Dans la Mésopotamie des IIe et Ie millénaires av. J.-C., l'exorcisme est évoqué dans les tablettes d'argile qui nous sont parvenues 216 . Les namburbû, formule akkadisée du sumérien qui signifie la "dissolution appropriée du mal", sont les exorcismes. Les exorcistes ou âsipu sont "mandatés par les dieux", ils prononcent les formules efficaces et ont un rôle très important dans le culte car ils sont pratiquement les seuls personnages à avoir laissé des traces.
En Egypte, l'exorcisme occupe aussi une place importante 217 . Le prêtre est un médecin expert en exorcismes. Il fait fuir les mauvais esprits par la menace et les hurlements et a recours au pouvoir sacré de l'huile. La magie permet aussi une protection efficace contre les menaces grâce aux amulettes et aux talismans. Le magicien tranfère le mal à un animal ou à un objet, il pratique la menace pour faire fuir le diable. Le son de la voix a un réel pouvoir sur les puissances maléfiques et les images permettent d'attirer le mal sur quelqu'un ou de l'écarter d'un autre.
En Grèce et à Rome, les maladies s'expliquent aussi par les démons, qui rendent nécessaire le recours aux incantamenta magica. Des formules exorcistiques apparaissent sur des pierres gravées retrouvées dans des temples de Némésis 218 . Ces pratiques sont critiquées par les médecins et les philosophes. Pourtant, le célèbre médecin Galien reconnaît à la récitation de passages de l'Iliade et de l'Odyssée une forte vertu exorcistique en raison de leur musicalité. Les néopythagoriciens ont recours quant à eux aux textes d'Hésiode. Dans les rituels plus élaborés, se trouvent des prières à la gloire de dieu, comparables à celles existant en Egypte. Elles s'organisent autour de la découverte du nom du démon puis de l'ordre qui lui est donné de partir. Pour l'invocation de la divinité, une préférence pour les noms et les sons étrangers, "barbares", égyptiens ou hébreux est visible dans les formules prononcées sur les amulettes. Les gestes pratiqués dans ces exorcismes sont l'imposition des mains, l'exsufflation, les hurlements, les sifflements, les claquements de langue. Minéraux, plantes, huile, sel, entrent dans le rituel. L'exorcisme devient caractéristique de l'homme divin de l'hellénisme, le theios anèr. Dans la Vie d'Apollonius de Tyane († v. 96-98) de Philostrate, de nombreux miracles sont racontés. Apollonius n'est ni un charlatan, ni un magicien. Des exorcistes sont attachés à des temples païens, Platon dans la République évoque des prêtres nomades qui sont capables d'exercer leur contrôle sur les choses supranaturelles. Les cyniques comme Antisthène d'Athènes ou Dion Chrysostome ont un style de vie charismatique qui est alors proche de la tradition chrétienne et l'exorcisme peut être une part de leur activité. Ils sont évoqués dans le Nouveau Testament sous le nom des fils de Sceva (Ac. 19, 13-19). Ces exorcistes usent d'incantations et la source de leur pouvoir est le nom d'un exorciste connu.
Dans le judaïsme ancien, les sources sont nombreuses qui attestent l'exorcisme : les textes apocryphes, les textes esséniens de Qumrân, les papyri grecs magiques ou les écrits rabbiniques 219 . Dans la Palestine du temps de Jésus, les exorcistes juifs ont une bonne réputation, il existe alors des figures charismatiques historiques. Dans la littérature rabbinique, le pouvoir est lié à la proximité avec Dieu au paradis. Le judaïsme a aussi produit des figures légendaires comme Salomon beaucoup évoqué au cours du Moyen Âge, ou David. Les exorcismes pratiqués par ces hommes nous sont connus par le papyrus magique 220 . L'exorciste commence par invoquer l'autorité, puis il identifie l'autorité qui a le pouvoir enfin, il demande au dieu d'accomplir l'expulsion. Le fait de connaître le nom du démon lui donne du pouvoir sur lui.
J. Bottéro, La plus vieille religion du monde. En Mésopotamie, Paris, Gallimard, 1998, chapitre "La thérapeutique exorcistique du mal", p. 370-384 et J. Bottéro, Mythes et rites de Babylone, 1ère éd. 1985, Genève, Slatkine Reprints, 1996 en particulier "Les exorcismes complémentaires des oracles, comment on se gardait du mal prédit par les oracles", p. 29-64, "Le Manuel de l'exorciste et son calendrier", p. 65-112, "Une grande liturgie exorcistique", p. 163-219.
S. Sauneron, "Magie", Dictionnaire de civilisation egyptienne, Paris, Hazan, 1959, p. 157-158 ; S. Sauneron, Le monde du sorcier, Sources Orientales, Paris, Seuil, 1966, p. 27-65.
C. Bonner, "The technique of exorcism", The Harvard Theological Review, XXXVI (1943) p. 39-49.
Sur ce point, voir : G. H. Twelftree, Jesus the exorcist, Tübingen, J.-C. B. Nohr, 1993 ; M. J. Edwards, "Three exorcisms and the New Testament world", Eranos, 87 (1989), p. 117-126.
G. H. Twelftree, Jesus the exorcist, op. cit., p. 38-39.