- Après les Apôtres

Le pouvoir exercé sur les esprits est moins regardé comme un privilège de l'apostolat que comme un charisme, une grâce dont les simples fidèles, hommes et femmes, peuvent bénéficier 239 . Tertullien († vers 222) l'indique dans l'Apologeticum 240 . L'auteur souligne que les chrétiens chassent les démons aussi bien des païens que des chrétiens, il s'agit de la guérison de possédés 241 . Il présente en outre la pratique du rituel de l'exorcisme : "Au seul contact de nos mains, au moindre souffle de notre bouche (…), ils sortent du corps des hommes" 242 . Il précise au sujet de la formule africaine de cet exorcisme : "Tout l'empire et le pouvoir que nous avons sur les démons tirent leur force de ce que nous prononçons le nom du Christ et de ce que nous énumérons tous les châtiments qui les menacent" 243 . Au IIIe siècle, la pratique de l'exorcisme et la formulation de ce rituel semblent donc attestées, ce qu'Origène (†255) confirme dans le Contre Celse 244 .

Saint Augustin (354-430), dans son De Beata Vita donne une définition de l'exorcisme :

‘"Quant à la troisième définition, il faut l'examiner avec un peu d'attention parce que, dans l'usage des mystères les plus saints, "esprit impur", si je comprends bien, est une expression à double sens : c'est celui, si l'on veut, qui du dehors investit l'âme, perturbe le jugement et provoque chez l'homme une sorte de folie, si bien que ceux qui sont chargés de l'expulser font ce que l'on appelle une imposition des mains ou un exorcisme, ce qui veut dire qu'ils font une adjuration par ce qu'il y a de divin pour le chasser." 245

Comme l'ont fait les Apôtres, l'exorcisme est efficace dans la mesure où il invoque l'aide divine en ayant recours au nom de Dieu, de Jésus ou à la prière. L'exorcisme est une adjuration par le divin. Isidore de Séville (560-636) complète la définition de saint Augustin dans le De ecclesiasticis officiis :

‘"L'exorcisme est un sermon de gronderie", soit pour la formule latine, essentielle dans le choix des mots : Exorcismus autem sermo increpationis est 246 .’

Dans les Etymologies, il ajoute :

‘"Les exorcistes en Grec sont les adjurateurs ou accusateurs en latin. Ils invoquent en effet sur les énergumènes ou sur ceux qui ont un esprit immonde le nom du Seigneur Jésus, ils l'adjurent par lui pour qu'il sorte d'eux" 247 .’

Théologiens et auteurs du droit canon disposent ainsi d'une définition essentielle 248 . L'exorcisme est à la fois adjuration, demande, prière faite à Dieu pour la délivrance du malade. Cette demande prend la forme d'un sermon de gronderie, increpatio, qui prend le diable à témoin. Ce terme, nous le verrons, se retrouve dans la désignation d'autres pratiques liturgiques. Il signifie un cri de menace, un avertissement menaçant, un blâme, une réprimande, les Évangiles l'utilisent : et increpavit eum [diabolum](Matt. 17, 17) 249 .

De cette Église ancienne, pratiquement aucune formule d'exorcisme ne nous est parvenue. A la fin du IVe siècle, Sulpice Sévère déplore, d'ailleurs, dans ses Dialogues, la turba verborum de certains exorcistes de son temps 250 . Il est probable, cependant, que quelques formulaires ont alors été conservés dans des libelli liturgiques aujourd'hui perdus ou sur des amulettes qui comportent quelques brèves phrases exorcistiques 251 .

Notes
239.

Barett-Lennard, Christian healing after the New Testament. Some approaches of illness in the second, third and fourth century, New York, University Press of America, 1994.

240.

"Qu'on produise à l'instant ici, devant votre tribunal, un homme qui soit reconnu pour être possédé du démon, si un chrétien quelconque ordonne à cet esprit de parler, celui-ci confirmera qu'il est un démon", Tertullien, Apologeticum, PL 1, c. 413 A.

241.

Tertullien, Apologeticum, PL 1, c. 463 B.

242.

Ibidem., c. 415.

243.

Ibidem., c.415.

244.

"Qui sont ces démons que la plupart des chrétiens expulsent des énergumènes, et cela sans le secours de vaines pratiques magiques et d'incantations, par des prières seulement et par de simples adjurations, dont l'homme le moins cultivé est capable ? De fait, ce sont des ignorants, le plus souvent, qui font cela" dans Origène, Contra Celsum, PG 11, c. 142.

245.

Tertium vero illud paulo diligentius considerandum est, propterea quod ritu castissimorum sacrorum spiritus immundus, quantum intellego, duobus modis appellari solet, vel ille qui extrinsecus animam inaudit sensusque conturbat et quendam hominibus infert furorem, cui excludendo qui praesunt, manum inponere vel exorcisare dicuntur, hoc est per divina eum adjurando expellere, Saint Augustin, De Beata Vita, Œuvres de saint Augustin, 4/1, édition et traduction J. Doignon, Paris, Desclées de Brouwer, 1986, p. 91.

246.

Isidore de Séville, De ecclesiasticis officiis, C. M. Lawson, CCSL 113, 1989, ch. 21, p.

247.

Exorcistae ex Graeco in Latinum adjurantes, sive increpantes vocantur. Invocant enim super energumenos, vel super eos qui habent spiritum immundum, nomen Domini Jesu, adjurantes per eum ut egrediatur ab eis, Isidore de Séville, Etymologies, PL 82, Livre VII, c. 295.

248.

Raban Maur (780-856) dans le De Universo reprend à son compte ces définitions sous forme d'une glose pour évoquer l'exorcisme baptismal : "L'exorcisme en Grec signifie conjuration en latin, soit un sermon de gronderie adressé au diable pour qu'il parte comme cela est dit en Zacharie : "Et il me présenta Josué, le grand prêtre, qui se tenait devant l'ange du Seigneur, Satan se tenait à sa droite, pour l'accuser. Et le Seigneur dit à Satan : "Que le Seigneur t'accuse, Satan, que le Seigneur t'accuse, car il a choisi Jérusalem" (Zacharie, I, 3, 1)". Ainsi l'exorcisme accuse et conjure le diable. Par cela nous comprenons que les enfants qui sont exorcisé et qui reçoivent l'exsufflatio ne le sont pas en tant que créatures de Dieu, mais mais celui sous le pouvoir duquel sont tous ceux qui naissent avec le péché. Il est en effet le prince du péché." "Exorcismus Graece, Latine conjuratio sive sermo increpationis est adversum diabolum ut discedat, sicut est illud in Zacharia : "Et ostendit mihi Iesum sacerdotem magnum stantem coram angelo Domini, et Satan stabat a dextris ejus, ut adversaretur ei. Et dixit Dominus ad Satan : "Increpet Dominus in te, Satan et increpet Dominus in te, qui elegit Jerusalem" (Zacharia, I, 3, 1)". Hoc est exorcismo increpare et conjurare adversus Diabolum. Unde sciendum quod non creatura Dei in infantibus exorcizatur aut exsufflatur sed ille, sub quo sunt omnes, qui cum peccato nascuntur. Est enim princeps peccatorum." Raban Maur, De Universo, PL 111, ch.XII.

249.

Dans Blaise, Dictionnaire latin/français des auteurs chrétiens, Turnhout, Brepols, 1993.

250.

Sulpice Sévère, Dialogus, III, c. 6

251.

Voir article Leclerc "Amulettes", DACL, tome 1,c. 1795.