- La fixation des grades de la cléricature

Malgré les multiples prescriptions conciliaires et les décrétales des papes, c'est vers le Xe siècle que les étapes de la hiérarchie se généralisent en Occident et semblent être définitivement fixées aux deux siècles suivants 470 . Même s'ils sont souvent sept, le nombre des grades ecclésiastiques peut varier d'un texte à l'autre : R. E. Reynolds a montré qu'ils peuvent être six, sept, huit ou neuf dans les présentations des théologiens 471 . Dans cet ensemble, l'exorciste occupe souvent le troisième rang au-dessus du lecteur et au-dessous de l'acolyte. C'est le cas dans la présentation le De clericorum institutione de Raban Maur (780-856) 472 . Dans le Liber de divinis officiis du Pseudo-Alcuin (1ère moitié du Xe siècle), se trouve une discussion sur la hiérarchie ecclésiastique examinée dans l'ordre suivant : portier, lecteur, exorciste, acolyte, sous-diacre, diacre, prêtre et évêque 473 . Les ordres sont au nombre de huit car, dans la vision d'Ezéchiel, il y a huit marches qui mènent au Temple. Mais, dans l'un des chapitres suivants, cette place est inversée et l'exorciste se trouve en quatrième rang après l'acolyte, ce qui apparaît très rarement 474 . Cet exemple prouve qu'il existe des variantes dans la présentation des ordres ecclésiastiques par les théologiens du Haut Moyen Âge avant sa fixation vers le Xe siècle 475 . Alors, l'exorciste s'impose un peu partout en Occident comme le troisième ordre mineur tel que le figure le sacramentaire de Marmoutier (planche 59).

Favorables au respect du cursus honorum, les conciles du XIe siècle insistent sur la nécessité de franchir l'un après l'autre tous les grades en n'omettant pas les ordres mineurs, ce qui suggère que les nominations en urgence étaient alors toujours fréquentes 476 . Une lettre rédigée durant le pontificat d'Urbain II (1088-1099) à l'adresse de Bernard, archevêque de Tolède, indique qu'il est interdit à un individu tout juste ordonné exorciste d'être ordonné prêtre sans avoir reçu les ordres intermédiaires 477 . Au XIIe siècle, le Décret de Gratien reprend tous ces textes en insistant sur l'importance du respect de ces grades 478 . Si les carrières ecclésiastiques des XIe-XIIIe siècles sont conformes au droit, les exorcistes d'Occident ont moins de quatorze ans. Dans les cas plutôt rares où un homme est ordonné dans l'urgence, les ordres mineurs lui sont conférés rapidement et il devient prêtre. Les exorcistes sont donc des apprentis qui ne conservent ce grade que pour une courte durée avant de l'enrichir par les grades suivants. Cela limite donc dans les faits les responsabilités susceptibles de leur être données.

Il semble donc que la fonction d'exorciste soit une étape assez rapide dans le cursus honorum des clercs. A cette rapidité il faut ajouter aussi la jeunesse des hommes qui accèdent à la fonction. Même si certains, au Moyen Âge, franchissent les étapes des différents ministères très rapidement, la tendance, aux XIe et XIIe siècles, est d'apporter à tous les clercs la formation la plus complète. Ainsi, s'ils ne restent pas très longtemps exorcistes et si cette fonction n'a pas le prestige liturgique des ordres supérieurs, tout le clergé est passé par cette étape et tout clerc est un exorciste. L'institution lui a donc conféré le pouvoir de mettre en fuite les démons ce qui garantit l'efficacité de sa parole.

Notes
470.

J. St. H. Gibaut, The cursus honorum. A study of the origins and evolution of sequential ordination, New York, Peter Lang, 2000. L'auteur examine la mise en place de ces étapes depuis les origines du christianisme jusqu'à la fixation définitive de ce cursus qu'il date du XIIe siècle.

471.

R. E. Reynolds, "At sixes and sevens - and eights and nines : The sacred mathematics of sacred orders in the early Middle Ages", Speculum, 54 (1979), p. 669-684.

472.

Raban Maur, De clericorum institutione, PL 107, col. 297 et suiv.

473.

Pseudo-Alcuin, Liber de divinis officiis, PL 101, col 1231 chapitre 34 : De dignitate ecclesiastici ordinis.

474.

Là dessus, voir la mise au point de R. E. Reynolds, "Marginalia on a tenth century text on the ecclesiastical officers", Law, Church and Society : Essays in Honor of Stephan Kuttney, eds. K. Penington and R. Somerville, Philidelphia, 1977, p. 115-129.

475.

Sur l'ensemble de cette présentation voir l'article synthétique de R. E. Reynolds, "Clerical hierarchies in the early Middle Ages : hierarchies and functions", Clerics in the Early Middle Ages, hierarchiy and Image, Ashgate Variorum, 1999, p. 1-31.

476.

H. Leclercq, "Ordinations irrégulières", DACL, 12², 1936, c. 2391-2401.

477.

Litterarum praesentium lator ad nos veniens ab exorcista usque ad sacerdotium nullum ordinem se accepisse confessus est. Quod audientes plurimum mirati sumus. Et quia ejus persona nobis ignota sine litteris et sine ullis indiciis nostro se praesentavit conspectui, eum strenuitati tuae remissimus, praecipientes ut causam eius diligenter inquirias…, PL 151, c. 525, cité et commenté par J. St. H. Gibaut, The cursus honorum…., op. cit. , p. 257

478.

Grat 1, 21, 1 (Fr. 67) ; Grat 1, 25, 1 (Fr. 89-91).