Les exorcistes sont probablement apparus à Rome au IIIe siècle, au moment où se développe la liturgie baptismale et où les exorcismes lui sont ajoutés 448 . Les "guérisseurs" de la Tradition apostolique 449 (v. 215), peuvent être considérés comme leurs précurseurs. Le pape Corneille les mentionne dans sa lettre à Fabius d'Antioche qui présente en 251 l'église de Rome 450 . A cette époque, en même temps que les exorcistes, apparaissent les premières fonctions inférieures à Rome et en Afrique. Le nom de clerc leur est refusé, car il est réservé aux ministres de la liturgie au sens strict, c'est-à-dire les évêques, les prêtres et les diacres. Dès le IVe siècle, les ministres inférieurs prennent une place grandissante et, avec la sacralisation du culte, ils doivent être en état de pureté rituelle. C'est la raison pour laquelle apparaît à la fin de ce siècle le cursus clérical qui crée des intermédiaires entre le monde laïc et la plus haute dignité, celle de l'évêque 451 .
Un ministère inférieur comme celui de l'exorciste a connu une évolution chaotique dans les premiers siècles. Après avoir longtemps refusé de reconnaître le don de guérison, la hiérarchie institutionnalise cette fonction pour lui retirer presque aussitôt tout son pouvoir. Dans les Constitutions apostoliques à la fin du IVe siècle, les personnes possédant le don de guérison sont exorcistes mais ne font pas partie de la hiérarchie cléricale. Le concile de Laodicée (entre 343 et 381) indique que ceux qui n'ont pas été présentés à l'évêque ne peuvent exorciser, cette fonction est donc exercée strictement sous contrôle 452 . Dans sa lettre à Decentius de Gubbio (416), le pape Innocent Ier précise :
‘"A propos de ceux qui, après leur baptême, sont possédés par le démon, tombant en quelque vice ou quelque péché, tu m'as demandé s'ils peuvent être consignés par un prêtre ou un diacre. Cela n'est permis que si un prêtre en a donné l'ordre. En effet, on ne doit absolument pas leur imposer la main si l'évêque n'a pas donné le pouvoir de le faire. Mais pour que cela se fasse, l'évêque n'a qu'à ordonner que la main leur soit imposée par un prêtre ou par un autre clerc (uel a presbyterio uel a caeteris clericis). En effet, comment pourrait-on amener à l'évêque sans grande difficulté un possédé (energumenus) habitant loin, au risque de ne pouvoir aisément, si un malheur lui arrivait en chemin, ni le conduire jusqu'à l'évêque, ni le ramener chez lui ?" 453 ’Ce document indique que les exorcismes ne peuvent être faits sans un accord du clergé au Ve siècle. L'évêque doit être tenu informé de l'existence d'un possédé et participer à la décision de lui appliquer un exorcisme. L'exorciste n'est pas spécialisé dans cette action qui relève, dans un cas grave tel que celui-ci, de la responsabilité de l'évêque ou éventuellement d'un prêtre. Trente ans plus tôt, Ambroise de Milan fait des exorcismes sur les énergumènes comme il le dit dans l'une de ses lettres 454 , il indique aussi que dans son église, des clercs sont chargés de cette fonction. Le rite de l'imposition des mains mentionné dans la lettre à Decentius de Gubbio est aussi attesté par saint Ambroise :
‘"Il ne faut pas contrarier ceux qui peuvent, par l'imposition des mains, commander aux esprits immondes au nom de Jésus (…). Ainsi nul ne doit se vanter ni s'attribuer le bienfait d'avoir purifié un homme puisqu'en lui c'est le pouvoir d'un nom éternel qui a opéré, non pas une capacité quelconque de la faiblesse humaine : le démon n'est pas vaincu par votre mérite, mais par la haine dont il est l'objet" 455 . ’Ce rite, fréquent dans les premiers temps de l'Église, est accompli par tous les chrétiens. Il est ensuite réservé aux clercs, qui ont reçu l'autorisation de l'évêque.
Avec les Statuta ecclesiae antiqua (c. 475), les exorcistes sont ordonnés. Le texte aborde à trois reprises la fonction de l'exorciste. Il a le pouvoir d'imposer les mains aux énergumènes, nous l'avons vu, et cela doit être fait chaque jour 456 . Par ailleurs, un service caritatif est organisé et destiné à venir en aide à tous les miséreux et en particulier aux énergumènes 457 . La communauté ne se contente pas de nourrir les simples d'esprit, elle leur fournit une occupation utile en leur faisant balayer les églises 458 . Les Statuta ecclesiae antiqua offrent, au Ve siècle, la liste des grades ecclésiastiques la plus complète, tout en étant la moins proche de la réalité. En effet, l'exorcistat est inexistant dans le De septem ordinibus ecclesiae étudié par Alexandre Faivre, il est relégué derrière les portiers à Reims, à l'époque de Bennadius, pour disparaître au temps de Rémi 459 . La Vita Martini rapporte qu'en 356, Martin, après avoir refusé le diaconat, accepte de se faire ordonner exorciste, une fonction quelque peu méprisable :
‘"Le même Hilaire tenta bien de le lier à lui plus étroitement en lui conférant les fonctions de diacre, et de l'attacher ainsi au service de Dieu. Mais il s'y refusa à maintes reprises en clamant son indignité, et ce prélat, d'un esprit si profond, comprit que la seule manière dont il pourrait l'engager serait de lui confier les fonctions qui lui sembleraient un peu humiliantes : c'est pourquoi il lui proposa avec instance d'être exorciste. Martin ne repoussa pas cette ordination, pour ne pas avoir l'air d'avoir méprisé ces fonctions comme trop humbles" 460 .’Vers 400, une lettre de Paulin de Nole, mentionne un certain Cardemas qui aurait reçu des mains de Delphin de Bordeaux, l'ordination d'exorciste après avoir été "lévite" 461 . Le fait que ce personnage ait été fait exorciste après avoir été lévite, incite à penser que l'exorcistat n'est déjà plus, dans la région de Bordeaux, une fonction autonome et qu'elle est exercée en réalité par les lévites ou les prêtres. A part les Statuta ecclesiae antiqua, dont l'auteur a aligné sa hiérarchie sur celle du pape Corneille et les oraisons du Vendredi Saint,la lettre de Paulin de Nole est le dernier document à mentionner les exorcistes en tant que tels dans le Sud de la Gaule 462 . Il semble que l'exorcistat n'a pas disparu en Gaule à la même vitesse : dans la région d'Autun, cette fonction semble avoir été préservée plus longtemps. C'est ainsi qu'en 585 le concile de Mâcon parle des veuves des exorcistes apportant la preuve de leur existence.
Le premier exorciste aurait été saint Pierre, compagnon de martyre du prêtre saint Marcellin sous Dioclétien en 302, voir AASS, juin t. 1, 1867, p. 166-203. Plusieurs versions de la vie de ces saints sont dues à Eginhard au IXe siècle voir M. Bondois, La translation de Marcellin et Pierre, étude sur Einhard et la vie politique 827-834, Paris, 1907, (bibliothèque des Hautes Etudes 106).
B. Botte, La tradition apostolique, SC 11, 1946.
Pour la lettre du pape Corneille voir Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, SC 41, p. 156 et P. de Clerck "Ordination, ordre", Catholicisme, X, 1985, c. 162-206.
Sur la naissance du cursus clérical et les premières étapes du développement de la fonction d'exorciste, voir A. Faivre, Naissance d'une hiérarchie. Les premières étapes du cursus clérical, Paris, Beauchesne, 1977 (Théologie historique 40).
"Celui qui n'a pas été promu par l'évêque ne doit exorciser ni dans les églises, ni dans les maisons", Non oportet exorcizare eos, qui necdum ab episcopis sunt provecti, neque in ecclesiis, neque in domibus, canon 26 du concile de Laodicée ; Grat. 1, 69, 2 (Fr. 256).
Lettre du pape Innocent I à Decentius de Gubbio (19 mars 416) trad R. Cabié, bibliothèque de la Revue d'Histoire Ecclésiastique, 58 (1973), p. 28-29.
Ep, 22, 2, 9 juin 386 dans O. Faller, M. Zelzer, CSEL 82, 1968, 1982. Dans la Vita S. Ambrosii apparaît un autre témoignage de ses talents d'exorciste sur les énergumènes, PL14, p. 38.
Ambroise de Milan, Traité sur l'Évangile de Luc, tome II, éd. Dom Gabriel Tissot, SC 52, 1958, p. 18-19.
Omni die exorcistae energumenis manus imponant (canon 62), C. Munier, Les Statuta ecclesiae antiqua. Edition, Etudes critiques, Paris, 1960, p. 90.
Energumenis in domo Dei assidentibus uictus quotidianus per exorcistas opportuno tempore ministretur, "Les énergumènes qui séjournent dans la maison de Dieu doivent recevoir en temps voulu leur pitance quotidienne qui leur est apportée par les exorcistes" (canon 64), C. Munier, Les Statuta ecclesiae antiqua, op. cit., p. 90.
Pavimenta domorum Dei energumeni everrant (canon 63), C. Munier, Les Statuta ecclesiae antiqua, op. cit., p. 90.
Voir A. Faivre, Naissance d'une hiérarchie. op. cit., p. 190-194.
Vie de saint Martin, 5, 2, éd. Fontaine, tome I, SC 133, 1967, p. 263.
Paulin de Nole, Epistulae, 19, 4, CSEL 29, p. 140-141.
Voir A. Faivre, Naissance d'une hiérarchie. op. cit., p. 194, note 48.