CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE
MODES DE FINANCEMENT DU CAPITALISME MATURE ET FRAGILITE FINANCIERE

Ainsi, de la fin du XIXe siècle au début du XXIe, deux modes de financement de l’activité émergent dans un capitalisme parvenu à maturité et tendent tous les deux, quoique par des chemins différents, à se structurer en métacapitalisme.

Une double exigence impose la nature du mode de financement en vigueur dans un temps et un espace donné.

Le type d’institutionnalisation du marché financier à travers les normes légales et culturelles issues de l’histoire nationale en constitue le premier élément. La période historique et en particulier l’épuisement du mode de financement précédent en forme le second.

Des années 30 aux années 70, époque dite de « répression financière », l’intermédiation de crédit domine, mais d’une manière profondément différente de celle qu’elle prenait au XIXe siècle.

L’action publique, par sa puissance, limite et même le plus souvent élimine la fragilité du passif bancaire qui -étant la règle du capitalisme naissant- débouchait sur de fréquentes paniques bancaires.

La finance administrée ne s’accompagne pas, à l’époque du capitalisme de maturité, d’une fragilité financière –au sens où nous l’entendons-. Elle est d’ailleurs directement mise en place pour l’annihiler et dans une large mesure, elle y parvient.

En revanche, antérieurement et postérieurement à cette période, le mode de financement est tendanciellement orienté vers le marché. C’est aussi une période propice à l’émergence de processus induit de la fragilité financière.

Les économies disposant d’un système juridique et culturel adapté à l’intérêt des propriétaires d’actifs financiers retrouvent leur chemin « naturel » de développement financier interrompu par le krach de 1929 et la grande dépression. C’est le cas –emblématique- des Etats-Unis et dans une moindre mesure du Royaume-Uni.

Les économies dont le capitalisme est plus tardif ou dispose de normes légales et culturelles ne répondant pas aux exigences d’un financement de marché dominant, maintiennent avec de plus en plus de difficultés une intermédiation de crédit à laquelle la banque s’efforce, pour ses besoins propres, d’intégrer une part croissante d’intermédiation de marché.

Les situations de rupture de ces deux modes de financement se révèlent alors assez fortement dissemblables.

Lorsque la banque s’efforce de limiter une intermédiation de crédit, qui lui échappe, au profit de la « marchéisation » de son activité, c’est à des crises bancaires de grande ampleur, impliquant l’actif des établissements financiers, auxquelles on assiste, comme en témoigne les exemples japonais ou nordiques dans les années 90.

Par contre, quand l’intermédiation de marché, déjà tendanciellement dominante, s’approfondie, les ruptures prennent la forme du krach boursier concluant une phase de bulle comme celle précédant octobre 1929 ou octobre 1987 à Wall Street.

Mais, quel que soit la forme prise par cette fragilité financière, elle adopte, dans ces deux cas, la structure d’une double-contrainte.

- Lorsque la fragilité financière ouvre la possibilité d’une crise bancaire, cette double contrainte opère en deux étapes :

La fragilité initiale procède d’une inadéquation croissante de la finance administrée pour la fraction la plus dynamique de l’appareil productif. Face à la détérioration de sa rente, le système bancaire n’a d’autres choix que tenter de modifier à son profit l’ensemble du processus.

Les conséquences de cette fragilité initiale plonge alors la banque dans une fragilité induite qui va lui être fatale, quoiqu’elle en apparaisse – et qu’elle en soit dans une large mesure- le principal acteur.

En effet, immergée dans un environnement compétitif dont elle ne maîtrise pas les codes et pour lequel ne pré-existe aucune régulation efficace, elle va se trouver contrainte d’accroître, pour une raison vitale, sa prise de risque, dans un univers fortement imprégné d’incertitude, de manière à la fois inévitable pour elle, mais exagérée relativement aux besoins réels de l’appareil productif.

- Le financement du capitalisme basé traditionnellement sur l’intermédiation de marché n’échappe pas lui non plus à une fragilité financière structurée comme une double-contrainte. L’asymétrie d’information est, ici, au cœur de la problématique : racine de la transaction financière, elle en annonce le possible déséquilibre.

La double-contrainte se constitue autour de la nécessité de constituer un marché pour répondre à un cadre financier entaché d’asymétries d’information mais de contribuer, dans le même temps, à la production de ces mêmes asymétries d’information.

Celles-ci induiront la possibilité de phénomènes de surréaction à laquelle les agents vont devoir s’efforcer de répondre rationnellement par l’observation des signaux émis par les autres agents, ne référant plus, à partir de là, à leur information privée.

Dans les deux cas, cette structure de double-contrainte endogénéise la fragilité financière et la constitue à la fois comme possibilité d’instabilité et de crises mais aussi comme dynamique vers la construction de nouveaux types de régulation.