B - Origine des principaux formulaires d'exorcisme

La mise en évidence de la tradition des formulaires d'exorcisme est facilitée par la construction d'un tableau recensant de manière chronologique les différentes formules et leur éventuelle fortune dans les ouvrages qui ont suivi, ce tableau se trouve en Annexe 2.

Les premières formules d'exorcisme ont été écrites ou collectées dans les sacramentaires du VIIIe siècle. Le tableau montre que, parmi les manuscrits du VIIIe siècle, le sacramentaire gélasien ancien est celui qui est le plus prolixe en formules d'exorcisme, qui se retrouvent, pour certaines d'entre elles, dans de nombreux formulaires 280 . Le sacramentaire de Gellone comporte aussi des nouveautés 281 .

Au siècle suivant, le sacramentaire grégorien ancien reprend un certain nombre de textes, contribuant ainsi à leur diffusion. Ce livre liturgique n'innove pas, mais sélectionne les formules, celles qui sont d'ailleurs promises au plus bel avenir 282 . Un autre sacramentaire perdu, mais dont les exorcismes ont été relevés et édités par Edmond Martène au XVIIIe siècle 283 , reprend une bonne partie des formules présentes à la fois dans les sacramentaires gélasien ancien, de Gellone et grégorien 284 . Les auteurs de ce sacramentaire révèlent une bonne connaissance des deux premiers et procèdent à la composition d'un nouveau formulaire d'exorcisme qui utilise en les réordonnant, les textes de ces ouvrages, une seule formule semblant inédite. Tous les manuscrits liturgiques de cette période ne puisent cependant pas dans le fonds des sacramentaires.

Il convient de souligner la particularité de l'exorcisme présent dans le psautier-hymnaire ambrosien du IXe siècle de la bibliothèque Vaticane 285 . A la suite d'hymnes dont la paternité reviendrait à saint Ambroise, ce formulaire aurait été écrit de sa main 286 . Il a connu un parcours original car il apparaît aussi dans le manuel ambrosien du XIe siècle, non pas dans la section traitant de l'exorcisme des possédés, mais dans le cadre de la liturgie baptismale 287 . Par la suite, le formulaire réapparaît dans le pontifical romano-germanique dans un texte intitulé Exorcismus sancti Ambrosii 288 .

Un autre manuscrit dont l'exorcisme a été édité par A. Franz en raison de son originalité innove, lui aussi. Il s'agit d'un recueil de textes divers conservé à la bibliothèque de la cathédrale de Cologne 289 . Le texte reprend des passages des anciens sacramentaires 290 mais semble être, sauf erreur de ma part, à l'origine de neuf formules. Une bonne moitié d'entre elles réapparaissent dans le pontifical romano-germanique.

Le tableau en Annexe 2 montre enfin combien le pontifical romano-germanique du Xe siècle a puisé dans l'ensemble de ces textes en assemblant les formules dans un nouvel ordre. La presque totalité des formulaires du sacramentaire gélasien ancien est reprise à l'exclusion d'une partie des textes du manuscrit de Paris. De même, une bonne partie des formulaires du sacramentaire de Gellone se retrouvent : à chaque fois, il s'agit des formules qui avaient jusqu'alors connu un grand succès. Mais le pontifical innove aussi. Il est fort probable que tous ces nouveaux textes n'ont pas été totalement inventés par les scribes du Xe siècle, mais qu'ils circulaient dans divers manuscrits dont certains ont peut-être disparu mais qui, pour d'autres, se trouvent peut-être encore dans les bibliothèques européennes. De nombreux témoins manuscrits prouvent l'importante diffusion du pontifical et la variété de la composition du texte final 291 .

La composition des exorcismes dans le pontifical romano-germanique ne doit donc rien au hasard. La transmission de ces textes s'est faite de livre liturgique en livre liturgique depuis le VIIIe siècle, et même avant si l'on tient compte des libelli liturgiques perdus. La composition des textes montre cependant un renouveau certain.

Notes
280.

Dans la partie du manuscrit conservée à la bibliothèque Vaticane, c'est le cas de Item impositio manus super energumenum catecuminum (Sacr Ge Va 593) qui se retrouve dans le sacramentaire de Gellone, et, au IXe siècle dans le sacramentaire grégorien ancien, l'ouvrage de mélanges de Cologne, le sacramentaire de Tours, au Xe siècle, le rituel de Mayence et le pontifical romano-germanique. La formule suivante, dans le sacramentaire rélasien ancien, Item alia pro parvulo energuminum (Sacr Ge Va 594), connaît une fortune à peu près identique. Dans la partie parisienne du manuscrit, seul un groupe de six formules se retrouve dans les principaux manuscrits liturgiques d'Occident (de Sacr Ge Va 1714 à 1719).

281.

Certaines formules du sacramentaire de Gellone connaissent, elles aussi, un important succès dans les livres liturgiques suivants, il s'agit de Sacr Gell 2402 à 2403, puis 2412 et 2413.

282.

On trouve en effet dans ce livre édité par J. Deshusses, Le sacramentaire Grégorien, ses principales formules d'après les plus anciens manuscrits. Le sacramentaire, le supplément d'Aniane (tome 1), Fribourg, 1971, (Spicilegium Friburgense 16) des textes présents dans le sacramentaire Gélasien ancien comme Sacr Ge Va 593, 594, et 1714 à 1719 qui correspondent exactement aux formules qui connaissent le plus grand succès dans les siècles suivants.

283.

Le sacramentaire de Saint-Gatien de Tours qui date de la fin du IXe ou du Xe siècle, Tours, bibliothèque Municipale, ms. lat. 184 (Saint-Gatien 61) dans E. Martène, De antiquis ecclesiae ritibus, 1736, II, p. 975-979. La recherche des sources utilisées par Edmond Martène a été faite à l'aide d'A.-G. Martimort, La documentation liturgique de Dom Edmond Martène, étude codicologique, Citta del Vaticano, 1978 (Studi e Testi 279).

284.

Comme l'indique le tableau de l'Annexe 2, ce texte juxtapose dans le désordre Sacr Ge Va 593, 1714, 1725 ainsi que des formules extraites du sacramentaire de Gellone Sacr Gell 2403, 2404, 2412, 2413.

285.

Psautier hymnaire ambrosien, Vat. lat. 82, fol. 244-246. Ce texte est édité dans le tome 17² de la Patrologie Latine consacré à Saint Ambroise, page 1109.

286.

Il convient d'être prudent à ce propos car l'identification de l'auteur n'est pas certaine. Pour A. Franz, Die Kirchlichen Benediktionen im Mittelalter, II, p. 578-579, cet exorcisme ne peut avoir été rédigé par saint Ambroise.

287.

M. Magistretti, Manuale Ambrosianum ex codice saec. XI, tome II, Milan, 1904, p. 469-471. Ce manuel suit la liturgie de l'année et ne comporte pas de rubriques spécifiques pour les divers sacrements.

288.

C. Vogel, R. Elze, Le pontifical romano-germanique,II, op. cit., p. 213, n. 4.

289.

Miscellanea, Cologne, bibliothèque du Dôme, CKC 15, exorcisme édité par Franz, Die Kirchliche Benediktionen im Mittelalter, II, p. 587-596.

290.

Du sacramentaire Gélasien ancien il prend Sacr Ge Va 593, 1725, du sacramentaire de Gellone, Sacr Gell 2412.

291.

Il s'agit du Pontifical de Salzbourg adapté à l'usage de Sées (XIe s), Paris, bibliothèque Nationale, ms. lat. 1231 ; et le Pontifical d'Otton de Riedenbourg, évêque de Ratisbonne entre 1060 et 1089, Paris, bibliothèque Nationale ms. lat. 820.