Introduction

"Je t’adjure par Jésus Christ, le Fils de Dieu, qui sur la croix a triomphé de toi, qui en toute justice t’a repris le pouvoir que tu avais usurpé sur l’homme, je t’adjure de déclarer qui tu es."
Un clerc dans la vie de saint Norbert de Xanten, Vita A, ed. Wilmans, MGHSS, XII, p. 686.

"Alors, Benoît, vieille motte de gazon, qu'avons-nous de commun avec toi ? Pourquoi mort poursuis-tu ceux qui, vivant nulle part, ont le pouvoir de régner quelque part ? Qui es-tu pour nous ? Je t'adjure de ne pas rester dans l'erreur."
Une petite fille possédée par le diable dans Les miracles de saint Benoît, E. de CERTAIN, Paris, 1858, p. 178.

L'exorcisme médiéval est résumé par une image qui représente la guérison du possédé muet dans un Évangile du XIIIe siècle 1 . Le Christ est de face, sa tête est nimbée, son bras droit est levé et, dans la main gauche, il tient un rouleau ouvert. A la solide sérénité de ce corps vêtu de bleu qui semble être en apesanteur, s'oppose le corps déséquilibré d'un homme identifiable comme possédé car un diable sort de sa bouche. La tête renversée en arrière, le corps et les jambes pliées, il est de petite taille. De sa bouche sort un démon brun, cornu, à la pilosité abondante. L'homme et son démon, tournés vers le Christ, font à peu près le même geste : les deux bras ouverts et l'index de la main droite tendu vers le haut. Par ces gestes qui imitent à leur manière ceux du Christ, les deux personnages semblent vouloir donner un enseignement représenté par les trois traits rouges qui sortent de la bouche du diable.

L'exorcisme, en effet, est l'affrontement entre deux Paroles. Celle, sereine, du Christ qui a donné son enseignement dans les Évangiles qui sont lues sur le possédé. La parole de l’exorciste est une adjuration, un ordre donné au diable de partir au nom du Christ ou du divin. Cette parole, introduite dans l’Église au IIIe siècle, prend plusieurs formes : elle est une prière dite ou chantée, des gestes, la prescription d’une pénitence ou de pratiques ascétiques. La parole du diable prend place dans le corps qu'il possède et utilise la voix de l’énergumène pour proférer vérités et mensonges, révélations et blasphèmes, louanges et outrages.

L'image traduit ce face à face entre la Parole qui enseigne la foi, qui guérit, et qui réunit et celle qui divise, qui sème la confusion et qui détourne l'homme de Dieu. Entre l’ordre incarné par le Christ qui adopte la position de l’enseignement et le désordre représenté par la position du possédé et du diable, l’écart est immense et laisse entrevoir à la fois une rivalité entre ordre et désordre et le processus de réintégration au cœur de l’exorcisme.

Notes
1.

Cette représentation se trouve dans un évangile du milieu du XIIIe siècle de la bibliothèque Vaticane, Vat. Lat 39, fol. 10 (planche 23, image de couverture). Elle illustre Matthieu 9, 32-38 qui évoque l'exorcisme du démon muet de la synagogue.