Conclusion

L'hagiographie du XIIe siècle fournit, avec le saint exorciste, une figure majeure de l'exorcisme au Moyen Âge. La possession est apparue dans ces textes comme le symptôme d'une crise individuelle stigmatisant à la fois le pécheur et son entourage, mais aussi comme la manifestation d'une crise plus profonde de la société. C'est comme si l'homme ou la femme possédés vivaient dans leurs corps les tensions de la société civile et de la chrétienté, elle-même violemment divisée par le schisme ou l'hérésie au XIIe siècle.

Nouveau Christ, le saint apparaît comme un personnage providentiel tant la possession et le diable semblent représenter une menace. Le pouvoir de mettre fin à la possession d'un individu se transforme, au moment de son accomplissement, en capacité à résoudre les conflits. Saint Bernard de Clairvaux parvient, grâce à son talent de diplomate, à réduire les effets du schisme et à rallier un grand nombre de souverains et de villes au parti d'Innocent II. Le spectacle de l'exorcisme agit comme un révélateur non seulement de sa sainteté, mais aussi de la justesse de sa cause. Rivalités de pouvoir, divisions religieuses, tout apparaît comme l'œuvre du diable que le saint parvient, par la force de sa prière, l'écho de ses adjurations, l'inventivité de ses gestes, à réduire à néant.

Dans des circonstances tout à fait particulières, à Mayence dans les années 1160-1170, nous avons pu montrer en rapprochant le dossier des exorcismes d'Hildegarde de Bingen et la vie d'Eckbert de Schönau que l'exorcisme est un moyen au service de la lutte contre les hérésies. Le diable, retourné par la prière d'Hildegarde de Bingen, dénonce un foyer hérétique. L'exorcisme accompli par la sainte sur la possédée Sigewise n'est plus seulement un miracle, il sert à guérir la société des déviances religieuses, autrement dit à sauvegarder l'unité de l'Église.

Dans le cadre de la spiritualité prémontrée qui transparaît à travers la vie de Norbert de Xanten, le diable joue un rôle de tentateur, d'aiguillon des vocations religieuses et de ferment au moment de la constitution de l'ordre. L'exorcisme accompli en 1121 à Nivelles n'est rien d'autre qu'une validation par le diable de la réalité de la sainteté de Norbert et de la validité de son identité de fondateur d'ordre.

L'interrogatoire du diable est apparu comme un élément constitutif de l'exorcisme, les textes narratifs offrant la place pour le récit des questions et réponses au démon. Alors ces textes permettent de faire affleurer la parole du diable, ils sont à l'origine des principales représentations de l'exorcisme.