- La scène du théâtre

Ernaud de Bonneval indique, dans la vie de saint Bernard de Clairvaux, que le lieu dans lequel le diable apparaît est transformé en scène : "le mauvais, qui s'efforçait de transformer cette pieuse assemblée en théâtre" 701 . D'autres textes évoquent l'existence d'un spectacle : "Tous les habitants se rassemblèrent au spectacle et louèrent Dieu" 702 . Dans le long interrogatoire du diable du manuscrit de Dendermonde, le mot est évoqué 703 . De même, dans le récit de la translation des reliques de saint Jacques de Compostelle 704 . Il est ainsi recommandé par Hildegarde de Bingen à l'abbé de Brauweiler de faire approcher la possédée par sept prêtres : "ils l'entoureront, chacun tenant en main une verge…" 705 . Ces indications rappellent que le théâtre médiéval est un théâtre en rond 706 . Dans la vie d'Hildegarde de Bingen, une image rappelle un peu celle du théâtre, il est dit en effet qu'"à travers l'homme, il (le diable) vocifère, comme il le ferait par la fenêtre" 707 . Le corps et la bouche du possédé sont comme des porte-voix qui permettent au diable de se faire entendre. Comme un acteur joue un personnage, le possédé, ici, joue, sans le vouloir, le rôle du diable.

La scène de l'exorcisme est très souvent une église ou un monastère. A l'occasion de la célébration de la messe, le saint reçoit la demande de guérir un possédé, et c'est à ce moment et dans ce lieu sacré que l'exorcisme est accompli 708 . A l'intérieur de l'église, certains espaces sont préférés, comme le tombeau d'un saint. Dans le livre des miracles de saint Virgile, le possédé est amené sur le tombeau, mais il tente d'approcher sa main du sépulcre, "on le ramena donc dans le lieu sacré" 709 . Après avoir assisté aux prières et aux litanies, il est à nouveau emmené au tombeau et se comporte comme s'il voulait le violer. Il est alors sorti de l'église et déposé sur une litière où il est adjuré 710 . Dans cet exorcisme réalisé par les clercs de l'Église, tout se passe comme si la libération du possédé était soumise à la découverte du lieu propice. Ainsi, la victime du diable est transportée de lieu en lieu. C'est le fait de rapprocher à plusieurs reprises le démoniaque du tombeau du saint qui finit par avoir raison de son violent locataire. Un autre exorcisme est accompli sur le tombeau de saint Berthold, qui se trouve dans le monastère clunisien de Garst en Styrie. Le miracle bénéficie de la force des prières du monastère 711 . Plutôt que le tombeau du saint, lorsque celui-ci est vivant, c'est l'autel de l'église qui est choisi pour faire l'exorcisme 712 . De même, Sigewise est soignée par Hildegarde de Bingen dans son monastère, le Rupertsberg.

Notes
701.

Vita prima S. Bernardi, II, 7, c. 272.

702.

Vita prima S. Bernardi, II, 17, c. 278.

703.

Et cum quadam die multi tam femine quam viri ad spectaculum istud intrassent, demon fortior solito factus est, Cod. Fol. 173r, lin 28, dans L. Moulinier, "Unterhaltungen mit dem Teufel…", op. cit., p. 558, voir Annexe 8.

704.

"La multitude des enfants, qui étaient venus dans l'église au spectacle, encouragée par le clerc, commença à crier 'Pars dehors, pars dehors', Relatio de reliquiis, p. 17, Annexe 7.

705.

Vita S. Hildegardis, XX, p. 61.

706.

H. Rey-Flaud, Le cercle magique, essai sur le théâtre en rond à la fin du Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1973.

707.

Vita S. Hildegardis, 20, p. 56.

708.

In coena quoque Domini quaedam demoniaca iam diu obsessa adducitur, Liber miraculorum S. Eberhardi, 8, p. 102.

709.

Liber miraculorum S. Virgilii, p. 89.

710.

Ibidem, p. 89. De même, saint Bernard de Clairvaux fait transporter l'enfant démoniaque de Milan sur son propre lit, sanctifié par sa présence Vita prima S. Bernardi, II, 17, c. 278.

711.

Vita S. Bertholdi, XXXV.

712.

Vita A. Norberti, 10, p. 681 ; 14, p. 687 ; Vita prima S. Bernardi, II, 11, c. 275.