Connue pour ses exploits dans le domaine de la guérison des possédés, Hildegarde de Bingen est interrogée par un frère anonyme, frère O, qui se dit, lui-même, possédé ou du moins tourmenté par des démons 1090 . Le moine qui s'adresse à Hildegarde indique que son âme assaillie est jour et nuit par des démons qui le harcèlent et cherchent à le séduire. Hildegarde lui répond en indiquant ses connaissances en ce qui concerne les démons et ce qu'il convient de faire pour s'en débarrasser. Il y aurait quatre sortes de démons. D'abord, ceux qui répandent la luxure parmi les hommes, ensuite ceux qui, "voletant ici et là", les précipitent dans la folie ou la colère. La troisième catégorie, par "la jactance et la rébellion", met dans le cœur des hommes "l'appétit des vaines gloires". La quatrième catégorie agite sans cesse les hommes, les poussant à des entreprises démesurées, flattant leur orgueil, ce sont les plus redoutables démons, qui s'affrontent aux hommes et aux femmes saints. Ces quatre groupes de démons représentent la luxure, la folie, l'orgueil, la tentation des saints. Hildegarde donne ensuite des conseils au frère sur le comportement à adopter face à ces démons. Pas de formules d'exorcisme ni de conjurations mais des conseils en fonction des différents âges de la vie : écouter la parole des maîtres et des docteurs, rechercher le bien en silence et avec modestie, fuir l'impatience, la lascivité et conserver la crainte du Seigneur. Cette "hygiène de vie chrétienne", ces conseils de modération, sont surprenants de la part d'Hildegarde qui n'hésite pas à donner à l'abbé de Brauweiler les consignes pour exorciser Sigewise. Selon S. Gouguenheim, "Hildegarde a sans doute voulu éviter de divulguer à mauvais escient des "recettes", des armes qu'elle sait efficaces, mais à condition qu'elles soient utilisées quand il le faut". Le moine O, tourmenté par les démons, est comme beaucoup de ses frères qui, dans les monastères, ne sont pas à l'abri de leurs menaces. S'il est en mesure d'écrire à la sainte, c'est qu'il dispose d'une lucidité suffisante, il est tourmenté mais certainement pas possédé du démon. Hildegarde fait à nouveau preuve, comme dans le reste de sa correspondance, d'une "réelle acuité psychologique, elle excelle à débusquer les intentions cachées de ses interlocuteurs, leurs faiblesses intimes" 1091 .
Saint Bernard de Clairvaux, qui pour sa part n'a jamais livré, dans sa correspondance, de conseils pour faire des exorcismes, donne des recommandations à Henri, l'évêque de Verdun (avant 1129) à propos d'une femme qui est dite enchaînée par Satan depuis plusieurs années 1092 . A aucun moment elle n'est vraiment qualifiée de possédée ni décrite comme telle et saint Bernard prescrit de la tenir pour pénitente quels que soient les méfaits auxquels elle s'est livrée 1093 . Les conseils donnés par le saint à l'évêque relèvent donc d'une approche modérée de la question. La possession n'est pas envisagée pour expliquer l'état de cette femme. Si elle est prise dans les liens du démon, c'est la pénitence, plus que l'exorcisme, qui lui convient. Une pastorale de la modération préside à ces conseils.
"Accède donc à l'inacessible, entre où la porte ne s'ouvre pas pour tous ; demande à Celui qui te chérit : Pourquoi t'endors-tu Seigneur ? Se tiennent au dehors ceux qui te réclament (…). Et lorsque tu auras épanché tes paroles aux yeux du Seigneur, reviens auprès de nous, et ce que tu auras appris à l'intérieur, révèle-le nous, autant que te l'auras permis Celui dont le discours accompagne les simples. J'ai moi même en effet une âme fétide, divisée et rendue vulnérable par de nombreux voyages, c'est pourquoi je souhaite obtenir ta dévote charité pour prier Dieu. En effet, je suis attaqué par de nombreux esprits malins de manière visible ou dissimulée, qui me fatiguent et qui veulent me séduire. Comme je sens cela, je te demande par ta lettre de me dévoiler", Epistolae, n° 128, PL 197, c. 353-355, cette lettre est commentée par S. Gouguenheim dans "La sainte et les miracles. Guérisons et miracles d'Hildegarde de Bingen", Hagiographica II, 1995, p. 157-176.
S. Gouguenheim dans "La sainte et les miracles", op. cit., p. 175.
Haec muliercula, quam ecce iam multis et perplexis peccatorum nodis Satanas alligavit, super statu salutis suae nostrae parvitatis consilium expetiit, lettre 62 dans Sancti Bernardi Opera, VII, Epistolae I. Corpus epistolarum, Rome, Editiones Cistercienses, 1974, p. 155. Je remercie Madame Monique Duchet-Suchaux d'avoir attiré mon attention sur cette lettre.
qui utique eo citius ac sollicitius inopi ferret opem, quo se certius scit atque districtius de sibi commissa. Agno qui pro ipsa mortuus est, redditurum rationem. Nostrum fuit deviantem corrigere ; vestrum sit peccatricem non despicere, immo paenitentem suscipere, et si vera est suae, quam nobis exposuit, infelicitatis historia, aut viro suo priori, si adhuc vivit, reconciliare, aut si ille noluerit, sicut hanc innuptam, sic illum cogere absque uxore manere. Valete, Lettre 62 dans Sancti Bernardi Opera, op. cit.