Plusieurs séries d'images confirment l'importance du livre dans l'ordination et donc dans la pratique des exorcismes. La hiérarchie ecclésiastique qui se trouve en tête des prières d'ordination dans le sacramentaire de Marmoutier (milieu du IXe siècle, ms. Autun, Bibl. mun. 19bis ; planche 59) le prouve 433 . Cette image présente la hiérarchie de la cléricature, de l'évêque à l'acolyte. Le registre supérieur montre les ordres majeurs : à droite le prêtre, au centre, l'évêque et à sa gauche le diacre. Dans le registre inférieur de l'image, apparaissent cinq ordres mineurs : au centre le sous-diacre 434 , à sa droite le lecteur et le portier, à sa gauche, l'exorciste puis l'acolyte. L'exorciste a un nimbe doré sur sa tête, est habillé de rouge et porte une aube rose. Il porte un livre ouvert de la main gauche, la main droite étant tournée vers le ciel. La traditio instrumentorum par laquelle chaque ordre se reconnaît par l'instrument qui lui est spécifique est ici nettement mise en évidence.
Un autre document figure l'ordination des grades ecclésiastiques, et parmi eux, les exorcistes. Il s'agit du rouleau liturgique ou libellus festif du ms 724 (B I 13) de la bibliothèque Casanatense de Rome (planche 60) 435 . Ce document, réalisé par l'évêque Landulf à Bénévent dans la deuxième moitié du Xe siècle, présente les ordinations des clercs sur cinq parchemins de 3,5 mètres sur une largeur de 27-28 centimètres en douze tableaux dont l'un concerne l'ordination de l'exorciste. A la cinquième scène, Landulf, en présence du diacre, donne à un groupe d'exorcistes un rouleau d'exorcismes que la rubrique n'appelle pas rotulus mais libellus. Dans le groupe d'exorcistes, l'un est représenté avec une tunique bleue et l'autre avec une tunique verte. Après la bénédiction des exorcistes qui n'est pas illustrée dans l'Exultet, le rouleau montre l'ordination des acolytes. Rien dans l'image, du reste comme dans le sacramentaire de Marmoutier, ne laisse supposer le rôle que les exorcistes ont à jouer. Seul le livre des exorcismes leur est présenté, ce qui est, là encore, conforme à la traditio instrumentorum.
Dans les lettres historiées qui illustrent parfois les différents ordres dans la partie des pontificaux de la curie romaine consacrée aux ordinations, l'exorciste apparaît toujours avec son livre mais très rarement accompagné d'un diable, la traditio instrumentorum est donc maintenue. C'est le cas au folio 11 du manuscrit de la bibliothèque Vaticane Vat. Lat. 5791 436 où, inscrit dans la lettre historiée E, l'exorciste tient dans sa main un livre fermé. Dans certaines miniatures, l'exorciste tient un cierge à la main 437 , mais le plus souvent il a un livre 438 . Dans certains cas très rares, les enluminures présentent l'exorciste en action. Dans le pontifical de Paris, bibliothèque Nationale, ms. 968, fol. 6v., l'évêque remet le livre des exorcismes, au premier plan, deux démons à tête de chien prennent la fuite 439 . Dans un autre cas signalé par Victor Leroquais, l'interprétation m'a parue plus délicate. Pour cet auteur, dans le manuscrit de Paris, bibliothèque Nationale 960, fol. 6v, l'exorciste à peine ordonné fait un exorcisme. Le microfilm auquel j'ai uniquement pu avoir accès ne m'a pas semblé faire apparaître les démons indispensables à la représentation de la guérison de la possession.
L'ordination des exorcistes montre que le livre est au centre de leur pouvoir. Ils sont néanmoins rarement représentés en train de faire des exorcismes.
Voir R. E. Reynolds "The portait of the ecclesiastical officers in the Raganaldus sacramentary and its liturgico-canonical significance", Speculum, 46 (1971), p. 432-42 ; E. Palazzo, L'évêque et son image, l'illustration du pontifical au Moyen Age, Turnhout, Brepols, 1999.
Les sous-diacres font en effet partie des ordres mineurs jusqu'au XIIe siècle, date à laquelle il sont intégrés aux ordres majeurs.
Document présenté, étudié par R. E. Reynolds dans "Image and Text : The liturgy of Clerical Ordination in Early Medieval Art", Gesta, 22, 1, New York, 1983, p. 27-38 ; son intérêt pour la liturgie est présenté par E. Palazzo, L'évêque et son image, l'illustration du pontifical au Moyen Age, Turnhout, Brepols, 1999. Reproduit et analysé par B. Brenk dans G. Cavallo, Exultet, rotoli liturgici del medioevo meridionale, Rome, Istituto poligrafico e zecca dello Stato, Libreria dello Stato, 1994, p. 75-86. Le parcours de l'ouvrage montre la spécificité de l'œuvre dans la série des rouleaux d'Exultet de l'Italie méridionale au Moyen Âge.
Il s'agit d'un Pontificale romanum, exemplaire de la curie romaine des XIIIe et XIVe siècles.
V. Leroquais, Les pontificaux manuscrits des bibliothèques publiques de France, Paris, 1937, vol 1.
Remise du livre des exorcismes par un évêque, pontifical du XIIIe s., bibliothèque Municipale d'Avignon, ms. 203, fol. 6 (V. Leroquais, Les pontificaux, I, p. 55 et suiv.) ; pontifical de Guillaume Durand, début XIVe siècle, B. M. de Cambrai, ms. 180 (175), fol. 6 (Leroquais, I, p. 93-94) ; l'exorciste a un livre fermé dans le pontifical de Strasbourg, B. M. 224, fol. 45 (Leroquais, I, p. 102-106) ; l'évêque fait toucher le livre des exorcismes dans le pontifical romain de la fin du XVe siècle, B. M. Lyon, ms. 565, fol. 18 (Leroquais, I, p. 177-181). De même dans les manuscrits de la bibliothèque Nationale de Paris, ms. Lat. 959, fol. 7 ; ms. Lat. 15619, fol. 7 qui sont des pontificaux romains des XIVe-XVe siècle.
Voir Leroquais, Les pontificaux II, p. 91-96.