- La liste des sept grades de la cléricature

Au Xe siècle, l'ordination des exorcistes est connue par le pontifical romano-germanique 404 . Avant que ne commence l'ordination elle-même, la liste des sept grades de la cléricature, le De officiis VII graduum 405 est présenté. Ce texte daterait, selon R. E. Reynolds, d'une période antérieure à 700 et serait le premier texte patristique en latin ne concernant que ce sujet 406 . Il s'agit d'une série de brèves phrases décrivant les fonctions de chaque office ecclésiastique. Qu'est-ce que ce texte nous dit sur la fonction d'exorciste ?

‘"Il convient que l'exorciste rejette les démons, dise au peuple qui ne communie pas de partir et répande de l'eau sur le ministre" 407 .’

L'exorciste est celui qui rejette les démons de ceux qui se préparent au baptême. La phrase indique ensuite qu'il disperse ceux qui ne communient pas durant la messe, ce qui correspond à une fonction d'organisation du culte. Enfin, l'exorciste est chargé de présenter l'aiguière au prêtre pour l'ablution des mains.

Il convient d'exprimer des doutes au sujet de ces actions liturgiques qui, au VIe siècle et au VIIe siècle, n'avaient peut-être déjà plus cours. Thomas Michels 408 pose la question de savoir pourquoi cette fonction de répandre de l'eau, qui revient d'ordinaire au diacre, échoit ici à l'exorciste. Dans la liturgie de l'époque patristique en effet, le diacre est chargé de laver les mains de l'évêque et d'asperger de l'eau durant la messe. Cette fonction a tendance à se déplacer du diacre au sous-diacre et de celui-ci à l'acolyte durant les siècles qui suivent. Dans le De officiis VII graduum, pour la première fois semble-t-il, l'exorciste est chargé de laver les mains du célébrant. Il pourrait s'agir du signe de la transformation des tâches à accomplir par les ordres mineurs à un moment où leurs fonctions et leur place dans la hiérarchie est en train de se définir, nous y reviendrons. La formule reste cependant promise à un bel avenir car elle est reprise systématiquement et intégrée dans les rites d'ordination de chacun des grades ecclésiastiques plus tard distincts. Le premier pontifical intégrant cette formule à l'admonition de l'évêque est, selon Victor Leroquais, un pontifical fragmentaire de la bibliothèque de Troyes, puis plusieurs pontificaux du XIe siècle 409 . Ce n'est que dans le pontifical romain du XIIe siècle que la formule est définitivement intégrée à l'admonition de l'évêque. La description que donne le De officiis VII graduum de la fonction de l'exorciste ne correspond que partiellement aux tâches qui lui sont données dans la réalité.

Le portier, le lecteur, l'exorciste et l'acolyte sont regroupés avec les lecteurs des psaumes dans une cérémonie unique 410 . Cette ordination collective est faite par l'évêque accompagné d'un archidiacre 411 . Cette cérémonie a lieu lors de la messe du samedi des quatre-temps à Saint-Pierre de Rome. Les ordinands sont présentés à l'évêque par l'archidiacre. Suit un dialogue entre les deux personnages : l'évêque demande à l'archidiacre d'examiner les connaissances et les bonnes mœurs des candidats. Leur intégrité assure en effet leur efficacité contre le démon (per quas diabolus procul pellatur).

Les conciles du Ve siècle avaient indiqué que le fait d'avoir été reconnu comme possédé, était un empêchement pour accéder à la cléricature. Le concile d'Elvire est le premier à signaler ce cas. Le concile d'Orange indique : qui a été possédé en public ne peut être admis dans le clergé, et ceux qui ont été ordonnés doivent être déposés par crainte du scandale. A l'époque mérovingienne, l'interdit est réitéré, même s'il existe des exceptions. Dans les miracles de saint Martin, Grégoire de Tours mentionne l'ordination presbytérale d'un épileptique originaire de Bayeux, cet homme avait été guéri au tombeau de saint Martin à Tours et avait fait vœu d'y revenir chaque année en pèlerinage. Plus tard entré dans un monastère, il est tonsuré et ordonné prêtre mais, ayant négligé de remplir son vœu, il est à nouveau en proie aux attaques du démon 412 . Un document des VIIIe-IXe siècles, un pénitentiel de saint Hubert, dans les Ardennes, spécifie que si un clerc a été tourmenté par le démon, il doit être éloigné des ordres sacrés et ne pourra s'en rapprocher qu'une fois guéri. L'empire sur les démons ne peut être contrôlé que par un être pur de toute atteinte diabolique 413 .

Pour les ordres ecclésiastiques, la probité des candidats est un élément essentiel de leur nomination. Cette condition requise par l'Église est une condition nécessaire pour qu'une parole efficace soit prononcée.

Notes
404.

C. Vogel, R. Elze, Le Pontifical romano-germanique du Xe siècle, Le Texte, tome I, Vatican, 1963, (Studi e Testi 226). Sur les ordinations des clercs voir R. E. Reynolds, "The ordination of clerics in the middle ages" dans Clerical Orders in the Early Middle Ages, Ashgate Variorum, 1999 ; P de Clerck "Ordination, ordre", Catholicisme, 10², 1985, c. 162-206 ; P. Jounel, "Les ordinations", L'Église en prière III, 1984, p. 154-196.

405.

Les sept grades ecclésiastiques sont : portier, lecteur, exorciste, sous-diacre, diacre, prêtre, évêque, nous verrons dans le paragraphe suivant, l'évolution de la répartition de ces grades.

406.

R. E. Reynolds "The De officiis VII graduum : its origins and early medieval developpement", Mediaeval Studies, 34 (1972), p. 113-151. L'origine de cette liste est difficile à établir mais elle correspond à une zone celte et gauloise, peut-être sous l'influence des missionnaires irlandais.

407.

Exorcistam oportet abicere demones, et dicere populo qui non communicat ut det locum, et aquam in ministerio effundere, C. Vogel, R. Elze, Le pontifical romano-germanique, op. cit., p. 12-13.

408.

T. Michels, "Eine unerklärte Stelle im römischen Weiheformular des Exorcisten", Jahrbuch für Liturgiewissenschaft, 5 (1925), p. 147-150.

409.

V. Leroquais, dans Les pontificaux manuscrits des bibliothèques publiques de France, tome 1, 1937, p. XLVI, indique qu'il s'agit du ms 2272 (fol. 3) de la bibliothèque municipale de Troyes et, concernant les pontificaux du XIe siècle, ceux de Salzbourg (Paris, BN, ms lat 820, fol. 19), de Vendôme (BM, ms 14, fol. 3v), et de Châlons-sur-Marne (Troyes, BM, ms 2262, fol. 8).

410.

Ordo qualiter in romana ecclesia sacri ordines fiunt [Ordinatio psalmistae, ostiarii, lectoris, exorcistae, acolyti], C. Vogel, R. Elze, Le pontifical romano-germanique, op. cit., p. 13-19.

411.

1. Mensis primi, quarti, septimi et decimi, sabbatorum die, in XII lectionibus, ad sanctum Petrum, ubi missae celebrantur, postquam antiphonam ad introitum dixerint, per lectiones dat pontifex orationes. 2. Deinde archidiaconus sine casula ad chori usque medium procedens, habens pre manibus eorum qui ordinandi sunt nomina et vocatis eis, humiliter respiciens in episcopum his eum verbis alloquitur : Postulat haec sancta mater ecclesia, reverende pater, hos viros ordinibus aptos consecrari sibi a vestra paternitate. 3. Responsio episcopi : Vide ut natura, scientia et moribus tales per te introducantur, immo per nos tales in domo domini ordinentur personae per quas diabolus procul pellatur et clerus Deo nostro multiplicetur. 4. Ait archidiaconus : Quantum ad humanum spectat examen, natura, scientia et moribus digni habentur et probi cooperatores effici in his, Deo volente, possunt. 5. Tunc imponat scola letaniam, prostrato pontifice et ceteris consecrandis super tapetia. 6. Qua finita, iubente episcopo, archidiaconus accedat propius et vocantur denuo nominatim ut benedicantur ab episcopo. 7. Invitatio ordinandorum. De domo sanctae Mariae eligimus Ill. ad hostiarium ad eundem titulum. De titulo sancti Stephani eligimis Ill. ad lectorem ad eundem titulum. De ecclesia sancti Petri eligimus Ill. ad exorcistam ad eundem titulum. Post hec celebratur consecratio sacrorum ordinum., C. Vogel, R. Elze, Le pontifical romano-germanique, op. cit., p. 14.

412.

Robert Goodding mentionne les interdits conciliaires et le récit de Grégoire de Tours dans Prêtres en Gaule mérovingienne, Bruxelles, Société des Bollandistes, 2001, p. 84-85 (Subsidia Hagiographica 82).

413.

XXXI - De daemoniacis. Si clericus uexatus fuerit a daemonio, decem annis poeniteat, inter audientes sit et ad sacros ordines non adducatur. Si bene egerit et per gratiam Dei liberatus fuerit, sit in reliquis officiis ecclesiasticis. Ce titre est unique dans la série des 8 livres pénitentiels simples édités par Kottje. Paenitentialia minora franciae et italiae saeculi VIII-IX, éd. R. Kottje, CCSL 156, 1994, p. 111.