- Bilan : les exorcismes dans les livres liturgiques provenant de l'aire germanique

La rareté des témoignages liturgiques sur l'exorcisme des possédés au XIIe siècle ne doit pas masquer la fertilité de l'aire germanique. C'est là en effet que se trouvent rédigés le plus grand nombre de rituels qui comprennent une section consacrée à l'exorcisme des possédés. Aux rituels de Prüm, de Cologne et de Saint-Florian que nous venons d'évoquer, il faut ajouter d'autres exemples. Dans le pontifical de l'évêque Gundekar II d'Eichstatt (†1075), à la suite de l'Ordo ad baptizandos infantes apparaît une Impositio manuum super energumenum catechizatum, puisla Reconciliatio rebaptizati ab hereticis qui est un long exorcisme sur les démoniaques qui s'achève par un remerciement super liberatum a daemone. Suit une prière pour les hérétiques super eos qui de diversis haeresibus veniunt 978 . Deux autres pontificaux du XIIe siècle appartenant à la bibliothèque de Bamberg comportent l'imposition des mains sur les énergumènes 979 . Pour Adolf Franz, ces rituels germaniques sont, jusqu'au XIIe siècle, monastiques. L'exorcisme des possédés est une action liturgique qui peut être englobée dans le plus vaste ensemble des bénédictions. Pour le Père Gy, en effet, dans les pays germaniques, les bénédictions sont développées en raison de la richesse des liturgies locales 980 . Les livres liturgiques, et en particulier les rituels, ont donc conservé les exorcismes. C'est la raison pour laquelle, nombre de formulaires nouveaux proviennent, au XIIe siècle et avant, de manuscrits produits dans ces régions.

Un vestige liturgique comme le libellus d'exorcisme de la bibliothèque Vaticane (Vat. lat. 7701), nous fait apercevoir la fragilité de ces témoignages. Peut-être d'autres libelli de ce type circulaient-ils à l'époque sans qu'il ait été jugé nécessaire de les conserver. Ont-ils été perdus parce que trop fragiles ? Même si un seul témoignage est bien maigre, il est peut-être l'un des rares libelli d'exorcisme connus. Contrairement aux prières d'exorcisme qui se trouvent insérées dans plusieures autres actions liturgiques, et dans un rituel, le libellus d'exorcisme annonce peut-être l'existence d'un livre autonome consacré aux exorcismes 981 . Ce livre, nous le verrons, est apparu deux siècles plus tard et a connu des développements considérables avec l'apparition de l'imprimerie.

Ainsi, le XIIe siècle qui semble être, en raison de la rareté des témoignages, une période de creux en ce qui concerne la pratique de l'exorcisme, apparaît à l'examen de ces textes, comme un moment décisif. Les deux grandes tendances de la liturgie de l'exorcisme semblent s'esquisser. D'une part, les prières d'exorcisme peuvent être insérées dans le Rituel destiné au prêtre. Comme le montrent les exemples allemands, le rituel développé comprend des exorcismes dès le XIIe siècle, il faut attendre le XVIe siècle et la diffusion du rituel de Castellanus pour trouver un rituel conforme au rituale romanum de 1614. D'un autre côté, le rituel d'exorcisme ne comporte que des prières d'exorcisme comme dans le libellus de la bibliothèque Vaticane. Mais une telle conclusion doit être nuancée tant on connaît mal aujourd'hui la vocation de ces libelli, des petits feuillets qui concernent un rituel mais qui peuvent être intégrés à des ouvrages, comme c'est le cas dans le manuscrit Vat lat. 7701.

Notes
978.

bibliothèque de la cathédrale de Cologne, Codex Coloniensis Capituli 138, A. Franz, Das Rituale von St Florian des XIIe Jahrundert, Fribourg en Brisgau, 1904, p. 6-7, je n'ai pas eu accès à ce manuscrit qui est seulement décrit par Franz.

979.

Aux deux pontificaux de Bamberg (XIe s), ms. CBg 54 et CBg 53 il convient aussi d'ajouter un manuscrit de Salzbourg, lui aussi du XIe siècle, CPV 1830.

980.

P. M. Gy, "Collectaire, Rituel, Processionnal", op. cit.

981.

Sur la place importante des libelli liturgiques dans l'apparition de livres liturgiques autonomes et plus généralement sur la composition de la liturgie occidentale, voir E. Palazzo, "Le rôle des libelli dans la pratique liturgique du Haut Moyen Age, histoire et typologie", Revue Mabillon, (62), 1990, p. 9-36.