. Papers and Proceeding of the Forty-third Annual Meeting American Finance association. Dallas. Texas. December 28-30 1984. p 793-805.

964.

Op.cité P 794.

965.

 exprime l’influence du marché sur le cours de l’action et correspond au risque systématique.