Les noms et les verbes utilisés pour décrire les affections du corps en général sont les mêmes que ceux qui sont employés pour évoquer la possession. Jean-Claude Schmitt a étudié ce vocabulaire à propos de la maladie au Moyen Âge : "le vocabulaire en usage dans les textes latins traduit bien ce qu'était alors l'expérience du mal (infirmitas) : celui-ci saisit le corps, l'agresse violemment ou l'envahit, comme on le dit d'une ville assiégée puis investie par l'ennemi : capit, arripit, invadit, occupat, tenet. Le corps est possédé par la maladie, et c'est bien la possession démoniaque qui est le paradigme de toutes les atteintes de la maladie et de leurs modalités" 84 . L'auteur ajoute que la douleur "est comme personnifiée agissant sur le mode du bourreau qui soumet le corps à la torture : torquet, opprimit, gravat, vexat, molestat" 85 . L'interprétation que l'Église donne de la maladie contribue à ce rapprochement. La maladie est fille du péché, elle est un signe à l'adresse du malade ― qui est un pécheur ― ; d'un saint qui peut mettre à l'épreuve son aptitude aux miracles ; de la société toute entière qui doit contribuer à la guérison par ses prières et par ses œuvres 86 . Ce rapprochement entre possession et maladie, déjà présent dans les Évangiles 87 , réapparaît dans la plupart des textes hagiographiques. C'est vrai pour l'hagiographie occidentale mais c'est dans le monde byzantin que la possession incarne le mieux le modèle de la maladie, car toute maladie est attribuée à la présence des démons 88 . Comprise en son sens médiéval, la maladie se rapproche de la possession et, l'une comme l'autre, n'existent que par le péché des hommes.
Pour une définition de la maladie : M. D. Grmek, "Le concept de maladie", dans Histoire de la pensée médicale en Occident, dir. M. D. Grmek, tome 1, Paris, Seuil, p. 211-226.
J.-C. Schmitt, "Religion et guérison dans l'Occident médiéval", dans Historiens et sociologues aujourd'hui, Paris, 1986, repris sous le titre "Corps malade, corps possédé" dans Le corps, les rites, les rêves, le temps. Essais d'anthropologie médiévale, Paris, Gallimard, 2001, p. 319-343.
J.-C. Schmitt, Le corps, les rites, op. cit., p. 323-324.
J.-C. Schmitt, Le corps, les rites, op. cit., p. 327.
Voir K. Kertledge, "Jésus, ses miracles et Satan", Concilium (103), 1975, p. 45-53.
Dans la vie de Théodore de Sykéôn, toute maladie ou tout problème est interprété comme étant le fait de la présence du diable ou des démons et suscite l'intervention du saint, voir A. J. Festugière Vie de Théodore de Sykéôn, 2 tomes, Société des Bollandistes, 1970 (Subsidia Hagiographica 48).