- Saint Bernard

Saint Bernard 620 a fait l'objet de trois récits hagiographiques différents 621 . C'est la Vita prima du saint qui comporte le plus d'exorcismes avec treize cas 622 , la Vita secunda en comporte trois et la Vita tertia, un seul. Ces miracles sont peu nombreux au regard de l'ensemble de la Vita prima dans laquelle il est possible de relever 839 miracles 623 . La première partie de ce texte, rédigée par Guillaume de Saint-Thierry, du vivant de saint Bernard, porte sur les années 1090-1130 et comporte de nombreux miracles, mais un seul exorcisme. Cet auteur, qui a connu le saint, est plus expérimenté que ses autres biographes, il brosse un portrait fidèle à l'hagiographie de l'époque, friande en actions thaumaturgiques, mais il ne met pas en valeur les exorcismes. Guillaume se fonde sur les fragmenta Gaufridi pour dépeindre l'homme et son caractère opiniâtre.

Le deuxième livre de la Vita a été rédigé, après la mort de saint Bernard, par Ernaud, abbé de l'abbaye de Bonneval dans le diocèse de Chartres. Il s'agit du livre le plus riche en récits d'exorcisme, en effet, il "ne relate presque que les exorcismes", "notamment dans le voyage accompli en Italie, et il met l'accent sur l'action contre Guillaume, duc d'Aquitaine" 624 . Le moment des exorcismes devient un temps fort de la démonstration de la sainteté de Bernard. Quelles sont les sources d'Ernaud de Bonneval pour la rédaction de ce livre ? Ernaud aurait très peu connu Bernard même si ce dernier lui a adressé une lettre depuis son lit de mort. Il a obtenu des informations de la part de Geoffroy de Lèves 625 . Concernant l'épidémie de possession racontée au moment du voyage de saint Bernard à Milan en 1136, Ernaud aurait disposé d'un rapport de Raynaud de Foigny. Geoffroy lui aurait aussi transmis la directive d'évoquer surtout les miracles touchant à l'expulsion des esprits malins 626 . La période qu'il décrit est celle de l'activité du saint en dehors de Clairvaux, contre le schisme d'Anaclet et les tentatives de réconciliation entre Louis VII de France et Thibaut de Champagne. Les deux autres livres de la vie de saint Bernard de Clairvaux restent très discrets à propos des exorcismes, le Livre IV en mentionne un posthume accompli par des frères dans un monastère du Danemark, avec les reliques du saint 627 . Mais la Vita prima de saint Bernard de Claivaux n'est pas la seule source utilisable pour connaître sa pratique des exorcismes. Le Grand Exorde de Cîteaux 628 complète la tradition hagiographique de saint Bernard et mentionne des miracles ayant eu lieu dans le monastère. Rédigé en latin au XIIIe siècle, ce texte, composé à une période critique du développement de l'ordre, offre des récits où chacun pointe la volonté de restaurer l'élan des débuts. Quelques récits d'exorcisme sont empruntés à la Vita prima et d'autres racontent les miracles ayant eu lieu dans l'un des monastères dépendant de Clairvaux. Les œuvres du saint lui-même, auteur de plusieurs ouvrages et traités peuvent être consultés. La vie de saint Malachie, qui est destinée à promouvoir un modèle d'évêque, fait mention d'exorcismes 629 . Dans un autre registre, la correspondance de saint Bernard est utile, dans l'une de ses lettres en effet, Bernard donne des conseils à un évêque qui évoque une femme enchaînée par le diable 630 . Ce texte, qui relève davantage de la pratique pastorale, est-il en mesure d'éclairer la pratique de l'exorcisme de saint Bernard ?

Notes
620.

La bibliographie concernant la vie de saint Bernard est immense, je ne retiendrai que : A. H. Bredero, Bernard de Clairvaux, culte et histoire, Turnhout, Brepols, 1998 et P. Dinzelbacher, Bernhard von Clairvaux. Leben und Werk des Berühmten Zisterziensers, Primus Verlag, 1998 et J. Berlioz "Bernard de Clairvaux", Dictionnaire Encyclopédique du Moyen Âge, Tome 1, Paris, Cerf, 1997, p. 193.

621.

Ce dossier se limite aux sources du XIIe siècle et émanant des milieux cisterciens. Nous évoquerons dans la dernière partie, les textes du XIIIe siècle, exempla, littérature satirique, car ils traduisent à leur manière l'évolution de l'hagiographie et de la figure du saint exorciste.

622.

Vita prima, PL 185, p. 225-368 (désormais abrégée en Vita prima S.Bernardi). Les exorcismes se trouvent dans Vita prima I, 67 (c. 264) ; II, 7 (c. 272) ; II, 10-17 (c. 274-278) ; II, 20-23 (c. 280-282) ; II, 34-38 (c. 287-290) ; IV, 27 (c. 336) ; IV, 37 (c.342). Sur la Vita prima de saint Bernard de Clairvaux, voir A.H. Bredero, "Etudes sur la Vita prima de saint Bernard", Analecta Cisterciensis, 17 (1961), p. 3-72 et 115-260 et 18 (1962), p. 3-59 ; et du même auteur, Bernard de Clairvaux, op. cit.

623.

Le compte a été fait par A. Picard et P. Boglioni dans "Miracle et thaumaturgie dans la vie de saint Bernard", Vies et légendes de saint Bernard de Clairvaux, création, diffusion réception (XIIe-XXe siècles), Dijon, 1991, Commentarii Cistercienses, 1993, p. 36-59.

624.

A.H. Bredero, " Etudes sur la Vita prima de saint Bernard", op.cit., p. 256.

625.

Geoffroy de Lèves est nommé légat pontifical par Innocent II à partir de 1130.

626.

Sur les sources d'Ernaud, voir A. H. Bredero, Bernard de Clairvaux, culte et histoire, op. cit., p. 100-117.

627.

Vita Prima S. Bernardi, livre IV, 27 (c.336) ; 37 (c.342).

628.

Conrad d'Eberbach, Le Grand Exorde de Cîteaux ou récit des débuts de l'ordre cistercien, dir. J. Berlioz, Turnhout, Brepols, 1998.

629.

Bernard de Clairvaux, Vie de saint Malachie, SC 367, Paris, Cerf, 1990. Les récits d'exorcisme figurent aux numéros suivants : XX, 45 (p. 292-293) ; XX, 46 (p. 294-297)

630.

Epistolae I, Corpus epistolarum dans Sancti Bernardi Opera, tome VII, Rome, Editiones Cistercienses, 1974. Je remercie Madame Monique Duchet-Suchaux de m'avoir signalé cette lettre.